
Haro sur les exonérations de cotisations non ciblées. Jeudi, les députés ont adopté un amendement sur la suppression des cotisations sociales sur les salaires supérieurs à 2,5 Smic, lors de l'examen du budget de la Sécurité sociale. La semaine prochaine, le gouvernement devra trancher, pour savoir s'il retient ou s'il écarte, cette mesure à l'occasion d'une possible adoption du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) au 49.3 après le revers en commission.
Poussé par les députés Marc Ferracci (Renaissance) et Jérôme Guedj (Parti socialiste), ce débat est monté en puissance depuis la publication de leur rapport fin septembre, préconisant de supprimer les exonérations de cotisations familiales, portant sur les salaires entre 2,5 et 3,5 Smic. Cette suppression représenterait un gain de 1,5 milliard d'euros pour les finances publiques. Dans un communiqué publié ce vendredi, le Medef a alerté « sur le risque d'un renchérissement du coût du travail». « Supprimer les allègements de cotisations patronales pour les salaires compris entre 2,5 et 3,5 smic, c'est aller droit vers un choc négatif de compétitivité », a prévenu l'organisation patronale. Et d'ajouter : « Cette suppression serait contradictoire avec la volonté de réindustrialiser notre économie et de la positionner sur des services à forte valeur ajoutée. »
Un point de vue que ne partagent pas les syndicats.
« Les exonérations sociales coûtent très cher et ont un impact limité sur l'emploi. C'est environ 80 milliards d'euros par an », a taclé le patron du syndicat des cadres (CFE-CGC), François Hommeril, en marge de la conférence sociale organisée au Conseil économique social et environnemental (CESE) le 16 octobre dernier.
Sur ce dossier explosif, la Première ministre doit confier une mission à un groupe d'experts pour analyser « les interactions entre exonérations, salaires et prime d'activité ». Il devra rendre « ses conclusions sur les six mois ».
Bras de fer entre Bercy et la majorité
Cette proposition fait l'objet d'un bras de fer entre Bercy et les députés de la majorité. Cette semaine, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, au micro de BFM Business a déclaré qu'il ne voulait pas « revenir sur une politique d'allègement de charges qui fonctionne et qui crée des emplois [...]. Mais avec la hausse du Smic, les allègements de charge ont augmenté, il peut y avoir des effets de bord, certains parlementaires de la majorité ont dit qu'entre 2,5 et 3,5 Smic, il faut geler cette indexation, ça peut être une option ».
Contacté par La Tribune, l'entourage du ministre du Budget, Thomas Cazenave, ne souhaite pas faire de communication officielle sur ce dossier brûlant. Quant à la majorité, une grande partie des élus sont favorables à la suppression portée par Marc Ferracci.
S'agissant des ressources apportées par cette mesure, l'élu Renaissance plaide pour les rediriger vers les caisses de cotisation des bas salaires. Depuis les années 1990, le taux de cotisation sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic a chuté fortement pour passer de 42% à 6%. De son côté, Jérôme Guedj propose de réaffecter ces ressources au financement des EPHAD dans la tourmente et les services à domicile pour les personnes âgées et dépendantes.
Des exonérations jugées sans impact sur l'emploi et la compétitivité
Après avoir mené de multiples entretiens avec des experts, syndicats et organisations patronales, la mission transpartisane des députés a dressé un bilan sévère des exonérations portant sur cette fourchette de salaires.
« L'exonération de cotisations familiales - une réduction de cotisations sociales sur les rémunérations élevées, pour les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic, conçue en faveur de la compétitivité et de l'industrie en 2014 - a des effets quasiment nuls sur l'emploi et difficilement décelables sur la compétitivité », pointe le député de l'Essonne Jérôme Guedj, spécialiste de la protection sociale.
Dans le sillage des critiques exprimés sur le CICE, mis en œuvre sous François Hollande, les économistes du Conseil d'Analyse économique rattaché à Matignon avaient également préconisé de supprimer les exonérations de cotisations au-dessus de 2,5 Smic, dans une note dévoilée en 2019.
« Sur l'emploi, nous n'avons trouvé aucun effet », souligne Philippe Martin doyen de l'école d'affaires publiques à Sciences-Po et ancien président du CAE interrogé par La Tribune. « Les salariés entre 2,5 Smic et 3,5 Smic sont généralement diplômés du supérieur et n'ont pas de problème de chômage ».
Sur la compétitivité, « nous n'avions trouvé aucun effet sur les exportations des entreprises ayant bénéficié des baisses de cotisations pour les salaires supérieurs à 2,5 Smic », ajoute-t-il.
« Si la France veut améliorer sa compétitivité, il faut mieux agir sur le levier de l'énergie », plaide l'économiste et ancien conseiller d'Emmanuel Macron pour la présidentielle de 2017.
Le gouvernement prêt à durcir le ton
Lors de la conférence sociale organisée au palais d'Iena, lundi 16 octobre, le gouvernement s'est dit prêt à durcir la vis sur les exonérations. « Nous devons veiller sans cesse à l'efficacité de nos dispositifs, et vérifier qu'ils n'aient pas d'effets pervers », a déclaré la Première ministre Elisabeth Borne. Devant un parterre de syndicats, experts et ministres, la cheffe du gouvernement a annoncé qu'elle était prête à revoir les exonérations de cotisations pour les branches professionnelles qui affichaient des minimas de salaires inférieurs au Smic.
Pressés par l'inflation, beaucoup de travailleurs dans quelques secteurs s'appauvrissent alors que les minima de certaines grilles n'ont pas été revalorisés contrairement au salaire minimum indexé sur l'indice des prix. Pour tenter de trouver une issue, l'exécutif a convoqué les branches qui étaient en dehors des clous. Si aucune avancée n'est constatée d'ici juin, le gouvernement pourrait passer par une loi. Reste à savoir si cette pression sera suffisante.