EDF défie Engie et Air Liquide dans l'hydrogène "vert", TotalEnergies en embuscade

L'électricien historique a présenté son plan consacré à l'hydrogène vert. Il souhaite atteindre une capacité de production de 3GW d'ici la fin de la décennie et prévoit d'investir plusieurs milliards aux côtés de partenaires industriels et institutionnels. EDF n'est pas le seul à s'être lancé dans cette course internationale et d'autres acteurs, comme Engie et Air Liquide, sont déjà bien plus avancés.
Juliette Raynal
L'objectif est de développer 3 gigawatts (GW) de projets de production d'ici 2030, a indiqué Alexandre Perra, chargé de la direction innovation au sein d'EDF.
"L'objectif est de développer 3 gigawatts (GW) de projets de production d'ici 2030", a indiqué Alexandre Perra, chargé de la direction innovation au sein d'EDF. (Crédits : Regis Duvignau)

"Nous voulons être l'un des leaders de l'hydrogène décarboné en Europe". Mercredi 13 avril, EDF a présenté à la presse ses ambitions pour la petite molécule en dévoilant son plan hydrogène.

Présenté comme indispensable pour atteindre une économie neutre en carbone, l'hydrogène vert, produit à partir d'une électricité bas carbone, promet d'éviter l'émission de millions de tonnes de CO2 chaque année. Il est encore trois fois plus cher à produire que l'hydrogène gris, constitué à partir d'énergies fossiles, et son développement à l'échelle industrielle se heurte à de nombreux défis, dont le prix des électrolyseurs et le coût de l'électricité.

"L'objectif est de développer 3 gigawatts (GW) de projets de production d'ici 2030", a indiqué Alexandre Perra, chargé de la direction innovation au sein d'EDF. Cette puissance est à comparer aux 6,5 GW visés par la France dans le cadre de son plan hydrogène, lancé à l'automne 2020 et adossé à une enveloppe de 7 milliards d'euros sur 10 ans. Pour atteindre cet objectif, l'électricien entend, pour sa part, co-investir, avec des partenaires industriels et institutionnels, entre 2 et 3 milliards d'euros d'ici la fin de la décennie.

50 millions d'euros investis en 20 ans

EDF veut se positionner sur la production et la distribution d'hydrogène bas carbone, en tant que maître d'œuvre et exploitant. Il vise deux grands marchés : la mobilité lourde (comme les flottes de bus, les bennes à ordure ou encore les trains.) et l'industrie. "Nous n'avons pas pour vocation de fabriquer des électrolyseurs [outil industriel permettant de produire de l'hydrogène décarboné en cassant les molécules d'eau grâce à un courant électrique, ndlr]",a précisé Alexandre Perra. De même, l'électricien historique ne prévoit pas de transporter de l'hydrogène sur de longues distances.

"Ce plan repose sur un héritage. Cela fait 20 ans que nous nous intéressons à l'hydrogène via notre département de R&D", a souligné, le directeur exécutif responsable de l'innovation. "Nous avons investi 50 millions d'euros depuis 20 ans dans l'hydrogène", a-t-il fait valoir.

EDF a également investi en 2018 dans la société drômoise McPhy, spécialisée dans la fabrication d'électrolyseurs. Un moyen de se familiariser avec cet univers. L'électricien prend alors une participation de 20,4%, réduite à 14,4% lors d'une augmentation de capital ultérieure. En 2019, il crée Hynamics, une filiale 100% dédiée à l'ingénierie des projets d'hydrogène propre et à leur commercialisation. Dirigée par Christelle Rouillé, la jeune pousse, née d'un projet intrapreneurial, connaît aujourd'hui une forte croissance et devrait compter quelque 70 collaborateurs d'ici la fin de l'année.

Cet héritage est-il suffisant pour faire d'EDF un poids lourd du secteur ?

"A partir du moment où EDF produit de l'électricité et se positionne sur la mobilité électrique ça ne peut être qu'intéressant d'accélérer dans l'hydrogène décarboné, mais EDF est en retard, clairement", note Pierre Paturel, directeur d'études chez Xerfi. "Ils partent plus tard que les autres, mais ce n'est pas une tare car le marché de l'hydrogène décarboné est encore embryonnaire", nuance-t-il toutefois.

Aujourd'hui, l'électricien ne compte, en effet, qu'un seul mégawatt en exploitation. Le dispositif, inauguré à l'automne dernier, produit 400 kg par jour et permet d'alimenter cinq bus de l'agglomération d'Auxerre. "C'est très petit, mais le marché émerge seulement", commente Pierre Paturel. Hynamics prévoit, par ailleurs, de répliquer ce projet à Belfort et a également noué un partenariat avec Alstom afin de réduire le temps de chargement des trains à hydrogène transportant des voyageurs. EDF se targue, par ailleurs, d'avoir 1 GW de projets "dans les tuyaux".

Engie en avance

Reste que les concurrents de l'électricien ont de l'avance en la matière. C'est notamment le cas d'Engie.

"Engie est plus avancé parce que le gaz est son métier d'origine. Très vite, ils ont déterminé que l'hydrogène propre était intéressant pour eux", pointe Pierre Paturel.

L'ex-GDF-Suez fait ainsi l'acquisition dès 2018 de la société franco-italienne EPS, avant de la revendre quelques années plus tard. Le groupe consacre, chaque année, plusieurs millions d'euros pour ses recherches sur l'hydrogène vert et multiplie les collaborations avec les startups, les grands industriels et le monde académique. Ses nombreuses expérimentations autour de la molécule verte se concentrent notamment au Lab Crigen, le plus gros centre de recherche d'Engie, situé à Stains (Seine-Saint-Denis).

