Les majors du pétrole contraintes d'embrasser la transition énergétique à marche forcée

De plus en plus pressés par leurs actionnaires sur les questions climatiques et forcés de diversifier leurs activités face à l'incertitude qui plane sur la demande et les prix de l'or noir, les grands groupes pétroliers multiplient les investissements dans le solaire et l'éolien. S'ils représentent plusieurs milliards d'euros par an pour les majors européennes, ces investissements dans les renouvelables restent encore très minoritaires dans leurs dépenses totales. Mais la crise sanitaire agit comme un accélérateur.
Juliette Raynal
(Crédits : Reuters)

Total accélère à toute vitesse dans les renouvelables. Depuis le début d'année, les annonces se multiplient. Le 11 janvier, il annonce l'acquisition du champion français de gaz renouvelable, Fonroche biogaz. Le 13 janvier, il présente un projet ambitieux de production d'hydrogène vert pour sa bioraffinerie de La Mède, en partenariat avec Engie. Dans la foulée, il dévoile la création d'une coentreprise aux Etats-Unis pour y développer massivement le solaire. Dernière annonce en date : un investissement supérieur à 2 milliards d'euros pour développer à grande échelle l'énergie solaire en Inde en se rapprochant un peu plus du conglomérat Adani, actuel numéro un mondial du photovoltaïque.

Le groupe tricolore met ainsi en musique, et à un tempo très soutenu, son nouveau plan stratégique multi-énergie. Dévoilé à l'automne dernier, celui-ci doit lui permettre d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 dans le monde, scope 3 inclus en Europe. C'est-à-dire en prenant en compte les émissions générées par le pétrole et le gaz utilisés par ses clients. Périmètre qui représente près de 75% des émissions des compagnies pétrolières. Concrètement, Total vise la production de 35 GW d'énergies renouvelables d'ici à 2025 dans le monde, avec l'ambition que sa production d'énergies renouvelables atteigne 40% du total de ses ventes d'ici à 2050.

Les majors visent la neutralité carbone

Le groupe dirigé par Patrick Pouyanné n'est pas le seul à entamer ce virage vers les renouvelables.

"La plupart des grandes compagnies pétrolières européennes ont pris, ou sont en train de prendre, des engagements sur la neutralité carbone", note Philippe Vié, directeur du secteur Energie, utilities et chimie du groupe Capgemini.

BP mise ainsi sur l'éolien outre-Atlantique et vise, à l'horizon 2030, une réduction de 40% de sa production de pétrole et gaz et une production de 50 GW de renouvelables. De son côté, Shell veut investir à terme 1 à 2 milliards de dollars par an dans les énergies vertes. Dans cette optique, il a mis la main, fin 2019, sur Eoli, spécialiste de l'éolien flottant. Le norvégien Equinor, lui aussi, table sur l'éolien offshore et a annoncé le plus grand parc au monde en 2023 « Dogger Bank project » au Royaume-Uni, en joint-venture avec le distributeur d'énergie écossais SSE.

"Parmi les investissements des pétroliers en dehors de leurs activités traditionnellesliés à la transition énergétique, environ 55% sont dédiés au photovoltaïque, 40% à l'éolien (à part égale sur le terrestre et l'offshore) et le reste se répartit entre les biocarburants et la capture et le stockage des émissions de CO2 (CCUS)", résume Philippe Vié.

Priorité au solaire

Le solaire l'emportant sur l'éolien pour des raisons de simplicité, les temps de développement étant plus courts dans le solaire que dans l'éolien, davantage exposé aux recours juridiques. Par ailleurs, la production d'énergie solaire est aujourd'hui la plus compétitive dans le monde (environ 40 euros le mégawattheure) et les coûts devraient encore diminuer.

Si cette tendance s'est accélérée en 2020 sous l'effet de la crise sanitaire qui a largement impacté le secteur avec l'effondrement des prix du baril provoqué par le net ralentissement des déplacements dans le monde, elle s'observait déjà en 2019. Sur cette seule année, l'agence Bloomberg avait recensé plus de 70 transactions réalisées par les compagnies pétrolières dans le secteur des renouvelables.

Comment expliquer ce tournant ? "Les entreprises pétrolières sont confrontées à une pression très forte de leurs actionnaires qui les poussent à embrasser la transition énergétique", relève Philippe Vié. En France, une première résolution climatique a ainsi visé Total lors de sa dernière assemblée générale. "Les majors pétrolières doivent aussi diversifier leurs activités", ajoute-t-il, alors que pour le britannique BP, la demande d'or noir pourrait d'ores et déjà avoir atteint son pic et ne plus jamais retrouver ses niveaux d'avant le Covid-19.

Un virage accéléré par la pandémie

La pandémie, qui s'est propagée en même temps qu'une guerre des prix féroce entre l'Arabie Saoudite et la Russie, est venue précipiter cette transition. Résultat, les actifs fossiles, de plus en plus risqués, perdent de la valeur.  Ainsi "en neuf mois, les européennes Shell, BP, Total, Eni, Equinor et Repsol, ainsi que l'américaine Chevron, ont collectivement déprécié pour 87 milliards de dollars d'actifs", souligne dans son rapport 2020 l'association Climate Chance.

