Nucléaire : le chantier des EPR de Penly approche, le manque de main-d’œuvre inquiète

La filière nucléaire met le turbo pour être au rendez-vous du réacteur pressurisé européen (EPR) de Penly dont le raccordement est prévu pour 2035 mais, sur ce site normand, les « bras » risquent de manquer, pour reprendre la formule de l’ancien président d’EDF, Jean-Bernard Levy.
Vue de la centrale de Penly où devrait être construite la première paire d'EPR sur les six promises par Emmanuel Macron.
Vue de la centrale de Penly où devrait être construite la première paire d'EPR sur les six promises par Emmanuel Macron. (Crédits : Reuters)

C'est peu dire que le sujet est surligné en rouge par l'état-major d'EDF. Alors que le gouvernement doit présenter en novembre un projet de loi visant à accélérer le raccordement au réseau des futurs EPR, sur fond de crise énergétique en Europe, la question de la pénurie de main-d'œuvre à l'origine d'une partie du fiasco de Flamanville menace de ressurgir à Penly, près de Dieppe, où doit être construite la première des six paires d'EPR promises par l'Elysée.

Au sein de la délégation normande d'EDF, on ne cache d'ailleurs pas une certaine inquiétude à l'approche de l'échéance. « Même en ne  tablant que sur la moitié d'emplois locauxles chantiers de génie civil occuperaient 98% des ressources humaines disponibles dans la région », expliquait il y a peu l'une de ses représentantes lors d'un colloque au Havre.

Des travaux herculéens

Il faut dire que, s'ils sont effectivement lancés, les chantiers en question s'annoncent titanesques et que le temps est compté. Dans le dossier qui sera présenté dans quelques jours aux participants du débat public*, EDF planifie un début des travaux en juin 2024. Et quels travaux ! Avant même la pose du « premier béton nucléaire » -selon la terminologie consacrée-, il faudra, ni plus ni moins, re-profiler la falaise qui avait déjà été creusée dans les années 60 pour permettre la construction des deux premiers réacteurs de la centrale. L'EPR nécessitant davantage d'espace que ses aînés, il faudra aussi gagner sur la mer avec l'édification d'une extension de 24 hectares, sans compter l'aménagement d'une immense « terrasse » en surplomb du site où sera assemblé le dôme. Et encore ne parle t-on pas des kilomètres de tuyauteries et autres infrastructures électriques.

Autant d'opérations complexes qui vont nécessiter la présence sur les lieux de centaines d'ingénieurs et de milliers d'opérateurs : jusqu'à 7.500 au plus fort des travaux. Une gageure au regard des difficultés de recrutement que connaissent les entreprises. L'ampleur du chantier renforcera « la tension locale sur de nombreux métiers », reconnaît d'ailleurs EDF dans le même dossier citant une étude socio-économique.

Si le groupe a regréé une bonne partie de son staff d'ingénieurs et de contrôleurs à la faveur de la construction de la centrale d'Hinckley Point outre-Manche, c'est au niveau des techniciens et de certaines spécialités -soudeurs, tuyauteurs, chaudronniers, mécaniciens de machines tournantes...- que les préoccupations sont les plus aigües. « Nos meilleurs soudeurs partent dans le golfe persique pour travailler dans les raffineries et sur les plateformes pétrolières où ils sont payés à prix d'or », constate Nicolas Vincent, secrétaire général de la section CGT de Penly, pour qui « il ne faut pas retomber dans les mêmes travers qu'à Flamanville avec des travailleurs détachés ».

Sébastien Jumel, député La France Insoumise de Dieppe, met lui aussi en garde. « Il n'est pas question qu'EDF importe des travailleurs de pays low cost ou siphonne tous les soudeurs du coin », tonne ce fin connaisseur (et partisan) de l'atome.  L'inquiétude dont se fait l'écho le parlementaire est en partie partagée par les industriels de la place, engagés eux aussi dans des projets de décarbonation à plusieurs centaines de millions d'euros sur le littoral de la Manche et le long de la vallée de Seine. « Le problème est que nous allons tous avoir des besoins de main-d'œuvre similaires sur des pas de temps assez proches », souligne Emmanuel Schillwaert, délégué d'Engie pour la Normandie.

