
Et de dix. Le mouvement de grève qui touche les centrales nucléaires d'EDF, où les opérateurs réclament eux aussi une revalorisation des salaires dans un contexte de forte inflation, s'étend peu à peu. Selon le décompte de la CGT, à l'initiative de ce mouvement, dix centrales nucléaires étaient désormais concernées par la mobilisation des grévistes ce lundi 17 octobre, contre neuf au cours du week-end. C'est la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux, située à mi-chemin entre Blois et Orléans (Loir-et-Cher), qui s'est ajoutée à la liste composée des centrales de Belleville, Bugey, Cattenom, Cruas, Dampierre, Gravelines, Paluel, Saint-Laurent, Saint-Alban. Contacté par la rédaction, EDF n'était pas encore en mesure de confirmer ce décompte.
« Au total, dix sites sont concernés. Dans le détail, le mouvement touche 13 réacteurs actuellement à l'arrêt pour maintenance et dont les travaux sont suspendus par la grève. Par ailleurs, quatre réacteurs connaissent, eux, des baisses de puissance partielle », rapporte Virginie Neumayer, déléguée syndicale CGT de la Fédération nationale des mines et de l'énergie. Au petit matin, cette baisse de puissance partielle représentait 2.200 mégawatts (MW).
Les grévistes sont des salariés qui travaillent en trois-huit. Ils sont membres des équipes de conduite, qui gèrent le pilotage des réacteurs, ou celles responsables du déchargement et du chargement des combustibles. Mais, dès demain, le mouvement de grève pourrait s'étendre à d'autres professions.
Deux autres centrales pourraient rejoindre la grève
« Deux autres sites pourraient rejoindre le mouvement au quart de nuit », indique, par ailleurs, Virginie Neumayer, tandis que l'assemblée générale qui s'est tenue à la centrale de Penly, en Normandie, a voté un arrêt de travail à compter du 18 octobre. La CGT, première organisation syndicale chez EDF avec une représentativité de 34,60%, n'est pas l'unique syndicat à la manœuvre. « Sur certains sites, comme à Gravelines [Nord, ndlr], des intersyndicales se sont montées », affirme Virginie Neumayer.
L'ampleur de la baisse de la production électronucléaire peut varier au cours de la journée selon les décisions prises par les équipes de conduite, qui assurent le pilotage des réacteurs nucléaires. Ces équipes travaillent en trois-huit. A chaque prise de quart, les salariés votent à main levée la poursuite, ou non, de la mobilisation. Si la grève est votée, les salariés grévistes restent aux manettes de la centrale mais procèdent à une baisse de la production nucléaire, en signe de contestation. Huit heures plus tard, si l'équipe suivante décide de ne pas poursuivre la grève, alors la production du réacteur concerné remonte progressivement.
La stabilité du réseau pas menacée dans l'immédiat
La production électrique peut aussi remonter, ou du moins la baisse de production se stopper, à la demande de RTE. Le gestionnaire du réseau de transport électrique doit, en effet, s'assurer en permanence de l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité. S'il y a un risque qui pèse sur cet équilibre, RTE envoie des messages d'alerte à l'opérateur. « Il y a différents niveaux. Nous pouvons demander à l'opérateur en grève de stopper les baisses ou de remonter la production », explique le gestionnaire. Objectif : éviter de recourir à des importations d'électricité non prévues.
Si un salarié gréviste ne répond pas à cette demande, il s'expose à une sanction pouvant aller de l'avertissement à la mise en retraite d'office. La note Bénat du 27 octobre 1989 assure, en effet, la continuité du service public en cas de grève. « Nous sommes une organisation syndicale responsable et il y a des lignes à ne pas franchir », ajoute Virginie Neumayer. « En tant qu'agents de services publics, les grévistes répondent aux injonctions de RTE pour assurer les besoins du réseau », poursuit-elle.
Cette obligation écarte donc tout risque de coupure d'électricité dans l'immédiat, sans que le gouvernement n'ait besoin de recourir à la réquisition du personnel, comme il a pu le faire pour assurer le fonctionnement minimum de certains dépôts et raffineries.
Craintes pour cet hiver
En revanche, ce mouvement de grève affecte d'ores et déjà le calendrier du retour de certains réacteurs sur le réseau électrique. EDF a ainsi annoncé dès samedi soir avoir repoussé le redémarrage de cinq réacteurs nucléaires. Les mouvements sociaux peuvent « avoir un impact sur le planning de retour en production de certains réacteurs », avait indiqué une porte-parole du groupe.
Or la France s'apprête à traverser un hiver particulièrement tendu en raison de la crise gazière qui touche toute l'Europe et d'un parc nucléaire particulièrement affaibli par un problème de corrosion sous contrainte. Il y a un mois, RTE estimait ainsi que la France pourrait connaître cet hiver entre 0 et 10 moments très tendus sur son réseau, impliquant de possibles coupures d'électricité organisées. Une mise à jour de ses prévisions, prenant en compte ces mouvements de grève, sera dévoilée demain à l'occasion d'un point presse mensuel.
Hausse des salaires et réinternalisation d'activités clefs
« Rien ne justifie une grève préventive alors que des négociations salariales s'ouvrent mercredi », a critiqué dimanche la cheffe du gouvernement sur TF1. « Si nous ne nous étions pas mobilisés aujourd'hui, les négociations salariales prévues initialement en novembre n'auraient pas été avancées. La hauteur des acquis des négociations sera à la hauteur de la mobilisation », répond Virginie Neumayer.
Une vision qui n'est pas partagée par la CFDT, qui, elle, n'a pas pris part à ce mouvement. « Nous ne voulons pas crier avant d'avoir eu mal. Nous ne sommes pas fans des grèves préventives », explique Sébastien Michel, secrétaire fédéral FCE-CFDT, en charge de la politique énergétique, qui espère que les négociations « trouveront un point de chute d'ici la fin de la semaine ».
Comme l'a rappelé Elisabeth Borne hier, un accord de branche dans l'énergie a déjà été signé en octobre, « y compris par la CGT", mais cet accord n'est pas considéré comme suffisant. "C'est un accord a minima. Il couvre bon an mal an la moitié de l'inflation. Des efforts substantiels sont attendus de la part des entreprises », reconnaît Sébastien Michel.
Les grévistes des centrales demandent 200 euros d'augmentation pour tous, sur les sites nucléaires. « De manière transverse, nous demandons une revalorisation salariale qui compense l'inflation et qui récompense le professionnalisme et l'expérience des équipes », précise la déléguée syndicale, alors que la filière nucléaire, sous tension, manque de bras. Outre ces revendications sur les salaires, les grévistes des centrales nucléaires, demandent la réinternalisation de plusieurs activités aujourd'hui confiées à des prestataires, comme la tuyauterie, la robinetterie, ou encore la robotique.
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