Comment la France a orchestré le retour du nucléaire en Europe

Onze pays de l'Union européenne, emmenés par la France, ont annoncé ce mardi un renforcement de leur coopération dans l’atome civil pour développer « de nouveaux projets », malgré l’hostilité de l’Allemagne. Ces derniers mois, l’Hexagone semait habilement ses graines afin de parvenir à une telle alliance, à travers un lobbying intense en coulisses et des ententes de circonstance.
Marine Godelier
Agnès Pannier-Runacher.
Agnès Pannier-Runacher. (Crédits : Reuters)

Comme un air de déjà-vu. A la fin des années 1950, dans une Europe marquée par la crise du canal de Suez et la hausse des prix du pétrole, la France poussait pour une coopération en matière d'énergie nucléaire sur le Vieux continent, afin d'assurer son « autosuffisance ». En était ressorti le fameux traité Euratom de 1957, actant la mise en commun des ressources pour développer cette technologie dans les Etats membres.

Plus de soixante ans plus tard, la petite musique revient. Car au nom de la « sécurité d'approvisionnement », mais aussi de « l'atteinte des objectifs climatiques », l'Hexagone prépare désormais le retour en force de l'atome civil en Europe. Et cherche ardemment des alliés parmi les Vingt-Sept, afin de peser dans les négociations face à des voisins peu favorables à cette source d'électricité bas carbone, l'Allemagne et l'Espagne en tête.

En effet, la ministre tricolore de l'Énergie, Agnès Pannier-Runacher, a convoqué mardi une réunion en ce sens, en marge d'un conseil des ministres de l'Énergie des pays de l'UE qui se tenait à Stockholm (Suède). Et le résultat ne s'est pas fait attendre : la France s'est entendue avec dix autres pays (Bulgarie, Croatie, République tchèque, Hongrie, Finlande, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie) pour « soutenir de nouveaux projets » nucléaires, basés notamment « sur des technologies innovantes » mais aussi « l'exploitation des centrales existantes », a-t-on appris à son issue.

Dans une déclaration commune, les dirigeants prévoient ainsi des programmes conjoints de formation, « des possibilités de coopération scientifique accrue » dans le « développement de capacités nucléaires », et le « déploiement coordonné des meilleures pratiques dans la sécurité ». De quoi envoyer « un signal politique très important », se félicite-t-on dans l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher.

Des courriers envoyés à la Commission

Il faut dire que, ces derniers mois, la France semait habilement ses graines afin d'y parvenir. A l'échelle nationale, le gouvernement a bien sûr annoncé, en février 2022, la relance de l'atome sur le territoire, avec la prolongation « aussi longtemps que possible » du parc existant et la construction de nouveaux réacteurs. Mais ses émissaires n'ont pas non plus chômé à Bruxelles, puisque l'Hexagone y a mené un lobbying intense, dans un but précis : parvenir à la reconnaissance du nucléaire comme une énergie bas carbone, donc « durable », afin de lui promettre un avenir - et des sources de financement. Se dessinaient ainsi déjà, depuis quelques années, des premières alliances emmenées par la France sur le Vieux continent, à travers des courriers envoyés à la Commission européenne.

Celui pour l'intégration de l'atome civil dans la « taxonomie verte » de l'UE, d'abord, cette liste censée attirer les capitaux vers les activités durables. En effet, fin mars 2021, les dirigeants de sept Etats (République tchèque, France, Hongrie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ont lancé, dans une lettre adressée à l'exécutif bruxellois, un « appel d'urgence pour assurer des règles du jeu équitables pour l'énergie nucléaire dans l'UE, sans l'exclure des politiques et des avantages climatiques et énergétiques », malgré l'opposition ferme de l'Allemagne et de l'Autriche. Et ont obtenu gain de cause dans le texte finalement adopté mi-2022, au grand dam des antinucléaires.

Mais aussi, plus récemment, sur l'importance du nucléaire dans la production d'hydrogène « vert ». Car début février, neuf États membres (les mêmes, la Bulgarie et la Croatie en plus) ont à nouveau envoyé un courrier à la Commission européenne plaidant en ce sens, là encore contre l'avis de Berlin. Une « minorité de blocage », selon les termes d'Agnès Pannier-Runacher, qui a permis d'obtenir une victoire significative : le 9 février dernier, la commission Énergie du Parlement européen reconnaissait officiellement l'hydrogène produit à partir d'électricité atomique comme une énergie « bas-carbone ». Et dès le lendemain, la Commission européenne, jusqu'alors très frileuse, acceptait elle-même une exception pour le nucléaire dans la fabrication de l'hydrogène étiqueté comme « renouvelable », après des mois de batailles intenses en coulisses.