L'appareil de formation se met en ordre de bataille

Consciente de l'enjeu, la filière nucléaire multiplie les opérations séduction auprès de la jeune génération, notamment des femmes très minoritaires, et met les bouchées doubles pour étoffer l'appareil de formation. EDF est ainsi à l'origine -avec Orano, les CMN et Naval Group- de la création d'une haute école de soudure dans le Cotentin. Baptisée Hefaïs, elle accueille ses premières promotions en formation continue depuis cette rentrée et montera en puissance en 2023. Objectif : former 200 stagiaires par an en conditions réelles avec les contraintes inhérentes à l'atome. Le groupe proposera également, l'an prochain, des « Bourses d'études nucléaires » à destination des jeunes en CAP, Bac Pro et BTS de quatre lycées normands.

A cet exercice, le secteur peut compter sur la participation active de la Région dont la majorité n'a jamais caché son soutien à l'EPR. « Nous n'avons pas le nucléaire honteux et, pour nous, c'est un enjeu important », rappelle David Margueritte, vice-président en charge de la formation et l'apprentissage dont les services ont commencé à monitorer l'ensemble des formations disponibles pour repérer les trous dans la raquette. La collectivité planche également sur la création d'un chantier-école en réalité virtuelle.

L'Education nationale apporte sa pierre à l'édifice. La rectrice de l'académie de Normandie a inauguré fin septembre, à quelques kilomètres de la centrale de Penly, un nouveau cursus de « mécanicien en robinetterie industrielle en environnement nucléaire » en complément du BTS Environnement Nucléaire du lycée Neruda de Dieppe. Pour autant, l'effort reste trop limité aux yeux de la section CGT de Penly. « Les douze places allouées en BTS sont insuffisantes compte tenu des besoins », déplore son porte-parole.

Avoir ou pas des candidats, telle est la question

Mais créer de nouveaux parcours de formation est une chose, les remplir en est une autre. La jeune génération, dont on connaît le peu d'appétence pour les métiers de l'industrie, ne se bouscule pas pour les intégrer. Au dernier pointage, seuls 28 candidats s'étaient positionnés sur les 24 places proposées par l'académie dans sa nouvelle offre « robinetterie industrielle ». Difficile de parler d'une ruée.

Les dernières déclarations du gouvernement en faveur de la relance du nucléaire pourraient toutefois contribuer à inverser la donne en même temps que se dissipe le traumatisme suscité par l'accident de Fukushima. Au reste, les industriels du secteur enregistrent quelques signaux encourageants. La centrale de Penly qui a ouvert récemment trois postes d'agents techniques a ainsi reçu pas moins de 250 candidatures, apprend t-on de source syndicale. Serait-ce la fin du désamour ?

*Le débat se tiendra du 27 octobre au 27 février sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP).

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Commentaires 21
à écrit le 22/10/2022 à 22:53
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J'ai postulé pour un poste de constructeur en béton armé afin de préparer les coffrages et les ferrailles du bâtiment mais finalement j'ai abandonné car ils refusent le télétravail.

le 24/10/2022 à 0:26
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Ne. Oui edf c est comme la sncf ils veulent leurs techniciens sur le terrain pas à la maison… faut pas confondre boîte industrielle et boîte de service informatique ou support …

à écrit le 22/10/2022 à 18:54
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Bonjour Déjà recréer un centre AFPA et former sur des bases de techniciens venant d'autres spécialités ou soudure est occasionnel (mécanos, électriciens,) installer un camping bien équipé pour les caravanes Et puis bien expliquer que le métier de ...

à écrit le 22/10/2022 à 17:49
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Le manque de main d'oeuvre hautement qualifié est un problème, mais ce n'est pas le seul. Ou allons-nous trouver les matériaux indispensables à la fabrication de ces réacteurs à des prix raisonnables ?

à écrit le 21/10/2022 à 21:54
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Nos gouvernements actuels et passés sous Hollande et Macron ont tout fait pour détruire la filière nucléaire pour écouter les mensonges des écolos et pour faire plaisir à l'Europe et aux allemands. On voit le résultat nous avons perdu notre indépenda...

