De la force de l'Homme à celle de l'industrie : une histoire de l'énergie

De la force de l’homme, à celle de l’eau, du vent, de l’animal, de la mécanique et de l’industrie, l’énergie n’a eu de cesse de se réinventer au fil des siècles et des innovations inhérentes à sa transformation. L’énergie, comme la marche du progrès ou comme l’épuisement de nos ressources ? Un questionnement qui a traversé l’histoire. (Cet article est issu de T La Revue n°13 - "Energies, la France qui innove" actuellement en kiosque).
Grâce à une énergie nouvelle – le charbon –, l’ère de l’industrialisation se révèle extraordinairement inventive. Un bouleversement qui repose sur le travail de quelques précurseurs : le Français Papin autour de l’utilisation de la vapeur, l’Anglais Thomas Newcomen qui, en 1872, met au point la machine à vapeur, bientôt suivi par son compatriote James Watt qui munit cette machine d’un moteur bicylindre. Dès lors s’opère un changement de paradigme : la maîtrise par l’homme de l’énergie mécanique.
Grâce à une énergie nouvelle – le charbon –, l’ère de l’industrialisation se révèle extraordinairement inventive. Un bouleversement qui repose sur le travail de quelques précurseurs : le Français Papin autour de l’utilisation de la vapeur, l’Anglais Thomas Newcomen qui, en 1872, met au point la machine à vapeur, bientôt suivi par son compatriote James Watt qui munit cette machine d’un moteur bicylindre. Dès lors s’opère un changement de paradigme : la maîtrise par l’homme de l’énergie mécanique. (Crédits : Istock)

 « Meunier tu dors ! » On connaît la chanson, celle que l'on chante de génération en génération à nos chères têtes blondes à grand renfort de moulinets. Si la version « éolienne » de la comptine composée par Léon Raiter au début du XXe siècle n'a pas encore franchi le seuil de nos foyers, il y a tout lieu de s'interroger sur l'extraordinaire postérité de son refrain. Car avouons-le : la scène décrite, celle d'un meunier endormi alors que son moulin s'emballe, semble appartenir à un imaginaire si lointain qu'il pourrait précéder la révolution industrielle. Pourtant, à l'instar de la chanson, les moulins résistent et peuplent durablement nos représentations, nos grands récits et ces formidables aventures littéraires qui nous construisent, tel le Don Quichotte de Cervantès. Il y a des raisons à cela : en premier lieu, cette angoisse de la pénurie d'énergie qui, dès les origines, inquiète les hommes. Et plus encore, cette fascination qu'exercent sur nous les moulins, ces ouvrages techniques complexes, ces machines à la fois puissantes et fragiles accompagnant, depuis des siècles, notre rêve de richesse et notre soif de progrès. Moins anodine qu'il n'y paraît, la comptine de Raiter semble ainsi immémoriale. Et très réaliste surtout. Car en mettant en scène des ailes qui tournent plus vite qu'il ne le faudrait, elle fait état du caractère imprévisible, et souvent chaotique, d'une énergie représentée comme une force faramineuse, mais inconstante. Voilà comment, à partir d'une simple chanson, les enjeux si complexes de la gestion de l'énergie peuvent être mieux cernés...

De la maîtrise du feu à la multiplicité des énergies « naturelles »

