Un demi-tour délicat... Le gouvernement avait prévu cet été d'augmenter les franchises médicales pour combler le « trou » de la Sécu. Mais il a changé d'avis. L'exécutif cherche une alternative, plus acceptable aux yeux de l'opinion et moins galvanisante pour les oppositions... sans donner l'image d'une volte-face. Présentées comme une piste majeure d'économies pour les caisses de l'Assurance maladie, dont le budget 2024 est examiné cette semaine à l'Assemblée nationale, les franchises seraient ainsi abandonnées. « La décision est prise à 90 % », glisse un proche du dossier.
Que s'est-il passé ? En août, Thomas Cazenave, ministre délégué aux Comptes publics, expose à la presse un projet en apparence peu douloureux. La franchise (une somme déduite des remboursements de la Sécurité sociale) sur les médicaments, en vigueur depuis 2008, doit passer de 50 centimes à 1 euro par boîte. Le forfait sur la consultation médicale, mis en place en 2005, de 1 euro à 2 euros. Des montants modiques à l'échelle d'un patient mais importants pour l'Assurance maladie, quand on les additionne : ce sont 800 millions d'euros de moins à rembourser. Les femmes enceintes, les moins de 18 ans, les foyers modestes et les allocataires de l'AME restent épargnés. Et le total toujours limité à 50 euros par an et par patient, pour éviter une surcharge financière trop élevée. Élisabeth Borne confirme fin août ce qu'elle appelle « une piste » d'économies.
Tir de barrage des professionnels de santé
Mais à la rentrée, la hausse des prix du pétrole rebat les cartes. Avec l'inflation persistante, le pouvoir d'achat reste en tête des préoccupations de l'opinion. Un sondage Elabe-BFMTV, début septembre, montre un fort rejet de la mesure : 64 % des Français la jugent inacceptable. Difficile de demander des efforts financiers aux ménages, à qui le gouvernement promet paradoxalement 2 milliards d'euros de baisses d'impôts d'ici à 2027. Un argument qu'auraient poussé François Bayrou et Richard Ferrand.
Les oppositions, elles, parviennent à faire résonner la petite musique d'une inéluctable hausse de la fiscalité. Par ailleurs, le relèvement des franchises subit un tir de barrage des professionnels de santé. Les mutuelles, les médecins... tous sont contre. Devant cette mauvaise mayonnaise, l'Élysée se résout à faire machine arrière. Il faut débrancher les mesures qui fâchent. Pas question non plus de donner du grain à moudre aux oppositions avant les motions de censure prévisibles sur les textes budgétaires. Cette semaine, Bercy a ainsi renoncé à supprimer le prêt à taux zéro accordé aux foyers modestes. Abrogé dans la version initiale du projet de loi de finances, le dispositif a finalement été maintenu... et même élargi !
Plongeon du déficit de la Sécu
De leur côté, Bruno Le Maire à Bercy et Aurélien Rousseau Avenue de Ségur entendent mordicus maintenir le cap. Pour les deux ministres, la hausse des franchises est un mal nécessaire. Il faut enrayer rapidement le plongeon du déficit de la Sécu, qui tombe plus bas que prévu. L'objectif est de le limiter à 11,2 milliards d'euros l'an prochain (contre 8,8 milliards cette année).
Les gardiens des finances publiques ont sonné l'alarme : les compteurs de dépenses s'affolent depuis la sortie de la crise du Covid. Notamment les arrêts maladie (+ 8 % en 2022), un phénomène que les experts ne parviennent pas à expliquer totalement. Mais aussi les médicaments, les actes de biologie, etc. Les caisses se vident d'autant plus vite qu'en France le reste à charge (la somme non remboursée par l'Assurance maladie et les mutuelles) est le plus faible du monde, représentant 14 % de la facture. Reste un problème de taille. L'abandon des franchises suppose de trouver 800 millions d'euros ailleurs. Mais où ? Le projet de loi de finances 2024 de la Sécurité sociale prévoit déjà 1 milliard d'euros d'économies sur les prix des médicaments, un déremboursement des frais dentaires pour un demi-milliard d'euros, une ponction de 1,6 milliard d'euros sur les profits de l'industrie pharmaceutique...
Réduire les prescriptions
La solution évoquée au sein de l'exécutif consiste à pousser les médecins à prescrire, rapidement, moins de médicaments et d'arrêts maladie. Une négociation avec leurs syndicats va s'engager en novembre, son ordre du jour s'est étoffé. Cette semaine, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a envoyé une lettre de cadrage au directeur de l'Assurance maladie, Thomas Fatôme, pour fixer les objectifs. Notamment freiner les indemnités journalières, le transport médical, les antibiotiques... Il s'agirait d'obtenir un engagement de modération des praticiens en contrepartie d'une nouvelle augmentation de leurs honoraires. Le tarif de la consultation (en secteur 1) passera déjà en novembre de 25 euros à 26,50 euros. Le climat semble plus propice au dialogue qu'avant l'été.
Après le demi-tour, une course contre la montre est donc lancée. S'il veut respecter les budgets prévisionnels pour 2024, le gouvernement doit trouver une solution avant la fin de l'année. Il risque sinon de s'attirer les foudres de la Cour des comptes, de LR, de l'UE et des créanciers. Vendredi, l'agence Moody's a maintenu la note de la dette française. Au soulagement de Bercy.