Prolongation du nucléaire : bras de fer entre Engie et l’Etat belge sur l’épineuse question des déchets

Un accord intermédiaire entre le groupe tricolore et l'exécutif belge, initialement attendu à la mi-mars, peine à voir le jour. Au cœur des négociations : la définition d'une somme maximale dont Engie devra s'acquitter pour la gestion des déchets nucléaires des sept centrales du royaume. Les montants évoqués sont colossaux et avoisineraient les 20 milliards d'euros.
Juliette Raynal
(Crédits : Francois Lenoir)

Les négociations entre le gouvernement belge et Engie sont-elles en train de patiner ? Les deux parties étaient parvenues, début janvier, à un accord de principe historique sur la prolongation pour dix ans, à partir de novembre 2026, de deux des sept réacteurs nucléaires exploités en Belgique par le groupe français. Il s'agit de Doel 4 et de Tihange 3, les plus récents du parc, aux 2 gigawatts (GW) de capacité.

De cette entente, trouvée à l'issue d'âpres négociations, devait découler un accord intermédiaire, attendu à la mi-mars. Or, si aucune date précise n'était entrée dans le marbre du côté de l'énergéticien, les choses prennent visiblement plus de temps que prévu. En externe, certains observateurs émettent même l'hypothèse que les discussions ne puissent jamais aboutir. « Il y a eu un accord en janvier entre l'Etat belge et Engie, mais tout n'est pas signé et il y a un doute sur le fait qu'il ne soit jamais signé », glisse Damien Ernst, spécialiste de l'énergie et professeur à l'université de Liège.

L'épineux plafond

Tout l'enjeu de cet accord intermédiaire consiste à trouver un compromis sur la question des provisions dédiées au traitement des déchets nucléaires des sept centrales nucléaires dont Engie Electrabel est gestionnaire. Les deux parties doivent s'accorder à la fois sur la méthodologie de calcul et le niveau du montant final.

L'enjeu est de taille car il s'agit bien de fixer une limite maximale, c'est-à-dire un plafond du prix que devra payer Engie pour la gestion des déchets. Une fois que l'énergéticien se sera acquitté de cette somme, il sera alors totalement désengagé de la responsabilité des déchets nucléaires.

Cette approche, qui va à l'encontre du principe du pollueur-payeur, pourtant inscrit dans la loi belge, est déterminante. En effet, cela signifie que l'Etat devra prendre lui-même en charge un éventuel dépassement de ces coûts de gestion. En revanche, si ces coûts se révèlent inférieurs au plafond fixé, l'exécutif belge en sortira gagnant.

Les montants évoqués sont colossaux et oscilleraient entre 18 et 20 milliards d'euros. Dans ce contexte, Engie cherche, en toute logique, à tirer le niveau de ce plafond vers le bas, contrairement à son interlocuteur qui, lui, souhaite se couvrir le plus possible.

Blocage politique

Au-delà de ces considérations économiques, les négociations sont paralysées par un facteur politique, pointe Damien Ernst. « La ministre de l'énergie Tinne Van der Straeten, écologiste flamande, souhaite que ce dossier [de prolongation de deux réacteurs nucléaires, ndlr] capote », avance le professeur. Outre ses fonctions politiques,« la ministre a beaucoup travaillé contre le nucléaire en tant qu'avocate », rappelle-t-il

Fixer un tel plafond est pourtant une priorité pour Engie, qui ne souhaite plus être exposé à la révision triennale de la Commission des provisions nucléaires (CPN) belge. Fin décembre, cette dernière a demandé au groupe tricolore d'augmenter ses provisions nucléaires de 3,3 milliards d'euros, dont une augmentation de 2,9 milliards d'euros pour Synatom, une filiale d'Electrabel, que l'énergéticien considère injustifiée et excessive.

Le 22 décembre dernier, Engie a donc annoncé contester ce montant et travailler à une contre-proposition dans un délai de 60 jours. Un autre montant, qui demeure confidentiel, a été soumis à la CPN. « La Commission a reçu l'avis motivé et est en train de l'examiner, » nous précise le gouvernement belge.

Au-delà de cet accord intermédiaire, initialement attendu à la mi-mars, Engie espère signer un accord définitif et engageant juridiquement avec l'Etat belge d'ici cet été. D'immenses avancées ont déjà été réalisées depuis le début des négociations. En janvier, l'Etat belge a accepté de créer une joint-venture avec Engie, qui sera chargée de la gestion des deux réacteurs dont la durée de vie sera prolongée. Des discussions sont également en cours sur l'encadrement des prix de vente des futurs électrons, afin de « dérisquer » les investissements nécessaires à la prolongation des deux unités, évalués entre 500 millions et un milliard d'euros. « Des choses qui étaient taboues il y a quelques années sont devenues acceptables », commente un spécialiste du secteur.