Sans surprise, c'est avec la découverte du feu que débute notre grande histoire de l'énergie. Un bouleversement d'envergure qui intervient au cours de la glaciation de Mindel, il y a un demi-million d'années. Dès l'apparition du feu, l'homme mesure l'ampleur de l'usage qu'il pourra faire de cette trouvaille miraculeuse. À la fois source de chaleur et de lumière, le feu offre à l'homme la possibilité de construire des outils et de raffermir certains matériaux ; il permet également de cuire des aliments. Mais surtout, il devient rapidement indispensable à la survie lorsque les conditions climatiques se montrent hostiles. Historiens et chercheurs, Jean-Claude Debeir, Jean-Paul Deléage et Daniel Hémery, tous trois co-auteurs d'Une Histoire de l'Énergie (Flammarion, 2013), expliquent : « L'ère énergétique inaugurée par l'usage du feu est celle du bois, matériau qui, pendant des dizaines de millénaires, est resté, sous forme de chaleur, une source d'énergie thermique irremplaçable pour l'homme. Sur le plan sociopsychique, le feu marque aussi une immense rupture, car il délimite un nouvel espace réservé aux humains autour du foyer, modifiant la structure des groupes, imposant de nouvelles contraintes pour son alimentation et son entretien, plaçant son inventeur devant tout un faisceau de problèmes nouveaux et de possibilités inconnues jusqu'alors, élargissant le champ des expériences vécues et l'obligeant par conséquent à franchir une nouvelle étape de son développement psychique. » Or, le feu, même s'il est plus tard utilisé dans la combustion des énergies fossiles, n'est qu'une source d'énergie parmi d'autres. Pour l'heure, l'homme de la Préhistoire ne dispose que de son propre corps, et, plus particulièrement, de son cerveau guidant ses muscles, pour produire de l'énergie mécanique. Il est, pour ainsi dire, son propre convertisseur d'énergie, à la fois souple, intelligent, polyvalent et entièrement dédié à une cause qui le concerne au premier chef : sa survie et la perpétuation de l'espèce. Il faudra attendre le début du IVe millénaire avant J.-C., pour voir l'émergence de foyers de civilisation qui rompent avec l'isolement caractéristique des tribus préhistoriques. Dans l'Ouest et le Sud-Ouest asiatique, plus particulièrement dans les vallées alluviales du Tigre, du Nil, de l'Euphrate et de l'Indus, on entreprend alors de mettre la nature en ordre et de produire, pour la collectivité, des biens de consommation. « La technique privilégiée du développement de leurs systèmes énergétiques est la culture irriguée des céréales, support obligé des premières grandes concentrations humaines de l'histoire et de l'essor des premiers États » écrivent Debeir, Delage et Hémery. Mais ces derniers préviennent : « L'éclat des témoignages architecturaux et épigraphiques qu'ont laissés ces premiers États ne doit pas conduire à sous-estimer la fécondité et l'extraordinaire diversité des civilisations situées à leurs périphéries. D'autres groupes humains, dans des contextes écologiques moins favorables à la culture des céréales, surent exploiter à leur profit des convertisseurs différents. » On citera pêle-mêle les cavaliers des steppes des confins de l'Asie et de l'Europe, les chameliers d'Arabie, passés maîtres dans le transport au long cours à travers les déserts. Et plus près de nous, les Crétois, les Phéniciens et les Grecs qui se spécialisèrent dans le transport et le commerce, par voie maritime, en utilisant la force du vent. Autant de manières de composer avec les diverses sources d'énergie disponibles sur des territoires donnés.

La force de l'homme, de la bête, de l'esclave...

