Économie circulaire : au Sénat, le projet de loi déçoit

Par Giulietta Gamberini  |   |  826  mots
Telle que conçue par ses principaux partisans, à savoir les producteurs de bouteilles en résine PET, pour qui le dispositif doit servir à améliorer leur recyclage, la consigne "va finir par légitimer le recours aux bouteilles en plastique", craint le président de la commission sénatoriale, Hervé Maurey. (Crédits : Charles Platiau)
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui l'a examiné mardi 17 septembre, dénonce un texte flou et ne permettant pas de réduire la production de déchets. Elle se montre particulièrement critique sur la consigne.

"Puisqu'il était présenté comme 'le grand projet de l'acte II du quinquennat', nous l'avons accueilli avec grand intérêt. Mais nous avons été très déçus".

Ainsi Marta de Cidrac, sénatrice des Yvelines affiliée aux Républicains, et rapporteure du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, résumé le sentiment de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat qui l'a examiné mardi 17 septembre.

"Alors que de nombreuses dispositions touchant à des sujets importants renvoient à des ordonnances voire à des décrets, rien n'est dit sur ce qui permet de lutter contre la production des déchets: la réduction du suremballage ou le gaspillage alimentaire par exemple", abonde Hervé Maurey, sénateur UC de l'Eure et président de la sus-dite commission.

Une "régression écologique"

Les sénateurs se montrent particulièrement critiques sur la consigne, "mesure phare" du projet de loi tel que présenté par le gouvernement, qui consiste en une forme de rémunération du tri des emballages des boissons. Non seulement la disposition qui introduit ce dispositif serait "floue" du fait de son renvoi à une ordonnance. Aussi, telle que conçue par ses principaux partisans, à savoir les producteurs de bouteilles en résine PET, pour qui le dispositif doit servir à améliorer leur recyclage, elle constituerait une "régression écologique", estime Hervé Maurey.

"Elle va finir par légitimer le recours aux bouteilles en plastique", craint-il en effet: "Comme en Allemagne, où depuis qu'elle existe la consommation de plastique à usage unique a augmenté de 60%".

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Les frais vont en revanche être payés par les consommateurs qui ne rapporteront pas les bouteilles, ainsi que par les collectivités locales, privées d'une partie importante de leurs recettes liées à la collecte des emballages recyclables, insiste le sénateur. Une étude commandée par la commission sénatoriale -qui n'avait reçu aucune étude d'impact sur le projet de loi, mais seulement un document émanant du syndicat national des professionnels des boissons rafraîchissantes- évalue l'ensemble de ces coûts à plus de 300 millions d'euros, alors que les bouteilles en PET ne représentent que 1% des déchets ménagers, précise Hervé Maurey.

Des mesures pour améliorer la collecte hors foyer

"Dans nos amendements, nous avons donc recentré la consigne sur le réemploi", en supprimant la possibilité que le dispositif s'applique au recyclage des bouteilles en plastique, explique Marta de Cidrac. Si ainsi redéfini le dispositif concernerait "surtout le verre", la commission a pourtant choisi de ne pas préciser la nature des matériaux concernés, afin de ne "pas fermer le champ", note la sénatrice.

"En même temps, nous avons souhaité élargir la réflexion à l'ensemble des emballages", souligne-t-elle, "en prévoyant des mesures pour lutter contre le suremballage, mais aussi pour améliorer la collecte des déchets en plastique hors foyer, où aujourd'hui elle fonctionne particulièrement mal".

Cela suffirait afin de passer du taux de collecte des bouteilles en plastique aujourd'hui atteint par la France, de 57%, à celui de 90% fixé par l'Union européenne pour 2029, estime la commission.

"Sans consigne, l'Autriche n'est pas moins performante que l'Allemagne, où la consigne existe", rappelle Hervé Maurey.

Le "point vert" pénalisé

La commission formule aussi des propositions visant à modifier d'autres points du projet de loi du gouvernement. Elle souhaite notamment étendre la nouvelle interdiction de destruction des invendus -pensée avec Amazon en ligne de mire- aussi aux produits alimentaires. Elle insiste aussi sur la nécessité d'améliorer l'information des consommateurs, en permettant par exemple de pénaliser financièrement l'apposition des signes susceptibles de les fourvoyer -le "point vert" notamment, qui prouve seulement le paiement d'une éco-contribution, mais est parfois compris comme indiquant qu'un produit est recyclable. Sur le sujet sensible des déchets du BTP et des décharges sauvages, la commission "fait le choix de préserver (...) le principe d'une REP assorti d'une faculté, pour les professionnels concernés, d'y déroger par un système équivalent", en garantissant dans tous les cas "la reprise gratuite des déchets triés", "un maillage territorial des points de collecte", "une extension des horaires d'ouverture de ces points" et "une traçabilité des déchets".

La commission admet en revanche avoir négligé la question du tri des autres déchets des entreprises, notamment celle de la mise en oeuvre du "décret 5 flux", pourtant encore souvent non appliqué. Elle invoque les "délais très courts" imposés par le gouvernement, qui a adopté le projet de loi en Conseil des ministres le 10 juillet et engagé une procédure d'examen parlementaire accélérée. La discussion en séance publique aura lieu les 24, 25 et 26 septembre.

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