Ce basculement s'est aussi illustré à Wall Street. En août dernier, le géant pétrolier Exxon est sorti du célèbre indice Dow Jones. Quelques mois plus tard, la valeur de l'ancienne société la plus chère du monde (détrônée par Apple en 2011) s'est faite dépassée par celle de NextEra, une société américaine spécialisée dans le solaire et l'éolien. Tout un symbole.

Environ 100.000 suppressions d'emplois

Ces pertes de valeurs se sont ensuite traduites en plans sociaux de grande ampleur. Le groupe de service pétrolier Schlumberger envisage ainsi de supprimer 21.000 emplois dans le monde (dont 400 en France). De son côté l'anglo-néerlandais Shell prévoit de supprimer entre 7.000 et 9.000 postes à cause de la crise sanitaire. Même ordre de grandeur du côté de BP, qui table sur 10.000 suppressions de postes. C'est respectivement 11.000 et 6.000 chez les américains ExxonMobil et Chevron. Total semble s'en sortir mieux que les autres avec la suppression de "seulement" 700 postes, soit moins de 1% des effectifs. Mis bout à bout, l'industrie pétrolière pourrait perdre jusqu'à 100.000 emplois selon Oil & Gas Journal.

Ces plans sociaux doivent permettre aux majors pétrolières de se restructurer pour accélérer encore davantage dans les renouvelables. Car aujourd'hui, les investissements des entreprises du secteur du gaz et du pétrole dans la transition énergétique restent encore largement minoritaires. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), ils ne représentent que 0,8% de leurs dépenses en capital.

Encore 90% des investissements dans l'énergie fossile

"C'est une moyenne et cela n'est pas vrai pour les majors européennes, dont la fourchette se situe plutôt entre 10 et 15%", nuance Philippe Vié. "Cela représente des montants colossaux car certains de ces groupes investissent entre 20 et 40 milliards de dollars par an. Avec 10%, on parle donc de 2 à 4 milliards de dollars investis chaque année dans la transition énergétique. Ce n'est pas du tout négligeable", poursuit-il.

En parallèle, les investissements dans la recherche de nouveaux gisements continuent de baisser et ce tant que les incertitudes planeront sur la demande et sur les prix du brut."Nous sommes sur un rythme, aujourd'hui, de moins 20%. Cela représente des baisses de l'ordre de 4 à 8 milliards d'euros pour une major européenne. Ce sont des coupes très significatives qui mettent leurs réserves à risque. Si elles ne réinvestissent pas pour en trouver de nouveaux, leur empreinte va se réduire", prévient Philippe Vié.

"Shell et Total continuent toutefois à réaliser 90 % de leurs investissements dans les énergies fossiles", rappelle néanmoins Climate Chance. "En matière de transition énergétique et de neutralité carbone, les majors européennes sont les bons élèves d'une très mauvaise classe", reconnaît Philippe Vié. Selon lui, l'avance des grandes compagnies du Vieux Continent s'explique pour trois raisons.

Les majors américaines à la traîne

"L'Europe est en avance sur le plan de la transition énergétique et les volumes se sont réduits. Par ailleurs, aux Etats-Unis, les entreprises ont investi massivement dans le pétrole et le gaz de schiste pour des raisons d'indépendance énergétique, avec de fortes connotations géopolitiques. Aujourd'hui, les Etats-Unis produisent 85% du pétrole qu'ils consomment et ce sont le troisième exportateur de gaz dans le monde", expose-t-il.

La prise de fonction de Joe Biden à la Maison blanche ce 20 janvier aura-t-elle un impact sur cette industrie ?

"C'est une industrie qui a le soutien des autorités quelle que soit leur couleur politique. On peut s'attendre à une accélération dans les énergies renouvelables, et de nombreuses centrales à charbon ferment mais le ralentissement sur le gaz et le pétrole ne sera pas brutal, pour des raisons géostratégiques et de réalité économique", anticipe Philippe Vié.

Reste que si les entreprises pétrolières ne prennent pas le virage des renouvelables suffisamment vite, leur pronostic vital pourrait être engagé à moyen et long terme.

Juliette Raynal

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Commentaires 5
à écrit le 21/01/2021 à 8:56
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Si le secteur pouvait enfin se remettre à avancer en faisant par exemple des moteurs plus économiques, beaucoup plus, cela ne serait pas du luxe car secteur qui de part sa cupidité maladive est en train de se suicider, au lieu d'investir ils ont ent...

à écrit le 20/01/2021 à 18:17
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Le nouvel ordre mondial à marche forcée grâce à la dictature ecolo-néolibérale ...

à écrit le 20/01/2021 à 18:16
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On ne reviendra pas a la lampe a huile mais sans doute a la traction animale!

à écrit le 20/01/2021 à 14:56
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rira bien qui rira le dernier j'avais vu passer une etude ou du moins un article sur les couts/100km des differentes energies........ de memoire l'electricite c'etait 3 euros ( bon,y a pas encore 80% de taxes dessus, avec ca fera entre 12 et 15), l...

le 20/01/2021 à 17:17
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Facture sous les yeux d'une petite maison: facture d'électricité 100 euros dont environ dont 30 d'abonnement et 30 de taxes...

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