S'ensuivent logiquement un accroissement démographique et un premier effet d'urbanisation. Or, qui dit population en accroissement constant dit besoins énergétiques à assouvir dans des proportions encore inédites. À ce titre, l'exemple de l'Égypte antique est parlant. C'est à la fin du IVe millénaire avant J.-C. que la population s'y développe. L'énergie dont se servent alors les autochtones est double et disponible en abondance : il s'agit de l'eau du Nil, fleuve nourricier par excellence, dont les crues périodiques se couplent parfaitement à la générosité d'un soleil jamais avare de ses rayons. En somme, une énergie naturelle et abondante. Les historiens et les scientifiques s'accordent aujourd'hui à dire que ces conditions favorables alliées à la capacité des Égyptiens à en tirer profit sont à l'origine du niveau de raffinement atteint par le pouvoir des pharaons. Écriture, bateau à voile, araire, chariot : les inventions se multiplient ! S'ouvre alors une période d'abondance et d'innovation. Reste que ce « boom », comme on le nommerait aujourd'hui, repose largement sur un système esclavagiste qui use et abuse de l'asservissement humain. À la fois ébahi et interloqué, Hérodote rapporte dans L'Enquête que la construction de la pyramide de Khéops aurait nécessité le travail de 100 000 hommes, relayés tous les trois mois sur une période de trente ans ! Le père de l'Histoire exagère-t-il ici ? C'est probable. « Quelle que soit la part du mythe dans les récits anciens, estiment Debeir, Delage et Hémery, la mobilisation fut, au vrai, considérable. La seule alimentation des constructeurs représentait, à l'évidence, un prélèvement important pour une société à bas profil énergétique. Car ces chantiers étaient engagés par une civilisation dont la ressource d'énergie mécanique essentielle était celle des hommes dont les seuls artefacts étaient des machines simples du genre levier ou traîneau. Même si les chiffres d'Hérodote sont manifestement exagérés, on ne peut que souscrire à l'esprit de la conclusion de ce dernier : l'organisation sociale pharaonique avait fait un bond en avant de cinq mille ans pour créer la première machine motrice à une large échelle. » On est alors en droit de se demander si une telle architecture, de tels travaux « pharaoniques », au premier comme au deuxième sens du terme, auraient été possibles sans l'existence d'un système reposant largement sur l'esclavage et le pouvoir absolu d'un chef politique, assimilé à un Dieu tout-puissant ? La réponse est évidemment négative et constitue ce que Marx désignera plus tard « une servitude généralisée ». Bien sûr, il n'y a pas qu'en Égypte que la réduction en esclavage se répand. En Grèce antique, et plus particulièrement à Athènes, on estime à 100 000 le nombre d'esclaves affectés aux tâches domestiques ou aux besognes dans les champs. Si bien que selon l'helléniste émérite Moses Immanuel Finley, le recours massif à la servitude était nécessaire à la plupart des cités grecques de l'époque classique, dont un aspect fondamental est bien, le cheminement « la main dans la main de la liberté et de l'esclavage »[1]. Quant à Rome, Marc Bloch fait état d'un niveau d'esclavage rarement atteint : « Dans le monde romain des premiers siècles, l'esclave était partout : aux champs, à la boutique, à l'atelier, à l'office. Les riches en entretenaient des centaines ou des milliers ; il fallait être bien pauvre pour n'en posséder au moins un.[2] » Pour donner un ordre de grandeur, sous l'empereur Auguste, on estime qu'il y avait 3 millions d'esclaves sur une population italienne totale de 7 500 000 habitants...

