Sûreté nucléaire : le gouvernement se donne 15 mois pour fusionner l’ASN et l’IRSN

Malgré les inquiétudes des syndicats de l'IRSN, le bras technique du gendarme du nucléaire, le gouvernement va déposer dans les prochains jours un amendement au projet de loi d'accélération du nucléaire pour donner le coup d'envoi d'une vaste réforme de la sûreté nucléaire. Le ministère de la Transition énergétique assure que trois grands principes, actuellement en vigueur, seront maintenus.
Juliette Raynal
(Crédits : CHARLES PLATIAU)

[Mise à jour] Article initialement publié le 23/02/23 à 19h20, mis à jour avec la réaction de l'intersyndicale le 24/02/23 à 13h52.

Le gouvernement sort de son silence. Après l'annonce surprise d'une vaste réforme de la sûreté nucléaire, dévoilée le 8 février dernier par voie de communiqué, le ministère de la Transition énergétique n'avait pas pris la parole malgré les nombreuses inquiétudes et interrogations nées de sa volonté de dissoudre l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) pour le fondre en grande partie au sein de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Objectif affiché de cette réforme : « Conforter l'indépendance et les moyens de l'Autorité de sûreté nucléaire » et « fluidifier les processus d'examen » pour « se mettre dans une organisation qui est optimale dans le cadre de la relance nucléaire ».

Aujourd'hui, le système français repose sur une approche duale pour assurer la sûreté de ses installations nucléaires. L'IRSN, qui emploie quelque 1.700 salariés, réalise une expertise technique relative à une demande de l'exploitant (EDF). Son avis technique est ensuite publié et transmis au gendarme du nucléaire, qui emploie aujourd'hui environ 500 personnes. L'ASN prend alors sa décision vis-à-vis de l'exploitant au regard de cet avis technique mais prend aussi en compte des enjeux politiques, financiers, industriels et nationaux.

Surprise et inquiétudes

La réforme voulue par le gouvernement doit donc se traduire par le basculement d'une grande partie des équipes de l'IRSN vers celles de l'ASN. Tandis que d'autres salariés seront vraisemblablement intégrés au CEA et au DSND, l'équivalent de l'ASN dans le monde militaire.

Abasourdis par cette annonce, les délégués syndicaux de l'IRSN, vigie et expert du risque radiologique, ont partagé leurs craintes auprès d'Agnès Pannier-Runacher le 17 février dernier. Ils redoutent une perte d'indépendance et de transparence, mais aussi que les équipes d'experts soient séparées des équipes de recherche.

Près de 600 salariés ont ainsi manifesté contre ce projet de réforme, près de Marseille et à Paris, le 20 février dernier. L'intersyndicale réclamaient notamment la réalisation d'un diagnostic en profondeur du système en vigueur. Ils reconnaissaient qu'il pouvait être « perfectible », mais demandaient à ce que cette réforme ne soit pas faite dans la précipitation.

« Ce n'est pas du tout une réforme budgétaire »

Ils n'ont visiblement pas été entièrement entendus. Le gouvernement a confirmé ce jeudi qu'un amendement au projet de loi d'accélération du nucléaire, qui doit arriver à l'Assemblée nationale le 13 mars, sera déposé dans les prochains jours.

« Cet amendement élargit les missions de l'ASN et il garantit le maintien des conditions de travail, de rémunération et de statut des personnes qui seraient transférées à l'ASN », explique le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher. Toutefois, « il n'arbitrera pas précisément de la répartition », a-t-on ajouté.

Quatre groupes de travail vont être lancés sur les périmètres et les conditions des transferts, les sujets budgétaires et financiers et les évolutions réglementaires à prévoir. Les dirigeants de l'ASN et de l'IRSN devront remettre leurs conclusions au mois de juin. Cette échéance coïncide avec le projet de loi de finance 2024, qui permettra d'accroître les moyens pour avoir « une autorité de sûreté la mieux dotée possible. » « Ce n'est pas du tout une réforme budgétaire, au contraire », assure-t-on au ministère de la Transition énergétique. Le temps de mise en œuvre est, lui, estimé à un an. Au total, « la réforme va prendre de l'ordre de 15 mois », avance le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher.

