Les industriels aiment décidément invoquer la mythologie dans les périodes de turbulences. On pense notamment à Prométhée s'agissant du futur moteur de la fusée Ariane. Cette fois, c'est Hefaïstos, dieu de la forge et du travail du métal dans la Grèce ancienne, qui est convoqué au chevet de l'EPR. Deux ans après que le PDG D'EDF a annoncé la mise en place du plan Excell censé remédier à la perte de compétences dans la filière nucléaire, l'énergéticien s'apprête à inaugurer dans la Manche une « haute école de soudure » du nom d'Hefaïs.
Promis par Jean-Bernard Levy après la publication du rapport -sévère- de Jean-Martin Folz sur l'échec du troisième réacteur de Flamanville, l'établissement est né d'une alliance inédite entre EDF, Orano, Naval Group et les Constructions Métallurgiques de Normandie (CMN) appuyés par l'Union de l'industrie et des métiers de la métallurgie (UIMM), l'Etat (dans le cadre du Programme des Investissements d'Avenir) et la Région Normandie. D'un coût de 12 millions d'euros, son ambition est de former rien de moins que « les meilleures soudeuses et soudeurs de France ». Par meilleurs, entendez des professionnels capables de répondre au très haut niveau d'exigence des spécialités navale et nucléaire.
« Il existe un gap important entre le soudeur qui opère dans un environnement conventionnel et celui qui intervient dans ces environnements où il faut à la fois maitriser le geste technique, mais aussi des process industriels et documentaires très pointus », souligne Corentin Lelièvre, directeur d'Hefaïs.
Une formation immersive
Se revendiquant d'une « pédagogie novatrice », l'école proposera à ses élèves de se former sur des maquettes industrielles à échelle 1. Lesquelles reproduiront à l'identique le ballast d'un navire, la cellule d'une centrale nucléaire ou encore les zones contrôlées des sites d'Orano. « L'apprenant sera véritablement projeté dans son futur environnement de travail. Il pourra appréhender les contraintes de radioprotection, de chaleur et de dépression dans les conditions du réel », précise David Le Hir, président de la structure, par ailleurs directeur de la centrale de Flamanville 1 et 2. Le cursus d'une durée de sept mois en formation initiale sera complétée par un recours à la réalité virtuelle et augmentée.
Installée provisoirement à La Hague en attendant la construction d'un bâtiment neuf à Cherbourg par l'Agglomération du Cotentin, Hefaïs accueillera dans un premier temps des salariés d'entreprises sous-traitantes avant de s'ouvrir l'an prochain à des débutants : « demandeurs d'emploi et personnes en reconversion » grâce à des financements de la Région. Objectif : réunir des promotions annuelles d'environ 200 élèves en provenance de toute la France. Ce dimensionnement fait écho à une étude réalisée l'an dernier par la Chambre de commerce de la Manche. Celle-ci avait estimé à 700 les besoins en soudeurs à horizon 2025 pour le territoire normand : un chiffre qui ne paraît pas sous-évalué
Des débouchés comme s'il en pleuvait
Les prochaines années vont, en effet, être marquées par le démarrage de plusieurs grands chantiers dans les branches navale et nucléaire en Normandie à commencer par celui des deux EPR de Penly (Seine-Maritime) pour lesquels les besoins seront énormes. Pour en prendre la mesure, rappelons qu'une centrale abrite plus de 130 kilomètres de tuyauterie et que « sa construction nécessite 316.000 soudures », comme l'indiquait il y peu l'ingénieur Alain Tranzer que Jean-Bernard Levy a chargé de piloter le plan Excell.
Un appel d'air est aussi attendu sur le site Orano de La Hague avec l'édification de la future usine d'entreposage des combustibles usés, livrable en 2035. Chez Naval Group à Cherbourg enfin, la décennie sera occupée par la montée en puissance du nouveau programme de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de troisième génération -dit SNLE 3G- lui aussi gourmand en main d'oeuvre. On le voit, « les meilleures soudeuses et soudeurs de France » sont assurés de trouver des débouchés.
Ne reste plus qu'à convaincre les candidats de se jeter à l'eau. « Le recrutement des futurs élèves sera national », précise t-on chez Hefaïs. Sans doute une sage décision connaissant le peu d'appétence des jeunes générations pour les métiers de l'industrie.
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