à écrit le 21/10/2022 à 20:39
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Flamanville a été lancé dans l'urgence en décembre 2007, car Areva espérait le terminer avant l'EPR Finlandais d'Olkiluoto qui avait pris beaucoup de retard et manquerait sa date visée de mise en service du 1° juillet 2009. On nous a dit qu'il y avai...

le 22/10/2022 à 16:12
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Lamentable.

à écrit le 21/10/2022 à 20:38
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Flamanville a été lancé dans l'urgence en décembre 2007, car Areva espérait le terminer avant l'EPR Finlandais d'Olkiluoto qui avait pris beaucoup de retard et manquerait sa date visée de mise en service du 1° juillet 2009. On nous a dit qu'il y avai...

à écrit le 21/10/2022 à 19:30
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" les « bras » risquent de manquer" dirait Lapalisse. Si tout le monde est en CDI, pourquoi viendraient-ils travailler là ? Payés beaucoup plus (s'il faut déménager) ? Zéro chômage = aucune paire de bras en stock. Il faut former des gens spécifiqueme...

à écrit le 21/10/2022 à 18:16
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Pas d'inquiétude à avoir, dans 4 ans Mr Macron et la REM disparaissent du paysage , les successeurs prenant acte de l'incapacité de la filière nucléaire française de maîtriser les projets d'EPR abandonneront ces projets. Et dès lors les pénuries ...

à écrit le 21/10/2022 à 17:01
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Macron ne fait que de la com sur le nucléaire français et n'agit pas. Il faudrait un grand plan national pour le nucléaire français piloté par un Ministre d'Etat (idem pour les Telecom en déshérence). Et voter les crédits nécessaires au Parlement. ...

à écrit le 21/10/2022 à 15:46
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Comme le dit Mme Rousseau "On a un droit à la paresse". Cette même personne qui préfère les improductifs qui se contentent de consommer avec l'argent de ceux qui travaillent . Les Français deviennent de plus en plus des fainéants encouragés en ce...

à écrit le 21/10/2022 à 15:30
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Travailler c'est trop dur Mais vivre des allocations c'est mieux pas besoin de se lever tôt profiter de la journée et faire un peu de Black revendre de l'herbe ça c'est cool Donc pourquoi travailler

à écrit le 21/10/2022 à 14:47
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Bah, c'est juste le premier retard de chantier, premier d'une très longue série car l'EPR en est coutumier ...

à écrit le 21/10/2022 à 14:03
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Ah bon, flamanville c'était un problème de main d'oeuvre! Je l'ignorais.

le 21/10/2022 à 19:37
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Y avait pas 7 niveaux de sous-traitance à Flamanville ? Dont des gens qui ne parlaient pas la même langue, pas très facile à gérer, une tour de Babel.

à écrit le 21/10/2022 à 12:40
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Il est essentiel de dire et redire l'importance des besoins de professionnels de bonne qualité, aux différents niveaux , dans les différents métiers ! Le carénage des 56 réacteurs en service pour qu'ils fonctionnent 60 ou 80 ans comme aux USA, la con...

le 21/10/2022 à 19:36
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"pour qu'ils fonctionnent 60 ou 80 ans" ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Y a des visites régulières pour savoir si ça peut encore durer dans la sécurité, le reste n'est que spéculation ou fantasme. Y a combien de réacteurs de 80 ans aux USA ...

à écrit le 21/10/2022 à 12:34
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Donc la France manque d'eau l'été, de moutarde, de semi-conducteurs pour l'industrie automobile, de gaz, d'essence, de gazole, d'huile, de synthol, d'électricité, de personnel dans les cafés-hôtels-restaurants, la sécurité, la vente et tous les aut...

le 21/10/2022 à 14:11
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... et on risque bientôt de manquer de soldats pour défendre notre territoire national. C'est facile de toujours s'en prendre à nos dirigeants. D'autant qu'on est en démocratie, et qu'on a les dirigeants qu'on mérite. Tout ça, c'est de notre faute ...

le 21/10/2022 à 14:46
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@Asimon : non, non, nous ne sommes pas tous des "salonards". Et oui, nos dirigeants publics comme privés ne sont visiblement pas à la hauteur dans tous ces exemples. Et ce n'est pas de notre faute à tous : la culture de l'excuse est dépassée et je n...

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