Sortir de l'atome civil au plus vite

Il n'en reste pas moins que ces négociations constituent un fardeau pour le groupe qui cherche à sortir au plus vite de l'atome civil, alors même que celui-ci connaît un retour en grâce à l'échelle internationale à la faveur de la lutte contre le réchauffement climatique et d'une recherche d'indépendance vis-à-vis des hydrocarbures russes. (Lire notre dossier La revanche du nucléaire).

Le groupe tricolore estime que le nucléaire doit relever du fait d'un acteur souverain en raison, justement, de la complexité de la gestion des déchets nucléaires. « Une complexité qui apporte une vulnérabilité », pointe un bon connaisseur du dossier. L'énergéticien s'est engagé à exploiter dix années supplémentaires ces deux réacteurs, en tant qu'entreprise « responsable » alors que l'Etat belge s'exposait à des risques sur son approvisionnement électrique. En revanche, il refuse catégoriquement d'aller au-delà de ce rab. Ainsi, si l'exécutif décidait de prolonger ces réacteurs après 2036, Engie n'en serait pas l'opérateur.

Une activité risquée

Les activités nucléaires, qui relèvent du temps long, impliquent aussi et surtout pour un groupe privé de s'exposer à des décisions politiques fluctuantes. En la matière, la politique énergétique belge produit son lot de rebondissements. Le dernier exemple en date remonte à février : contre toute attente, les principaux ministres fédéraux ont lancé l'idée d'une prolongation des trois réacteurs les plus anciens (Doel 1 et 2, en Flandre, et Tihange 1) alors que leur déconnexion du réseau était prévue pour 2025. Cette réflexion découle d'un nouveau rapport du gestionnaire de transport d'électricité qui anticipe désormais que le pays pourrait manquer de 900 à 1.200 mégawatts l'hiver 2025-2026, soit 15% de sa consommation.

«Je n'y crois pas, tranche Damien Ernst. Ce serait extrêmement difficile à réaliser d'un point de vue industriel. Ces réacteurs ne répondraient plus aux normes post Fukushima relatives aux tremblement de terre. Et il faudrait profondément changer des arrêtés royaux en Belgique pour supprimer ces normes plus contraignantes ».

Une vision de long terme apparaît toutefois comme nécessaire. « Une prolongation de dix ans de deux réacteurs, sans plan pour l'après, interroge. Avec le nucléaire, il faut avoir une vision sur 50 ans, voire 100 ans », affirme une personne proche du dossier. Reste à savoir quel industriel serait prêt à exploiter le parc belge sur le moyen et le long terme.

Juliette Raynal

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Commentaires 8
à écrit le 23/03/2023 à 11:44
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L'intérêt égoïste d'un gazier comme Engie est de développer des centrales au gaz, dans la mesure où il maîtrise la chaine complète du gaz, et l'énergie éolienne où Engie est également présent a besoin du complément gazier en raison du problème de l'i...

à écrit le 23/03/2023 à 9:58
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J'adore les écolos qui parlent de méthode Coué. Ma grand mère appelait cela "l'hôpital qui se moque de la charité". Non les écolos ne sont pas responsables de la sécheresse, mais ils sont bien responsables de l'abandon de la maintenance du parc nuclé...

à écrit le 21/03/2023 à 20:54
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La planette eat pleine d'Uranium.L'energie atomiqe est nécessaire on n'a pas besoin des photovoltaiques et des éoliens.

à écrit le 21/03/2023 à 17:06
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Engie a tout compris; Le nucléaire est rentable seulement si on se débarrasse des combustibles usés dans l'Océan et si on laisse le coût du démantèlement des centrales à la charge de la puissance publique! Triste réalité de 40 ans d'aveuglement Nucl...

le 21/03/2023 à 17:56
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Le combustible peut être retraité car pour l’instant une partie est en stockage à sec. Le retraitement permettrait de réduire le volume des déchets à 3% et si besoin revendre l’autre partie en combustible. Mais c’est une volonté politique !!

à écrit le 21/03/2023 à 16:45
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Les écolos belges veulent faire comme Hollande, retourner leur veste à chaque élection en laissant la facture aux autres.. engie aurait dû fermer ça et laisser les gauchistes prendre leur responsabilités à chaque black-out.. yen a marre de ces polit...

le 21/03/2023 à 18:09
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Et oui, répéter avec moi tous en coeur : a) les retards à répétition de FLAMENTVILE, ce sont les écolos. b) Les fuites sur les réacteurs nucléaires, ce sont les écolos c) L'arrêt d'ASTRID, ce sont les écolos (surrégénérateur capable de détruire ce...

le 23/03/2023 à 12:06
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J'adore les écolos qui parlent de méthode Coué. Ma grand mère appelait cela "l'hôpital qui se moque de la charité". Non les écolos ne sont pas responsables de la sécheresse, mais ils sont bien responsables de l'abandon de la maintenance du parc nuclé...

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