Le pavillon russe va flotter sur le pétrole américain

En concluant une alliance stratégique de long terme, prévoyant des investissements communs dans l'exploration et la production de 200 à 300 milliards de dollars, Rosneft et ExxonMobil rebattent les cartes de l'industrie pétrolière mondiale.
Infographie La Tribune

L'accord conclu entre Rosneft et ExxonMobil le 30 août à Sochi, dans la résidence d'été du Premier ministre russe Vladimir Poutine sur les bords de la mer Noire, va ouvrir à la compagnie publique russe des positions dans le domaine pétrolier américain. C'est une grande première. Aux termes de ce qui est présenté par les deux parties comme un « accord stratégique global », ExxonMobil sera associé à hauteur de 33,3 % à l'exploration d'une zone de 126.000 kilomètres carrés dans la mer de Kara, au nord de la Sibérie occidentale (lire page 4) ainsi qu'à un bloc moins important en mer Noire, des projets dont Rosneft se préserve 66,6 % des droits. En contrepartie, l'accord permet à Rosneft « d'obtenir des participations dans un certain nombre de projets et de forages d'ExxonMobil en Amérique du Nord, y compris dans le golfe du Mexique, au Texas et au Canada », précise le communiqué commun. Enfin, les deux compagnies vont créer à Saint-Pétersbourg un centre de recherche sur l'Arctique où travailleront des ingénieurs russes et américains. Rosneft prend ainsi la place de BP qui, en janvier, avait conclu un accord de même nature avec la compagnie russe, assorti d'un échange d'actions, avant que le groupe britannique ne doive renoncer sous la pression des actionnaires russes de sa filiale TNK-BP.

L'entrée en scène de Rosneft est intéressante à plus d'un titre. Première compagnie russe par la production, elle est l'émanation de l'ancien ministère soviétique du Pétrole. Elle s'est transformée en société par actions à la fin des années 1980, avant de voir son patrimoine pillé par les oligarques entre 1994 et 1995, lors des grandes privatisations de l'ère Eltsine. Réduite à peu de chose, elle a repris force grâce au rachat, en décembre 2004, de Yuganskneftegaz, la principale filiale de Yukos, dont le patron, Mikhaïl Khodorkovski, avait été arrêté en octobre 2003. Depuis, Rosneft a regagné le terrain perdu, et sous l'égide d'Igor Setchine, son président jusqu'à août dernier (lire ci-contre), elle est devenue la première compagnie russe.

Il est peu de dire que cet accord porte la marque du gouvernement russe. Vladimir Poutine et Igor Setchine, premier vice-Premier ministre, ont présidé la cérémonie de signatures. Le premier a tenu à préciser que cette alliance allait ouvrir de « nouveaux horizons » au développement du pétrole russe. Le second a insisté sur les contreparties dont allait bénéficier Rosneft aux États-Unis, précisant même que ces contreparties « devaient être à la hauteur des activités d'ExxonMobil en Russie ». Le groupe américain est un interlocuteur de longue date des autorités russes. Il est notamment l'opérateur du projet Sakhaline 1, qui comprend trois gisements de pétrole et de gaz situés sur la côte orientale de l'île de Sakhaline, où il est associé à Rosneft, à un consortium japonais et à la compagnie d'État indienne ONGC Videsh. En 2003, ExxonMobil a bien failli racheter Yukos, quelques jours seulement avant l'arrestation de Khodorkovski.

La partie n'en sera pas aisée pour autant. Le gisement de Prinovozemelsky East, en mer de Kara, l'un des objets de l'accord, se situe dans une zone très difficile, où la mer est gelée pendant 270 à 300 jours par an. Les premiers investissements d'exploration sont évalués à 3,2 milliards de dollars, mais l'ensemble du projet nécessitera plusieurs dizaines de milliards de dollars de financements et la mise en oeuvre de technologies très complexes.

La Russie est confrontée aujourd'hui à un épuisement relatif de ses gisements classiques de Sibérie occidentale et du Caucase. De vastes réserves ont été identifiées dans l'Arctique, en Sibérie orientale et dans l'Extrême-Orient russe, dont l'exploration et la mise en production nécessiteront l'apport financier et technologique des compagnies internationales. L'accord entre Rosneft et ExxonMobil est le signe que les autorités russes assouplissent leur attitude concernant la participation des étrangers au domaine minier de la Fédération. Mais l'objectif est aussi d'accroître la valeur des compagnies russes en les faisant accéder à des technologies nouvelles et à des projets de classe mondiale.

 

Igor Setchine, lPremier vice-premier ministre, le grand ordonnateur

Igor Setchine est l'homme clé du système de pouvoir mis en place par Vladimir Poutine. Il est à l'origine de la montée en puissance de Rosneft, dont il prend la présidence en juillet 2004, au début du second mandat de Vladimir Poutine dont il est au Kremlin, le plus proche collaborateur. Setchine a commencé sa carrière au Mozambique, officiellement comme traducteur et interprète, au milieu des années 1980, alors que la guerre civile fait rage.

Probablement membre du premier directorat du KGB, il rencontre Vladimir Poutine en 1991 à la mairie de Saint-Pétersbourg. Les deux hommes ne se quitteront plus. Setchine suit les pas de son mentor à Moscou, entre au Kremlin en même temps que lui, et exercera pendant près de dix ans les fonctions de chef adjoint de l'administration présidentielle, avant d'être nommé premier vice-Premier ministre, ministre de l'Industrie et de l'Énergie en mai 2008, au moment où Vladimir Poutine prend les fonctions de Premier ministre. Setchine passe pour être le chef du clan des « faucons » du Kremlin proche des organes de force et inspirateur de la politique de reprise en mains par l'État des actifs industriels privatisés par Eltsine.

Pourquoi Igor Setchine s'est-il pris d'intérêt pour Rosneft ? Pour créer un contre-pouvoir à Gazprom, construire un grand groupe pétrolier national qui puisse être le rival du géant gazier en termes d'influence et de pouvoir. Setchine n'est pas étranger au dépeçage des actifs de Yukos, grâce auxquels Rosneft s'est reconstruit. Jusqu'en août dernier, il cumule ses fonctions au gouvernement et à la présidence de Rosneft, jusqu'à ce que Dmitri Medvedev enjoigne aux ministres d'abandonner toutes fonctions de direction dans les entreprises. Setchine a dû obtempérer, non sans mal. Mais l'accord avec ExxonMobil et sa présence à la cérémonie de signatures démontrent qu'il est toujours le grand ordonnateur de la stratégie pétrolière de la Russie.

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