Sûreté nucléaire : les salariés de l’IRSN en grève rejettent la réforme « brutale » de leur institut et demandent un « vrai diagnostic »

Les salariés de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) s'opposent à la réforme surprise du système de contrôle de la sûreté nucléaire, annoncé il y a douze jours par le gouvernement. Mobilisés près de Marseille ce matin et à Paris cet après-midi, ils dénoncent une précipitation et demandent à Agnès Pannier-Runacher « de renoncer à l'intégration d'un amendement visant le démantèlement de l'IRSN, dans le projet de loi d'accélération du nucléaire ».
Juliette Raynal
(Crédits : Reuters)

Une centaine de salariés, selon l'intersyndicale (CGT, CFDT et CFE-CGC), de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a manifesté ce matin sur le site de Cadarache (Bouches-du-Rhône) contre le projet de réforme de l'institut, annoncé le 8 février dernier par le gouvernement. « En temps normal, quelque 300 personnes travaillent sur le site, mais nous sommes en plein pendant les vacances scolaires », pointe Philippe Bourachot, délégué syndical central CGT.

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Une manifestation est également prévue cet après-midi à Paris, près du ministère de la Transition énergétique. Plusieurs centaines de personnes sont attendues par l'intersyndicale. Si les syndicats reconnaissent que le système actuel est « perfectible », ils s'opposent à ce projet de réforme jugé trop « brutal ».

Poser un diagnostic

« Ce qui nous manque, c'est un vrai diagnostic pour savoir pourquoi nous avons besoin de cette réforme », explique Philippe Bourachot.

Dans une lettre ouverte, l'intersyndicale demande ainsi à la ministre de la Transition énergétique Agnès-Pannier Runacher « de renoncer à l'intégration d'un amendement visant le démantèlement de l'IRSN, dans le projet de loi d'accélération du nucléaire qui a déjà été examiné par le Sénat, par le Conseil d'Etat et a fait l'objet d'une étude d'impact ».

« Nous ne comprenons pas la précipitation avec laquelle cette réforme est engagée à travers un amendement au projet de loi d'accélération du nucléaire qui serait déposé d'ici la fin du mois. Ce calendrier ne permet pas de prendre en compte la complexité d'un système de gouvernance des risques nucléaires et radiologiques qui concerne les installations nucléaires civiles et de défense, les usages médicaux des rayonnements, la gestion de crise, les impacts des rayonnements sur la santé et sur l'environnement, etc, », écrit l'intersyndicale.

Une feuille de route attendue avant minuit

En pleine relance du nucléaire français, le gouvernement a annoncé le 8 février son intention de supprimer l'IRSN, vigie et expert du risque radiologique, pour « fluidifier les processus d'examen » : experts et scientifiques rejoindraient les équipes de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN, le gendarme du nucléaire civil) et du Commissariat à l'énergie atomique (CEA).

Les dirigeants de l'IRSN, de l'ASN et du CEA ont eu douze jours pour élaborer une feuille de route permettant de mettre en œuvre les orientations voulues par le gouvernement. Ils doivent la remettre à Agnès Pannier-Runacher ce lundi avant minuit.

Les représentants syndicaux de l'IRSN ont partagé vendredi soir leurs inquiétudes auprès de la ministre. Ils craignent notamment une perte d'indépendance et de transparence, mais aussi que les équipes d'experts soient séparées des équipes de recherche. « Un schéma » de répartition qui ne serait toutefois « pas encore tranché », selon les propos de la ministre rapportés par les syndicats.

Indépendance et transparence

Au début des années 2000, la France, comme d'autres pays dont la Finlande, a privilégié une approche duale pour assurer la sûreté de ses installations nucléaires. La procédure se déroule ainsi : si EDF souhaite faire une demande de dérogation ou obtenir une autorisation, il saisit l'ASN, le gendarme du nucléaire. Celui-ci se tourne alors vers l'IRSN, qui se charge de réaliser l'analyse technique liée à cette demande.

« L'IRSN met en marche sa machine d'experts pour rendre un avis dans des délais négociés avec l'ASN. L'IRSN rend ensuite son avis de manière indépendante à l'ASN et le publie sur son site en parallèle », détaille Philippe Bourachot. « L'ASN prend sa décision au regard de cet avis technique, mais va aussi prendre en compte des enjeux politiques, financiers, industriels et nationaux. Elle a une vision beaucoup plus large », expose-t-il. Si un avis technique de l'IRSN diverge d'une décision prise par l'ASN, le public peut s'en rendre compte en consultant en ligne les avis des deux organismes.

« Aujourd'hui, le fait d'être totalement indépendant de l'autorité de sûreté permet à l'expert technique de rendre son avis sans aucune pression. Demain, si on fusionne, le risque c'est que le gendarme du nucléaire puisse influencer l'avis technique », alerte-t-il.

Risque de « paralysie » et appel à la prudence

Jeudi dernier, le Conseil d'administration de l'IRSN a également alerté sur le risque de « paralysie » de la sûreté nucléaire que poserait sa suppression, dans une motion votée à une très large majorité (18 voix pour, 4 contre, 2 abstentions), selon l'intersyndicale de l'institut. « Le conseil d'administration alerte le gouvernement et appelle à la vigilance sur le risque de départs du personnel de l'IRSN pouvant entraîner une paralysie du système de contrôle en radioprotection et sûreté nucléaire ».

Le même jour, les parlementaires ont multiplié les interrogations sur le choix soudain du gouvernement de réformer l'IRSN. Ils étaient réunis spécialement par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques (OPECST), qui n'avait pas convié les représentants syndicaux.

Invité à apporter sa distance de chercheur, l'historien du nucléaire Michael Mangeon a pour sa part appelé à la prudence.

« A ce stade, j'aurai du mal à dire si la sûreté se retrouve renforcée ou non avec ce projet de réforme », a-t-il dit, relevant cependant que « démarrer un programme nucléaire sur un système en mutation, pas encore stabilisé, présente un risque en matière de sûreté »

Juliette Raynal

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Commentaires 4
à écrit le 21/02/2023 à 13:12
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Notre Président autocrate veut rayer de carte de tout ce qui pourrait gêner sa politique. Politique qui malgré ses discours pompeux ne génère pas de croissance dans les domaines des nlles technos. Le Président beaucoup de discours pompeux pour des ré...

à écrit le 20/02/2023 à 15:37
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Comme pour les retraites une bonne réforme devrait être expliquée et comprise, là je suppose un tantinet que ça ne vient de nulle part et que c'est déjà dans les cartons. l'IRSN est l'échelon technique de l'ASN et à moins de tout remplacer par madam...

à écrit le 20/02/2023 à 13:07
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Ils l'ont bien cherché, depuis des années qu'ils coupent la branche sur laquelle ils sont assis. Infestés par des écolos bobos en faisant de la surenchère , ils écopént et récoltent ce qu'ils ont semé

le 20/02/2023 à 16:52
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Les écolos bobos sont partout, y compris au ministère, à l'ASN et même chez EDF.

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