La recherche et l'expertise maintenues ensemble

« Cette décision ne s'inscrit pas du tout dans une critique du système actuel et encore moins du travail de l'IRSN qui est reconnu », affirme l'entourage de la ministre de la Transition énergétique. Le gouvernement explique aspirer à une « grosse autorité de sûreté dotée de plusieurs milliers de salariés, avec moins de coûts de coordination et des décisions plus rapides ». « Les experts présenteront directement leur avis au collège, il n'y aura plus de temps d'appropriation de l'avis de l'expertise », illustre-t-on.

En réponse aux inquiétudes des syndicats, le ministère affirme que trois grands principes seront respectés : « Les compétences en matière de recherche et d'expertise en sûreté nucléaire seront maintenues ensemble au sein de la future autorité de sûreté nucléaire ». Se pose toutefois la question du devenir des salariés de l'IRSN en charge de la sécurité nucléaire, qui ne fait pas partie du périmètre de l'autorité de sûreté. Ensuite, « les rôles doivent être bien définis et séparés avec, d'un côté, le contrôle et l'expertise et, de l'autre côté, le collège. »

« Un passage en force » pour les syndicats...

Enfin, le principe de publicité sera maintenu. « La publicité des avis d'expertise sera évidemment préservée pour que le public n'ait pas moins d'informations à sa disposition qu'aujourd'hui », indique le ministère. Dans l'organisation actuelle, si un avis technique de l'IRSN diverge d'une décision prise par l'ASN, le public peut s'en rendre compte en consultant en ligne les avis différents des deux organismes.

Malgré ces engagements, l'intersyndicale (CGT, CFDT, CFE-CGC) de l'IRSN déplore, dans un communiqué de presse, « le passage en force du gouvernement et appelle l'ensemble de la représentation nationale à ne pas voter la loi amendée dite d'accélération du nucléaire ». Elle appelle également « l'ensemble des personnes opposées à cette réforme brutale à manifester le 28 février au côté des salariés de l'IRSN en grève » et a lancé une pétition contre la disparition de l'institut. Celle-ci a recueilli plus de 8.000 signatures.

...« une très bonne initiative » pour d'autres

L'intersyndicale de l'IRSN est notamment soutenue par l'interfédérale CFDT des fédérations de la chimie énergie et de la métallurgie. Elle aussi « s'oppose à ce que l'évolution de l'organisation de la sûreté nucléaire en France soit adoptée à l'Assemblée nationale par un amendement glissé dans la loi sur l'accélération du nucléaire ». « Le gouvernement doit revoir sa méthode », écrit l'interfédérale dans un communiqué. comme en témoigne la pétition contre le démantèlement de l'IRSN  qui rassemble déjà près de 8000 signataires.

Si l'annonce de cette réforme a surpris et interroge bon nombre de personnes de la filière, d'autres s'en réjouissent. « La réforme de l'IRSN est une très bonne initiative », commente une personnalité du secteur. Plusieurs start-up développant des réacteurs innovants voient, elles aussi, d'un bon œil ce projet de réforme.

Juliette Raynal

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Commentaires 4
à écrit le 24/02/2023 à 13:44
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On sent l'embrouille politique une habitude française diminuer la sécurité pour éliminer sur le papier mes risques et les délais. La bonne magouille politique au détriment de notre securite

à écrit le 24/02/2023 à 8:02
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Dans le domaine de la réduction des comités Theodule il existe d'autres priorités, peut être que dans ces deux structures la quantité de haut fonctionnaires est insuffisante.. Bref, la relance du nucléaire se ferait-elle à marche forcée y compris ave...

à écrit le 23/02/2023 à 20:05
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"mais aussi que les équipes d'experts soient séparées des équipes de recherche" ils feront des réunions, pour se rapprocher.

le 24/02/2023 à 10:14
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Comme experts et chercheurs sont actuellement souvent les mêmes, se réuniront-ils avec eux-mêmes ?

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