Le lundi 20 mars 2022, le ministre allemand de l'Economie et du Climat, Robert Habeck, atterrit à Doha. La capitale du Qatar est sa première escale, la plus importante d'une tournée entamée dans le golfe Persique dans un but bien précis : nouer des accords stratégiques avec des pays producteurs d'hydrocarbures, afin de sécuriser les approvisionnements en gaz outre-Rhin.
Quelques heures - et courbettes - plus tard, sa poignée de main avec l'émir de la péninsule arabique, Sheikh Tamim bin Jamad al-Thani, témoigne de la réussite de la mission : l'Allemagne et le Qatar viennent de signer un partenariat de long terme sur le gaz naturel liquéfié (GNL). Refroidi à -162°C et transporté par navire, avant d'être regazéifié à destination, celui-ci est pourtant deux fois plus émetteur de CO2 en moyenne que le gaz acheminé par pipeline. Qu'importe : il pourra se substituer en partie à celui transitant par tuyau depuis la Russie et dont le Vieux continent cherche par tous les moyens à se défaire depuis l'invasion de l'Ukraine, espère le membre des Verts allemands. Certes, « la politique énergétique fondée sur les valeurs consiste à devenir indépendante des énergies fossiles », a-t-il déclaré quelques jours plus tôt. Mais à l'heure d'une crise énergétique majeure, la priorité est ailleurs.
De fait, le Qatar tient une place de choix dans cette nouvelle configuration. Pionnier du modèle de livraison de GNL à volume élevé, à faibles coûts et à long terme pour de nombreux clients asiatiques, le pays intéresse désormais fortement l'Europe, désireuse de remplacer les quelque 150 milliards de mètres cubes que lui fournissait jusqu'ici la Russie chaque année. Au point que le Qatar a repris en avril sa place de premier exportateur mondial de GNL, devant les Etats-Unis et leur abondant gaz de schiste, selon les données de S&P Global Commodity Insights.
Vers des contrats européens à long terme
Pourtant, Doha ne peut pas venir seul au secours d'une Europe piégée par sa dépendance extrême à la Russie, répètent ses représentants depuis quelques mois. La Chine reste d'ailleurs son premier client, suivie de l'Inde et du Japon.
Et pour cause, selon les analystes, la capacité du pays à stimuler ses exportations de GNL à court terme s'avère largement limitée. Avec des trains de liquéfaction (qui condensent le gaz afin de l'envoyer par bateau) fonctionnant à 99% en moyenne, selon les estimations du cabinet Wood Mackenzie, et dont la production s'écoule déjà dans le cadre de contrats de long terme, peu de volume reste disponible à la vente sur le marché au comptant.
Résultat : pour répondre à l'explosion de la demande, l'Etat du Golfe doit stimuler sa production via des projets d'expansion de champs gaziers sur son territoire, souligne-t-on à sa tête. Une ambition contraire aux consignes de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), celle-ci ayant appelé en 2020 à renoncer à tout nouveau projet d'extraction d'énergie fossile afin de préserver le climat, mais que la crise d'approvisionnement en Europe pourrait désormais justifier. « Maintenant, les entreprises doivent passer des contrats en ce sens », a d'ailleurs préconisé Robert Habeck le 20 mars à l'annonce du partenariat. Et s'engager pour 15 ou 20 ans à acheter la cargaison une fois qu'elle sera prête, selon les conditions de QatarGas.
« Nous voulons travailler pour nous assurer de mettre un terme à cette crise [...] et aider l'Europe [...] C'est sûr que les clients auraient les mains liées pour un certain temps, puisque l'expansion ne serait opérationnelle que d'ici à quelques années. Mais nous avons besoin de garanties », souligne à La Tribune une source proche du pouvoir qatari.
Plus grand gisement de GNL au monde
Ainsi, la péninsule prévoit un projet gargantuesque, capable de cimenter sa place en tant que premier fournisseur mondial de GNL : l'expansion de son gisement offshore North Field, à cheval entre les eaux territoriales de l'Iran et du Qatar, qui ferait passer la capacité de liquéfaction de gaz du pays de 77 millions de tonnes par an à 126 millions d'ici à 2027, soit près de 64% de capacités supplémentaires. En moratoire de 2005 à 2017, ce champ aux ressources immenses pourrait ainsi devenir le plus grand gisement de GNL au monde. Et a donc, logiquement, concentré l'attention des plus grands énergéticiens tout au long du mois de juin : après plus de six mois d'évaluation des offres, les Qataris ont sélectionné le mois dernier les géants ExxonMobil, ENI, TotalEnergies, Shell et ConocoPhilips comme partenaires pour le projet d'extension.
« Avec cette expansion prochaine, des pays européens se rapprochent. Ils doivent démontrer qu'ils peuvent nous donner un prix supérieur au prix du marché », glisse une partie prenante qatari.
Face à cette perspective, les entreprises ne sont pas les seules à s'activer. De son côté, Berlin a d'ores et déjà signé pour installer quatre terminaux méthaniers, afin de regazéifier le précieux GNL à son arrivée sur les côtes allemandes. La France, elle aussi, compte mettre les bouchées doubles : même si elle dispose déjà de trois installations de ce type, la Première ministre, Elisabeth Borne, vient d'entériner la création d'un quatrième terminal situé au Havre. De quoi garantir des débouchés au précieux hydrocarbure, remodeler les relations économiques et diplomatiques, et assurer de confortables revenus au Qatar dans le futur.
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