Lire aussiHydrogène issu du nucléaire : les fourberies de Berlin

Divisions en Europe

La déclaration conjointe de ce mardi apparaît donc, dans ces circonstances, comme la suite logique d'une union qui se constituait depuis des mois. S'y sont greffés les Pays-Bas, dont les dirigeants ont annoncé fin 2022 leur intention de construire deux nouvelles centrales nucléaires, ainsi que la Finlande, décidément favorable à cette source d'énergie. La Suède fait néanmoins figure de grande absente, alors même que le pays entend relancer l'atome. Début janvier, le Premier ministre Ulf Kristersson avait même ouvert la voie à un partenariat avec la France pour bâtir ses deux prochains réacteurs. Rien d'étonnant cependant, si l'on en croit le gouvernement français : la Suède n'a pas signé car elle est contrainte à la « neutralité » durant les six mois de sa présidence du Conseil de l'UE, explique-t-on dans l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher.

Se pose aussi la question de l'Italie, annoncée dimanche par Euractiv comme partante pour intégrer cette fameuse alliance. En effet, le ministère italien de l'Environnement et de la Sécurité énergétique a finalement démenti l'information ce mardi.

Une chose est sûre : le sujet promet d'attiser un peu plus les tensions avec l'Allemagne, l'Autriche, le Luxembourg et l'Espagne, qui ont d'ailleurs réaffirmé mardi à Stockholm leur hostilité à un retour de l'atome en Europe. Au risque de séparer l'Union en deux blocs fermement opposés sur la question pourtant cruciale de la transition énergétique du Vieux continent ? En ces temps incertains, l'unité européenne a en tout cas du plomb dans l'aile.

Lire aussiNucléaire : la Finlande prolonge jusqu'en 2050 sa centrale de conception soviétique

Marine Godelier

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Commentaires 25
à écrit le 02/03/2023 à 10:26
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C'est un point à mettre au crédit de Macron, même si son virage sur l'aile a été tardif

le 22/04/2023 à 8:52
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Enfin, Macron a presque détruit les ambitions du nucléaire français... Pourquoi a t'il mis fin au programme " Astrid " s'il voulait promouvoir le nucléaire... Non c'est juste un incompétent opportuniste.

à écrit le 01/03/2023 à 23:02
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Je ne vais citer qu'une seule référence - “Nuclear Roulette The Case against a Nuclear Renaissance” par Gar Smith – parceque les faits sont irrelévant aux évangélistes de la nucléaire quels que soient leur relévance. <p> La stupidité, la criminal...

le 02/03/2023 à 8:02
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Napoléon parlait français aux français. Nous n’avons que trop souffert des ingérences étrangères dans la définition de notre politique énergétique.

le 02/03/2023 à 8:45
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alors pour quelle raison les anti nucleaire sont ils encore en fonction voir la 1ere ministre

le 02/03/2023 à 13:57
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Toutes les sources d'énergies ont des inconvénients. Une énergie "propre" ça n'existe pas. Il faut juste définir les dégradations environnementales que l'on peut juger acceptables sans compromettre notre survie. Malheureusement, à ce jour, nous somme...

à écrit le 01/03/2023 à 15:17
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En quoi l'avis d'états-verrues comme le Luxembourg et l'Autriche est-il important ? ces pays ont certes un droit de vote en Europe, mais sont d'une taille microscopique et ne produisent que très peu d'énergie. Leur avis est donc très accessoire. Réce...

à écrit le 01/03/2023 à 10:45
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"Comment la France a orchestré le retour du nucléaire en Europe" En fin de compte heureusement qu'il y a la guerre en Ukraine sinon, les mêmes auraient continué d'orchestrer le démantèlement du nucléaire.

à écrit le 01/03/2023 à 10:06
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"Comment la France a orchestré le retour du nucléaire en Europe". Pour le moment nous sommes toujours sur des annonces et très éloigné de ce que fut le plan Messmer. Grace à ce plan notre électricité provient actuellement pour 60% du nucléaire, de l'...

