
Faut-il durcir la grève dans les centrales nucléaires, hydrauliques et thermiques, au risque de mettre en péril la sécurité d'approvisionnement électrique de la France, ou bien modérer les baisses de charge pour protéger les usagers, à la demande du gestionnaire du réseau électrique RTE ? Au sein de la CGT, qui appelle depuis vendredi les agents d'EDF à se mobiliser massivement contre le projet de réforme des retraites, le sujet divise.
En effet, alors que pour la déléguée syndicale CGT Mines-Energie Virginie Neumayer, « il y a des lignes à ne pas franchir » en tant qu' « organisation responsable », de plus en plus de voix s'élèvent pour « pousser [c]es lignes un peu plus loin », confie à La Tribune son secrétaire fédéral, Fabrice Coudour. En cause : le respect des messages d'alerte de RTE, qui empêchent les grévistes de mettre à mal le système électrique au nom de la continuité du service public, quelles que soient leurs revendications.
RTE veille au grain
Il faut dire que le droit de grève des salariés d'EDF est loin d'être illimité. « Dès qu'il peut y avoir un impact sur la sécurité d'approvisionnement, on envoie des messages aux opérateurs des centrales en leur demandant d'arrêter de baisser la production, voire de la remonter au niveau initial », explique-t-on chez RTE, chargé d'équilibrer à tout moment l'offre et la demande d'électricité. Et ceux-ci sont obligés de s'y plier, sous peine d'une sanction pouvant aller de l'avertissement à la mise en retraite d'office, en vertu de la « note Bénat » de 1989.
Alors que les salariés d'EDF ont enclenché d'importantes baisses de production depuis vendredi dernier, sans attendre la journée de mobilisation interprofessionnelle de ce mardi 7 mars, RTE a d'ailleurs eu recours « plusieurs fois » à ce mécanisme ces derniers jours, lequel a « bien été respecté », selon l'organisme. « Il n'est pas question de désobéissance ! [...] En tant qu'agents de services publics, les grévistes répondent à ces injonctions pour assurer les besoins du réseau », précise Virginie Neumayer.
Ainsi, même si ces derniers ont privé le réseau tricolore de plus de 12.000 mégawatts (MW) en cumulé de vendredi à lundi (soit l'équivalent d'une douzaine de réacteurs atomiques en moins réparti sur quatre jours) il n'y a pas eu de risque de coupure pour l'usager, même s'il a fallu compenser par davantage d'importations.
Mettre le système « un peu plus en tension »
Seulement voilà : au vu du contexte, « de vraies questions se posent désormais lors des assemblées générales sur le fait d'écouter ou non les premières alertes [...] malgré le risque encouru », souligne Fabrice Coudour.
« Notre but n'est pas de mettre les usagers en difficulté outre-mesure ou de faire s'écrouler le réseau électrique. Mais quand on n'est pas entendus, qu'est-ce qu'il nous reste d'autre que le mettre un peu plus en tension ? », s'interroge le syndicaliste.
Ce ne serait pas une première : des contournements de messages ont déjà eu lieu dans le cadre de grosses mobilisations, comme celle contre la retraite à points en 2019. Ce qui n'a pas conduit à une rupture de charge entraînant des coupures pour l'usager, rappelle Fabrice Coudour.
« Ne pas écouter ces alertes peut aussi passer par un détachement de la centrale à la conduite et au pilotage du réseau, de manière à ce qu'elle n'ait plus de liens avec RTE et soit entièrement aux mains des grévistes, sans pour autant qu'elle s'arrête de produire », explique le délégué fédéral de la FNME-CGT.
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D'autres leviers d'action
Pour l'heure, cependant, Fabrice Coudour s'en tient au conditionnel. « Les décisions qui seront prises en assemblée générale dans les prochains jours auront peut-être une teneur un peu plus dure qu'actuellement », prévient-il.
De son côté, Virginie Neumayer préfère miser sur un autre type d'action « innovante » et « très pénalisante » : chahuter le calendrier de contrôle des centrales nucléaires, comme à Dampierre (Loiret) en janvier dernier.
« Ces derniers mois, des salariés n'ont pas respecté le programme d'arrêt de réacteurs en signe de protestation. Cela a désorganisé le travail des équipes d'intervention, et a lourdement pesé sur l'organisation et les coûts de la maintenance », explique la syndicaliste.
Enfin, RTE redoute l'activation d'un dernier levier de mobilisation : les interventions ciblées sur le réseau. « Certains de nos salariés ou de ceux d'Enedis pourraient se rendre dans des postes électriques et provoquer des coupures localisées, via des disjoncteurs par exemple », explique-t-on chez RTE. C'est d'ailleurs ce qu'il s'est passé à Angers en juin dernier, où plusieurs dizaines de milliers de foyers se sont vu privés d'électricité à la suite d'« actes de malveillance » perpétrés lors de grèves.
Interrogé sur le sujet, Fabrice Coudour assure que « toutes les discussions sont ouvertes ». « Le gouvernement n'est pas en capacité de mettre un CRS à chaque pied de pylône. [...] On sera jusqu'au-boutistes, et on se fera les porte-voix de ce qui a été choisi en AG », assure-t-il. Avant d'ajouter qu'il ne s'agira « pas pour autant [de] se mettre en porte-à-faux vis-à-vis des usagers ». Un numéro d'équilibriste, alors que les grévistes comptent logiquement sur leur pouvoir de nuisance pour peser dans les négociations.
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