En novembre dernier, le géant du gaz a, lui aussi, présenté son plan hydrogène. Engie vise 0,6 GW de capacité de production électrique dans le monde d'ici 2025 via l'hydrogène, puis 4 GW en 2030, soit 1 GW de plus qu'EDF.

Le groupe, qui a déjà une vingtaine de stations de recharge en service, prévoit de parvenir à 50 d'ici 2025 et à une centaine en 2030, soit "10% du marché français environ", a précisé Sébastien Arbola, le nouveau responsable de la stratégie hydrogène du groupe.

Outre la production et la distribution, Engie entend aussi se positionner sur le transport longue distance d'hydrogène et sur son stockage, notamment via sa filiale Storengy, qui a réalisé des premières expérimentations. Il prévoit ainsi la construction de 170 km de réseaux d'ici 2025 et 700 km d'ici 2030. Il vise enfin 1 TWh de capacité de stockage en 2030.

Air Liquide maîtrise une grande partie de la clientèle

Air Liquide est l'autre grand rival sur ce secteur. Lui aussi a un train d'avance.

"L'hydrogène gris [celui produit à partir d'énergies fossiles, ndlr] est l'un de leurs métiers historiques. Air Liquide maîtrise donc une grande partie de la clientèle dans ce domaine. Le premier marché en volume de l'hydrogène décarboné sera l'industrie et, plus particulièrement, le remplacement de l'hydrogène gris dans les procédés industriels. Air Liquide dispose donc d'un avantage concurrentiel non négligeable", analyse Pierre Paturel.

Le géant des gaz industriels est, par ailleurs, le leader en France de l'hydrogène bleu, qui désigne l'hydrogène produit à partir d'énergies fossiles, mais dont les émissions de CO2 sont ensuite captées.

"Nous allons investir plus de 8 milliards d'euros dans l'hydrogène à l'horizon 2035 et tripler nos ventes d'hydrogène", a annoncé, en mars dernier, son PDG Benoît Potier, lors de la présentation du nouveau plan stratégique. Le chiffre d'affaires reposant sur cette minuscule molécule devrait ainsi passer de 2 milliards d'euros actuellement à environ 6 milliards d'euros en 2035.

TotalEnergies veut produire massivement de l'hydrogène propre

De son côté, TotalEnergies n'a pas encore présenté officiellement de plan hydrogène, mais son patron, Patrick Pouyanné, ne cache pas ses ambitions en la matière. La major pétro-gazière, elle-même grande consommatrice d'hydrogène gris dans ses procédés de raffinage, veut d'abord utiliser l'hydrogène propre pour décarboner ses propres opérations industrielles. En partenariat avec Engie, Total a ainsi déjà officialisé un premier projet de production d'hydrogène vert dans sa bioraffinerie de la Mède (Bouches-du-Rhône).

"Notre seconde ambition, c'est de devenir un producteur mondial d'hydrogène propre massif", avait indiqué dans une précédente interview à La Tribune Helle Kristoffersen, directrice de la stratégie et de l'innovation du groupe. Dans cette optique, l'entreprise pourrait coupler de grandes fermes d'électrolyseurs (qu'il ne fabriquera pas lui-même) à des grandes fermes solaires ou à des champs éoliens offshore afin de faire baisser les prix de production, qui dépendent à 70% du coût de l'électricité.

Une approche que souhaite aussi développer EDF. "Cette intimité avec la production électrique nous permet d'optimiser les coûts de production", affirme Alexandre Perra. Malgré cet avantage de taille, Pierre Paturel émet des doutes sur la capacité d'EDF à concrétiser son plan hydrogène.

"Il est évident que l'hydrogène n'est pas la priorité absolue d'EDF des prochaines années, qui doit se concentrer sur la commercialisation d'EPR et le prolongement de la durée de vie de ses centrales. En revanche, pour Engie et Air Liquide, l'hydrogène propre est vu comme une priorité stratégique", note l'observateur.

Des pépites à surveiller

En outre, d'autres acteurs, d'une taille beaucoup plus modeste, espèrent aussi tirer leur épingle du jeu. C'est le cas, par exemple, de la startup ligérienne Lhyfe, spécialisée dans la production d'hydrogène vert directement à partir d'énergies renouvelables, sans passer par l'électricité du réseau. Fin 2021, la jeune pousse a levé 50 millions d'euros et elle multiplie les contrats en Europe du Nord. En Allemagne, par exemple, Lhyfe va alimenter les trains à hydrogène de la Deutsche Bahn. "L'alimentation des trains c'est typiquement un marché visé par EDF et Engie", note Pierre Paturel.

 Autre acteur prometteur, la startup Soldavent. Elle est l'un des membres fondateurs du consortium européen HyDeal qui entend produire cette énergie au prix de 1,5 euro, soit à parité avec l'hydrogène carboné. Côté feuille de route, HyDeal envisage de démarrer sa production en Espagne en 2025, avec l'objectif d'atteindre, dès 2030, près de 3,6 millions de tonnes d'hydrogène à partir de 95 gigawatts de solaire couplés avec 67 gigawatts d'électrolyseurs. Un appétit, donc, bien plus énorme que celui des grands énergéticiens tricolores.

Juliette Raynal

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Commentaire 1
à écrit le 15/04/2022 à 11:11
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L'hydrogène produit sur base d'électricité nucléaire est il polluant ?

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