Le temps des moulins

Si l'Antiquité constitue bien une période charnière dans l'histoire de l'humanité, elle semble pourtant stagner en matière de bond en avant énergétique. Parce qu'elle reposait largement sur le travail servile, Athènes puis Rome n'ont en effet pas eu besoin d'innover pour disposer d'une énergie bon marché. Pour l'expliquer, François Jarrige, historien de l'énergie, du travail et des changements sociotechniques a coutume de dire qu'il existe une relation étroite entre les sources d'énergie dont dispose une société et la manière dont celle-ci va se structurer. Selon Jarrige, « une "société" ne flotte jamais dans le ciel des idées. Elle repose toujours sur un système énergétique et des flux de matières. Une société peut même être définie comme un métabolisme qui transforme différents types de ressources pour permettre son fonctionnement et ses activités, et chaque type de ressource impose des contraintes en matière d'approvisionnement, de déchets, de puissance disponible... Donc son modèle énergétique façonne son organisation sociale, spatiale, le champ des possibles de ses activités et de son développement ». En suppliciant ainsi cette main d'oeuvre aisément disponible, on peut se demander si, pendant longtemps, l'esclavage ne constitua pas un obstacle à l'innovation... Pour les auteurs d'Une Histoire de l'Énergie, cela ne fait aucun doute : « Une société qui dispose d'une source d'énergie dont elle n'a pas à assurer les coûts de reproduction, mais qui prend seulement en charge son entretien, n'est pas poussée à produire plus. Les stimulations sociales pour le développement d'un machinisme animé par d'autres sources d'énergie que l'homme sont faibles, voire absentes. Ce qui ne signifie pas tout arrêt du progrès technique : les grands ouvrages hydrauliques, le pressoir à vis pour l'huile, le pétrin dans la boulangerie, le soufflage du verre marquent un progrès certain par rapport à la technologie alexandrine. [...] Mais fondamentalement, pour ce qui est de l'énergie mécanique, aussi longtemps que prévalut un type de croissance basé sur l'extension de la main-d'œuvre servile, tant que les prisonniers de guerre, comme aux IIe et Ier siècles av. J.-C., en furent le principal réservoir, aucune machine énergétique nouvelle ne connut une large diffusion. » C'est ainsi que l'invention du moulin à eau en Palestine et celle de la moissonneuse, en Gaule, passent quasiment inaperçues dans un Empire qui n'avait pas intérêt à les utiliser. Tout change véritablement au Moyen Âge. En proposant une organisation nouvelle de la société, l'époque qui s'ouvre permettra au moulin de s'imposer partout en Europe. D'abord à eau, puis à vent, le moulin deviendra un symbole. Tout à la fois un instrument de pouvoir, un outil à défendre, un moyen de transformer le grain en farine (donc un élément capital dans la préparation du pain) et de produire des huiles, et plus largement, de se nourrir. « Au Moyen Âge, analyse Alain Floriant[3], professeur honoraire d'histoire-géographie, le moulin est l'un des trois "piliers" de la seigneurie, avec le château et l'église. C'est une machine et un lieu indispensables à la vie, liés à la paix et au travail. C'est une machine vivante, en cela qu'il faut, si elle est à vent, la réorienter, la freiner, l'alimenter, la réparer. Elle s'anime, travaille, gémit, grince. On lui donne un nom, parfois on la baptise en bonne et due forme ou on enregistre sa destruction comme un décès. On se sert aussi des ailes du moulin à vent pour passer des messages. » Ouverts à tous, sans distinction de richesse, les moulins ont ainsi une fonction sociale doublée d'un puissant aspect symbolique. Infiniment plus qu'un outil, ils deviennent des marqueurs du paysage.