à écrit le 01/03/2023 à 3:52
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Quelle blague !!! on va se retrouver avec une vieille technologie a 120 euros le KWH nucleaire produit. L allemagne prevoit 80% en eolien/solaire /biomasse en 2030 a 20-40 euros le KWH produit. Avec ces prix, c est pas demain qu on reindustrialisera ...

le 01/03/2023 à 5:03
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L’Allemagne produit son électricité avec du charbon. Source: Franlfurter Algemeine Zeitung. Vous allez sur la rubrique « Klimat ». Arrêtons les farces.

le 01/03/2023 à 7:13
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Vous dites n importe quoi, le prix de l'arenh est de 42 E/mwh ! Posez vous les bonnes questions au lieu de sortir de telles absurdités !

le 01/03/2023 à 10:09
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et le pire de cette hypocrisie l'allemagne pollue avec son charbon et c'est la france qui se penalise en se donnant des amandes et en surtaxant son prix d'electricite et en reduisant sa production et tout ceci pour satisfaire bruxelles

le 01/03/2023 à 12:29
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l Allemagne a prevu de sortir du charbon en 2030 !!!!!meme avec la guerre en ukraine !!!

le 01/03/2023 à 12:40
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A Hinkley point, EDF a negocier le KWH a 120 euros. En dessous, EDF estimait que EDF perdait de l argent. Le gouvernement anglais , sous pression du gouvernement français et avec la garantie de la Françe, a accepte. Bref, cette construction a deja pr...

le 01/03/2023 à 14:07
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Les prévisions de l’Allemagne ? Euh ? Elles manquent de crédibilité ! Par contre ils sont capables de virer à 180° comme on l’a vu pour le charbon et le lignite……..

le 01/03/2023 à 17:48
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@Ludwig "et c'est la france qui se penalise en se donnant des amandes " Et salées en plus.

à écrit le 28/02/2023 à 21:22
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Autosuffisance, indépendance énergétique grâce à l'atome, c'est une plaisanterie ? Nous n'avons pas ou quasiment pas d'uranium, nous sommes obligés de l'importer de pays pas très démocratiques. La solution serait d'utiliser les déchets du nucléaire p...

le 28/02/2023 à 22:43
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Oui, bon… nous avons sous le coude les projets de centrales à sel lourd. Et ceux là sont en France, si le besoin s’en fait sentir. Et ce n’est pas si compliqué que ça à faire… Les pays producteurs d’uranium le savent, donc c’est plutôt tranquille po...

le 28/02/2023 à 23:02
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C'est vrai, nous n'avons que 15 ans de réserves en uranium sous diverses formes sur notre sol. Cela fait un peu juste pour se retourner en cas de problème, surtout avec des fournisseurs d'uranium aussi hostiles que le Canada, l'Australie ou le Kazakh...

à écrit le 28/02/2023 à 21:06
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Bah, on ne peut pas être d’accord sur tout. Et on ne peut pas toujours se taire. Cette opération est bonne pour la France et tous les pays qui s’y joignent. Nous verrons bien quelle sera la réaction de nos voisins. Si nous pouvions l’anticiper, ce ne...

à écrit le 28/02/2023 à 20:22
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Après+de 30 ans de laminage du nucléaire au seul profit des écolos bobos qui ont voté pour les gauchistes et les Macronistes . Quel objectif ? l'Europe et derrière la Deutsche compagnie !!! Les allemands sont mécontents donc notre président va bient...

le 28/02/2023 à 22:42
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Discours idéologique.. mais vous avez besoin de vous faire plaisir apparemment . c est la Allemagne qui a imposé son choix tout simplement parce qu elle a conserve une industrie importante , que sa puissance économique / de lobbying y est plus flor...

le 28/02/2023 à 22:42
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Discours idéologique.. mais vous avez besoin de vous faire plaisir apparemment . c est la Allemagne qui a imposé son choix tout simplement parce qu elle a conserve une industrie importante , que sa puissance économique / de lobbying y est plus flor...

le 01/03/2023 à 6:09
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Le nord géographique de l’Allemagne est plat et indéfendable. Pour garantir sa sécurité à l’Ouest, elle a construit l’UE avec la France. Avec la Russie, le choix a été d’importer massivement des ressources minières. Nous respectons les choix politiqu...

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