
Troisième round. Entraînés par la France, les pays européens favorables à un retour de l'énergie nucléaire sur le Vieux continent échangeront à nouveau ce mardi 16 mai, à Paris, après une première réunion à Stockholm le 28 février puis une deuxième le 28 mars à Bruxelles. Passés de 11 à 13, ces États seront désormais 16 à participer à la rencontre, dont 14 ayant formellement intégré le groupe : la Bulgarie, la Croatie, la République tchèque, l'Estonie, la Finlande, la France, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, la Slovénie, la Slovaquie, la Suède, la Belgique, l'Italie (en observateur), et le Royaume-Uni en tant qu' « invité spécial ». De quoi réjouir le gouvernement français, qui sème habilement ses graines depuis plusieurs mois afin de parvenir à une telle entente, et compte désormais marquer le coup, quelques semaines après la sortie définitive de l'atome par son voisin allemand.
« C'est un tournant [...], une confirmation de l'importance pour nos partenaires. [...] Il s'agit non seulement une alliance d'intérêts industriels, mais aussi une vraie alliance diplomatique pour peser beaucoup plus au sein de l'Union européenne et faire prévaloir nos intérêts sur le sujet », se félicite-t-on au sein du cabinet de la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.
Il faut dire que cette réunion durera plus longtemps que les deux précédentes, puisqu'elle s'étendra sur toute la matinée, contre 1h30 environ jusqu'alors. C'est d'ailleurs la première fois qu'un événement dédié se tiendra, et n'aura pas lieu en marge d'un Conseil européen de l'énergie. En tout, 12 membres de gouvernement feront le déplacement, dont 4 ministres de plein exercice (les autres pays envoyant des secrétaires d'Etat ou des ambassadeurs), ainsi que la Commissaire européenne à l'Energie, Kadri Simson. Avec, comme objectif, de « préparer la relance de l'industrie nucléaire en Europe », promet-on au sein du gouvernement français.
Imprimer sa marque sur les textes européens
Ainsi, l'idée sera d'envoyer un « message fort sur l'importance du nucléaire pour accélérer la décarbonation » et de « travailler sur la bonne intégration du nucléaire dans les politiques publiques européennes », précise un communiqué envoyé la veille par le ministère de la Transition énergétique, alors que la Commission européenne s'est longtemps montré frileuse à l'égard de cette source d'énergie, notamment depuis l'accident de Fukushima en 2011. D'où la présence de Kadri Simson à la réunion, précise-t-on dans l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher :
« C'est une façon pour les Etats membres présents d'attirer l'attention de la Commission dans la prise en compte du nucléaire dans l'élaboration des textes européens. »
Le lobbying a d'ailleurs déjà délivré ses premiers fruits à Bruxelles, à travers la prise en compte de l'hydrogène « durable » issu du nucléaire dans la directive sur les énergies renouvelables RED 3, ou encore via les incitations à produire de l'énergie atomique (sous condition) dans le projet de règlement sur l'industrie « Net Zéro » (NZIA) de la Commission, visant à accroître la fabrication de technologies propres sur le Vieux continent. « Et cela peut aussi se décliner dans le texte sur la réforme du marché de l'électricité », précise-t-on au cabinet d'Agnès Pannier-Runacher. Reste que le sujet cristallise les tensions entre Etats membres, alors que l'Allemagne et l'Espagne, notamment, s'opposent régulièrement à l'intégration du nucléaire dans lesdits textes.
Malgré ces dissensions, les pays qui se réuniront à Paris devront aussi « dresser un état des lieux » des réacteurs envisagés d'ici à 2050, et « leurs retombées pour l'économie européenne », peut-on lire dans le communiqué envoyé hier. Autrement dit, il s'agira de dresser un panorama général pour chaque pays, afin de définir quel type de synergies et de coordination pourront être mis en place, mais également de discuter des sujets épineux des compétences, de l'innovation et du financement. A cet égard, le Royaume-Uni contribuera aux discussions « sur les aspects plus industriels et matériels », grâce à son retour d'expérience sur les deux chantiers à Hinkley Point, où EDF construit deux réacteurs EPR, précise-t-on au ministère de la Transition énergétique.
Tourner le dos à la Russie
Un autre sujet brûlant sera également à l'ordre du jour : renforcer l'indépendance du continent vis-à-vis de la Russie, qui reste dominante sur l'amont du cycle du combustible nucléaire. En effet, avant de pouvoir produire de l'électricité, l'uranium extrait des mines doit être enrichi, via un processus industriel consistant à augmenter la proportion d'isotopes fissiles. Or, le pays dirigé par Vladimir Poutine reste le leader incontesté en la matière, avec 40% des capacités mondiales dont 30% en Europe et 25% aux Etats-Unis. Un héritage de la guerre froide qui enchaîne les Occidentaux, du moins sur le court terme. Surtout, seul le géant russe Rosatom sait assembler les combustibles de certaines centrales de conception soviétique en Europe, comme en Finlande, en Slovaquie, en Hongrie ou en République tchèque.
Dans ces conditions, les Etats de l'alliance devront discuter des « actions de soutien de l'Union européenne vis-à-vis de l'industrie nucléaire », souligne-t-on dans l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher. A cet égard, la France se dit prête à « mettre à disposition sa filière », notamment sur l'amont du combustible. Le groupe français Orano travaille d'ailleurs déjà sur une extension de son usine d'enrichissement de l'uranium du Tricastin (Drôme) afin de tourner peu à peu le dos à la Russie. Mais compte tenu des contraintes industrielles, « ce n'est pas quelque chose qui peut se faire du jour au lendemain », reconnaît-on au ministère.
Le sujet continue de diviser
Reste à savoir quel sera l'impact réel de ce groupe de 16 Etats sur les décisions de l'Europe, toujours divisée sur la question de l'atome, et si une relance de cette source d'énergie sur le Vieux continent aura bel et bien lieu. « On ne fermera jamais la porte à un pays de l'UE qui souhaite se joindre à cette réunion », assure-t-on en tout cas dans l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher. D'autant que ce format « a vocation à perdurer », insiste un porte-parole, alors que la ministre réunira probablement ses homologues en marge du prochain Conseil de l'énergie le 19 juin au Luxembourg.
Mais, signe des divergences, le petit pays européen lui-même s'oppose à une telle alliance : fin février, à Stockholm, le Luxembourg, l'Allemagne, l'Autriche et l'Espagne avaient réaffirmé leur hostilité à un retour de l'atome. Interrogé sur ces dissensions, le cabinet d'Agnès Pannier Runacher souligne que « le choix de sortir du nucléaire » est « souverain », au même titre que la décision de le relancer. Au risque de séparer l'Union en deux blocs fermement opposés sur la question pourtant cruciale de la transition énergétique du Vieux continent ?
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