Vertiges et accélérations de l'ère industrielle

Les moulins, s'ils constituent une avancée technique majeure, représentent néanmoins une goutte d'eau dans le mix énergétique de l'époque. Car la force humaine (encore largement servile puisque l'esclavage se perpétue et s'accélère même avec le commerce triangulaire) et animale continue, tout au long des siècles, d'être la première des énergies, suivie de près par le bois. Utilisé partout, pour construire des maisons, se chauffer, cuisiner et s'éclairer, ce dernier devient essentiel. Mais il y a un hic : à force d'être consommé en quantité, la ressource s'épuise. Les débats et inquiétudes de l'époque ressemblaient alors aux questions qui nous rongent actuellement : partout, on cherche d'autres énergies alternatives, potentiellement disponibles abondamment et à prix modéré... À la fin du XVIIIe siècle, l'économie des pays occidentaux, encore essentiellement agraire, va entamer sa mutation. L'ère de l'industrialisation arrive, transformant les paysans en ouvriers et remplaçant le blé par le charbon. Grâce à une énergie nouvelle, le charbon, c'est aussi, et surtout, une ère d'extraordinaire inventivité qui s'ouvre au point de changer durablement le paysage continental. Un bouleversement qui repose sur le travail de quelques précurseurs : le Français Papin autour de l'utilisation de la vapeur, l'Anglais Thomas Newcomen qui, en 1872, met au point la machine à vapeur, bientôt suivi de son compatriote James Watt qui munit la machine à vapeur d'un moteur bicylindre et l'améliore ainsi considérablement. Sitôt mise sur le marché, la machine de Watt emballe ses contemporains et entraîne un changement de paradigme. La grande nouveauté créée par la machine à vapeur est la maîtrise par l'homme de l'énergie mécanique. Plutôt que de dépendre de l'énergie aléatoire du moulin mû par la puissance imprévisible du vent ou la force difficilement domptable d'un cours d'eau, l'homme peut enfin créer de l'énergie dans les proportions qui lui conviennent, à l'endroit où cela s'avère nécessaire. Bientôt, tous les secteurs, de l'industrie textile aux transports, se ruent sur la nouveauté. Sur terre et sur mer, on se déplace désormais au moyen de trains tractés par des locomotives, de navires à vapeur et, bientôt, grâce aux premières automobiles remplaçant les antiques calèches. Pour transporter ce beau monde, tout s'accélère : construction de routes, amélioration du réseau de communication et accroissement considérable des possibilités de commercer avec le lointain. À cette première révolution industrielle, s'ajoute, dès 1880, une deuxième vague qui repose largement sur les sources d'énergie qui nous concernent aujourd'hui encore quotidiennement : l'électricité d'abord, le pétrole ensuite, autant de nouveautés précieuses pour le développement de l'industrie lourde (les mines et la métallurgie notamment). L'énergie mécanique semble alors booster l'énergie humaine. Dans ce contexte social, économique et politique favorable, le capitalisme se trouve alors en plein essor. Là encore, c'est bien la disponibilité de la ressource qui conditionne l'organisation de la société, nous explique François Jarrige : « La société du capitalisme industriel a eu besoin du couple charbon-vapeur pour s'étendre au XIXe siècle. Elle a dû lever les limites et contraintes des systèmes énergétiques anciens, à force animale, à eau ou à vent, qui imposaient globalement des activités de petite taille, dispersées, faiblement concentrées, intermittentes, alors que le charbon a permis de répondre à l'exigence de continuité dans la production des capitalistes tout en développant la concentration de la production dans de grandes régions industrielles. » L'organisation de la société autour du charbon porte aussi à conséquence sur le plan politique. Pour Jarrige, c'est un fait : « La société du charbon implique l'émergence de nouveaux groupes sociaux comme les mineurs et les dockers, indispensables à l'extraction et au transport, façonnant donc l'apparition de nouveaux groupes sociaux au rôle historique inédit, et aux capacités politiques originale. Enfin, le choix du charbon impose de s'en remettre aux importations, de sécuriser les approvisionnements (puisqu'un pays comme la France a toujours manqué de charbon, et encore davantage de pétrole ensuite), de négocier des accords de libre-échange. » Autant de questions qui persistent avec l'entrée dans l'ère du pétrole.

Pétrole et nucléaire : du rêve au retour de bâton

Bien que contesté dès son origine en ce qu'il entraîne de bouleversements irréversibles sur l'environnement et de pollutions dommageables à la santé humaine, le progrès en matière d'énergie se poursuit. Ce faisant, il impactera durablement tous les secteurs de la société. Citons, dès 1859, l'invention du moteur à explosion par le Français Étienne Lenoir, puis celle du téléphone, en 1876, par Graham Bell et l'arrivée de la « fée électricité », à compter de 1879, grâce aux travaux de Thomas Edison. À chaque fois, le changement annoncé stupéfie l'opinion. À chaque fois, il est porteur de promesses immenses : notamment des idées de prospérité et de confort, autrement dit des desiderata de la bourgeoisie au moment même où celle-ci prend justement la place d'une noblesse à bout de souffle. Pour autant, avec le taylorisme et la découverte du travail à la chaîne, les mutations du monde du travail n'annoncent pas un mieux, loin de là... Car si l'on produit certes plus vite et pour moins cher, les conditions de vie des ouvriers sont difficiles sinon misérables, le travail est harassant et les salaires médiocres. Émile Zola, notamment, le racontera dans Germinal tandis que Marx et son compère Engels établiront, pour longtemps, les idées communistes et l'idéal socialiste. Car avec l'avènement de cette nouvelle énergie et de cette nouvelle organisation sociale, l'écart ne cesse de se creuser entre ceux qui s'enrichissent et ceux qui s'échinent à produire. Des classes sociales se forment et avec elles les consciences de classe et autres réflexes politiques qui les accompagnent. On comprend alors que le sujet de l'énergie ne rassemble pas mais divise encore et toujours...

