Pourquoi Viridian a choisi le Grand Est pour construire son usine de lithium

ENTRETIEN - L'industriel Viridian va construire à Lauterbourg (Bas-Rhin) son usine d'hydroxyde de lithium pour répondre à la demande soutenue de l'industrie automobile après 2025. La rentabilité du projet, qui mobilise un investissement de 160 millions d'euros, dépendra de la marge brute dégagée dans les process du raffinage. Viridian revendique un atout inédit : une intensité carbone la plus faible au monde. Rémy Welschinger, président de Viridian, détaille les enjeux financiers et industriels de son projet.
Viridian Lithium s'installera sur 20 hectares à Lauterbourg, où il disposera d'une logistique multimodale au bord du Rhin.
Viridian Lithium s'installera sur 20 hectares à Lauterbourg, où il disposera d'une logistique multimodale au bord du Rhin. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Pourquoi avez-vous établi votre projet d'usine de production de lithium en Alsace ?

REMY WELSCHINGER - Avant tout, on a observé un trou énorme dans la chaîne de valeur du raffinage de lithium de qualité batterie. Un peu comme dans le pétrole à la fin du dix-neuvième siècle. Le calendrier d'accélération de la demande va être d'autant plus fort dans l'industrie automobile que le Parlement européen vient de voter l'arrêt de la commercialisation des moteurs thermiques en 2035. Nous allons produire 25.000 tonnes d'hydroxyde de lithium par an. Soit l'équivalent de 500.000 packs de batteries automobiles. Jusqu'à la fin de la décennie 2020 au moins, nos constructeurs et futurs clients finaux, Renault ou Stellantis, n'auront d'autre choix que d'acheter au prix fort, parce qu'ils ont promis à tout le monde qu'on allait bientôt rouler en Renault 5 électrique. Au bord du Rhin, nous nous situons au cœur de ce marché automobile européen.

Contrairement à d'autres régions, le Grand-Est ne dispose pas d'un écosystème de batteries. D'autres industriels ont choisi le Nord pour établir leurs gigafactories. Ne craignez-vous pas un isolement ?

Le Grand-Est a affiché une forte motivation politique pour nous accueillir, bien que Dunkerque ait aussi été présent dans la compétition. Plusieurs sites nous ont été proposés dans le Grand-Est dont Revin dans les Ardennes, Saint-Avold en Moselle ou la plate-forme EcoRhena à Fessenheim. A Lauterbourg, au bord du Rhin, nous accédons à un site industriel de 20 hectares qui est déjà aménagé avec un accès multimodal à la voie fluviale. Cet aspect logistique apparaît fondamental.

Vous n'êtes adossé à aucun grand groupe industriel. Comment entendez-vous financer votre projet ?

Le coût prévisionnel pour la construction de notre usine s'établit à 150 millions d'euros. Nous y ajoutons une enveloppe prévisionnelle entre 10 millions et 30 millions d'euros, pour couvrir le risque d'inflation. Les prêts bancaires vont représenter entre 60 % et 75 % des financements. Le solde sera apporté par nos fonds propres et par des aides régionales et européennes. Notre projet est éligible à plusieurs programmes de la Commission européenne, dont le programme EIT Raw Materials et le PIIEC (Projet Important d'Intérêt Européen Commun, ndlr) sur les batteries. Notre partenaire Technip Energies complétera les études de faisabilité en vue d'un partenariat pour l'ingénierie, l'approvisionnement et la construction de l'usine. La présence de ce grand groupe rassure nos financeurs. La construction va débuter en 2023, suivie par deux ans de chantier pour une mise en service fin 2025.

Quel sera l'impact sur l'emploi ?

En phase de construction, nous pouvons créer jusqu'à 600 emplois, principalement sous-traités. En production, la première phase nécessitera entre 60 et 70 embauches. Le terrain à Lauterbourg va permettre de doubler, tripler voire quadrupler nos capacités. En ajoutant tous les deux ans une nouvelle ligne de production, on peut arriver à 250 emplois et une capacité de 100.000 tonnes de lithium en 2031.

Rémy Welschinger

Sans expérience préalable dans cette industrie, comment entendez-vous tenir votre pari ?

Nous sommes quatre associés co-fondateurs et nous apportons toute l'expérience nécessaire. Mes deux associés australiens, Jon Starink et Ryan Parkin, possèdent une expertise irremplaçable de plusieurs décennies dans le raffinage et la production de lithium. Le troisième associé, Michel Péretié, a été le parton de la branche de financement et d'investissement de la Société Générale. Depuis vingt ans à Londres, je suis spécialisé dans le financement des minerais.

Quels sont les process industriels mis en œuvre dans l'activité de Viridian ?

Les process pour la production d'hydroxyde de lithium comprennent des étapes de calcination et de torréfaction dans un four à 1.200 degrés. Notre métier est réputé très énergivore. Les installations concurrentes en Chine émettent entre 15 kilos et 20 kilos de CO2 pour chaque kilo de lithium produit. Notre grille d'énergie en France est très faible en carbone. Le lithium, produit en 2026 à Lauterbourg, présentera une intensité en émissions de CO2 quatre à cinq fois inférieure à ce qui se fait ailleurs.

Pourquoi n'êtes-vous pas allé construire votre usine au plus près des gisements de minerais ?

Parce que la France va devenir notre marché prioritaire, si les autorités veulent bien nous accompagner. Une partie importante de nos approvisionnements en minerais s'effectuera en Amérique du Sud. Le transport depuis Antofagasta au Chili jusqu'à Lauterbourg, via le port de Rotterdam, correspond à une intensité carbone de 300 grammes par kilogramme de produit fini. Cela ne change pas grand chose dans notre bilan environnemental. Je rappelle que nous offrons une solution de raffinage à bas carbone, qui n'émet que 4 à 5 kilos de CO2 par kilogramme produit.

Quelles sont vos prévisions de chiffre d'affaires ?

Dans notre activité, ce qui compte c'est la marge. Le prix spot du lithium est très volatil, de l'ordre de 70.000 dollars la tonne. En Chine, ce prix a été multiplié par dix depuis deux ans. Mais un rééquilibrage va s'effectuer d'ici 2030 entre l'offre et la demande. Je ne suis pas inquiet. Le marché du lithium a connu un premier effondrement en 2018, quand le chilien SQM a apporté d'importantes capacités de production supplémentaires. Les marges sur le raffinage n'étaient pas élastiques et elles ne se sont pas contractées. J'estime être en mesure de conserver une marge de 5.000 dollars à 6.000 dollars par tonne produite.

Comment pouvez-vous protéger vos marges dans une activité réputée tellement énergivore ?

Il n'existe aucune garantie quant aux coûts de l'énergie après 2025. A Lauterbourg, nous allons tenter de mettre en place un mix raisonnable des consommations entre le gaz et l'électricité. L'impact le plus significatif aux économies pourrait être apporté par la chaleur géothermique, déjà exploitée par d'autres unités industrielles en Alsace du Nord. Notre partenaire Technip va déterminer la faisabilité d'un réseau de chaleur pour alimenter nos installations. Par ailleurs, notre production à bas carbone offre des arbitrages dans les crédits de CO2 que nous allons devoir acheter. Grâce à ces crédits, le différentiel technologique apporte à lui seul un avantage de 1.000 dollars à la tonne.

Propos recueillis par Olivier Mirguet

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.