
Comme un air de déjà-vu. A la fin des années 1950, dans une Europe marquée par la crise du canal de Suez et la hausse des prix du pétrole, la France poussait pour une coopération en matière d'énergie nucléaire sur le Vieux continent, afin d'assurer son « autosuffisance ». En était ressorti le fameux traité Euratom de 1957, actant la mise en commun des ressources pour développer cette technologie dans les Etats membres.
Plus de soixante ans plus tard, la petite musique revient. Car au nom de la « sécurité d'approvisionnement », mais aussi de « l'atteinte des objectifs climatiques », l'Hexagone prépare désormais le retour en force de l'atome civil en Europe. Et cherche ardemment des alliés parmi les Vingt-Sept, afin de peser dans les négociations face à des voisins peu favorables à cette source d'électricité bas carbone, l'Allemagne et l'Espagne en tête.
En effet, la ministre tricolore de l'Énergie, Agnès Pannier-Runacher, a convoqué mardi une réunion en ce sens, en marge d'un conseil des ministres de l'Énergie des pays de l'UE qui se tenait à Stockholm (Suède). Et le résultat ne s'est pas fait attendre : la France s'est entendue avec dix autres pays (Bulgarie, Croatie, République tchèque, Hongrie, Finlande, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie) pour « soutenir de nouveaux projets » nucléaires, basés notamment « sur des technologies innovantes » mais aussi « l'exploitation des centrales existantes », a-t-on appris à son issue.
Dans une déclaration commune, les dirigeants prévoient ainsi des programmes conjoints de formation, « des possibilités de coopération scientifique accrue » dans le « développement de capacités nucléaires », et le « déploiement coordonné des meilleures pratiques dans la sécurité ». De quoi envoyer « un signal politique très important », se félicite-t-on dans l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher.
Des courriers envoyés à la Commission
Il faut dire que, ces derniers mois, la France semait habilement ses graines afin d'y parvenir. A l'échelle nationale, le gouvernement a bien sûr annoncé, en février 2022, la relance de l'atome sur le territoire, avec la prolongation « aussi longtemps que possible » du parc existant et la construction de nouveaux réacteurs. Mais ses émissaires n'ont pas non plus chômé à Bruxelles, puisque l'Hexagone y a mené un lobbying intense, dans un but précis : parvenir à la reconnaissance du nucléaire comme une énergie bas carbone, donc « durable », afin de lui promettre un avenir - et des sources de financement. Se dessinaient ainsi déjà, depuis quelques années, des premières alliances emmenées par la France sur le Vieux continent, à travers des courriers envoyés à la Commission européenne.
Celui pour l'intégration de l'atome civil dans la « taxonomie verte » de l'UE, d'abord, cette liste censée attirer les capitaux vers les activités durables. En effet, fin mars 2021, les dirigeants de sept Etats (République tchèque, France, Hongrie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ont lancé, dans une lettre adressée à l'exécutif bruxellois, un « appel d'urgence pour assurer des règles du jeu équitables pour l'énergie nucléaire dans l'UE, sans l'exclure des politiques et des avantages climatiques et énergétiques », malgré l'opposition ferme de l'Allemagne et de l'Autriche. Et ont obtenu gain de cause dans le texte finalement adopté mi-2022, au grand dam des antinucléaires.
Mais aussi, plus récemment, sur l'importance du nucléaire dans la production d'hydrogène « vert ». Car début février, neuf États membres (les mêmes, la Bulgarie et la Croatie en plus) ont à nouveau envoyé un courrier à la Commission européenne plaidant en ce sens, là encore contre l'avis de Berlin. Une « minorité de blocage », selon les termes d'Agnès Pannier-Runacher, qui a permis d'obtenir une victoire significative : le 9 février dernier, la commission Énergie du Parlement européen reconnaissait officiellement l'hydrogène produit à partir d'électricité atomique comme une énergie « bas-carbone ». Et dès le lendemain, la Commission européenne, jusqu'alors très frileuse, acceptait elle-même une exception pour le nucléaire dans la fabrication de l'hydrogène étiqueté comme « renouvelable », après des mois de batailles intenses en coulisses.
Divisions en Europe
La déclaration conjointe de ce mardi apparaît donc, dans ces circonstances, comme la suite logique d'une union qui se constituait depuis des mois. S'y sont greffés les Pays-Bas, dont les dirigeants ont annoncé fin 2022 leur intention de construire deux nouvelles centrales nucléaires, ainsi que la Finlande, décidément favorable à cette source d'énergie. La Suède fait néanmoins figure de grande absente, alors même que le pays entend relancer l'atome. Début janvier, le Premier ministre Ulf Kristersson avait même ouvert la voie à un partenariat avec la France pour bâtir ses deux prochains réacteurs. Rien d'étonnant cependant, si l'on en croit le gouvernement français : la Suède n'a pas signé car elle est contrainte à la « neutralité » durant les six mois de sa présidence du Conseil de l'UE, explique-t-on dans l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher.
Se pose aussi la question de l'Italie, annoncée dimanche par Euractiv comme partante pour intégrer cette fameuse alliance. En effet, le ministère italien de l'Environnement et de la Sécurité énergétique a finalement démenti l'information ce mardi.
Une chose est sûre : le sujet promet d'attiser un peu plus les tensions avec l'Allemagne, l'Autriche, le Luxembourg et l'Espagne, qui ont d'ailleurs réaffirmé mardi à Stockholm leur hostilité à un retour de l'atome en Europe. Au risque de séparer l'Union en deux blocs fermement opposés sur la question pourtant cruciale de la transition énergétique du Vieux continent ? En ces temps incertains, l'unité européenne a en tout cas du plomb dans l'aile.
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