L'avènement de l'ère du pétrole ne fera qu'amplifier cette division de la société. Elle accompagnera une nouvelle lecture géopolitique : celle des pays riches et du tiers-monde, des possédants et des possédés. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, cette situation problématique à bien des égards et menaçant durablement la souveraineté nationale va pousser l'opinion, de gauche comme de droite, à ré-interroger la question énergétique. Jusqu'à trouver une solution apparemment miracle : le nucléaire. Alors perçue comme une véritable aubaine, l'énergie nucléaire dépend d'un combustible fissile, l'uranium, dont le minerai est contenu dans le sous-sol de la Terre. Son procédé, complexe à maîtriser, se développe d'abord dans le secteur militaire avant de connaître une vaste application civile. Il permet de produire de l'électricité, dans les centrales, grâce à la chaleur dégagée par la fission d'atomes d'uranium. Six années après la création du premier réacteur aux États-Unis, la France met au point sa première centrale en 1948. Il faudra cependant attendre 1974 et la survenue du premier choc pétrolier pour que l'on produise très largement de l'électricité d'origine nucléaire dans l'Hexagone. À ce jour, le parc géré par EDF compte 56 réacteurs répartis sur 18 sites. Devenu un fleuron français, l'énergie nucléaire possède, sur le papier, des atouts indéniables : n'émettant pas de gaz à effet de serre, elle est très compétitive et peut être utilisée en grande quantité. En somme, une énergie pour tous, théoriquement idéale. Mais pas sans risque... Dans un rapport[4] sur la question, l'ONG Greenpeace s'insurge : « Le nucléaire est certes bas carbone mais cela n'en fait pas pour autant une solution réaliste et efficace contre les dérèglements climatiques. Pire, il est trop lent à déployer face à l'urgence climatique, trop vulnérable aux impacts du réchauffement climatique et aux aléas naturels, trop dangereux pour être développé massivement aux quatre coins de la planète, trop coûteux par rapport aux autres options bas carbone dont nous disposons pour réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre dans le monde. » La solution que l'on pensait miraculeuse semblerait finalement avoir du plomb dans l'aile. Et l'on mesure alors tous les efforts politiques, économiques et philosophiques qu'il faudra fournir pour sortir une nouvelle fois de l'ornière pour inventer - enfin ! - le mix énergétique de demain. À n'en pas douter, le sujet continuera d'électriser l'opinion !

[1] Finley, M.I., « La civilisation grecque était-elle fondée sur le travail des esclaves ? », Économie et société en Grèce ancienne, trad. J. Carlier, Paris, La Découverte, 1984.

[2] Bloch, Marc, « Comment et pourquoi finit l'esclavage antique », Annales. Économies, sociétés, civilisations. 2e année, n° 1, 1947.

[3] Le Monde des Moulins, n° 79, janvier 2022.

[4] Le nucléaire : un mal nécessaire face à l'urgence climatique ? Greenpeace, 2020.

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T 13

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Commentaires 2
à écrit le 06/03/2023 à 0:38
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Une relecture par un historien de l'énergie aurait été des plus utile, pour corriger quelques incompréhensions. Ainsi, évoquer un Moyen-Age où la force de travail aurait été "encore largement servile puisque l'esclavage se perpétue et s'accélère même...

à écrit le 05/03/2023 à 9:29
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Le véritable progrès va être de faire "machine arrière" pour revenir à la raison ! ;-)

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