
« We don't understand small sizes » (« Faire petit, on n'y arrive pas »), aiment plaisanter les Texans. Ce penchant pour la démesure ne se matérialise pas uniquement par la taille des portions alimentaires, celle des pickups ou des échangeurs autoroutiers. Dans cet État, à lui seul légèrement plus grand que la France mais cependant deux fois moins peuplé, les projets d'énergies renouvelables se développent, eux aussi, à des échelles XXL. Engie a choisi d'en faire son terrain de jeu privilégié pour accélérer à toute vitesse dans l'éolien et le solaire.
Le 28 février dernier, l'énergéticien tricolore a inauguré, au sud de Dallas, son plus grand parc éolien terrestre américain, d'une puissance de 300 mégawatts (MW).
« C'est en moyenne six fois plus grand que les parcs éoliens que nous développons en France », souligne Frank Demaille, directeur général adjoint du groupe en charge de la transformation et des géographies.
Installés sur les comtés de Limestone et de Navarro, les 88 mâts géants (environ 120 mètres de haut) sont répartis sur une étendue quasi désertique plus grande que Paris. « Il faut compter 40 minutes de voiture pour rallier les deux éoliennes les plus éloignées du parc », tient à préciser Jeff Montgomery, directeur général adjoint de Blattner, le partenaire industriel d'Engie sur place.
Des rendements deux fois plus élevés qu'en France
Ce parc présente aussi un rendement en moyenne deux fois plus élevé que les parcs français car le vent y est plus fort et plus régulier. « Cela s'explique par la topographie des États-Unis où l'on retrouve des étendues sans limite, avec très peu d'arbres et de collines et donc très peu d'aspérités », résume Frank Demaille. Résultat, le facteur de charge est proche de 40%, « alors qu'un bon facteur de charge en France avoisine plutôt les 25% », pointe-t-il.
Le lendemain, le dirigeant coupe un nouveau ruban. Cette fois, pour inaugurer un parc solaire de 250 mégawatts, composé de quelque 650.000 panneaux photovoltaïques. Montés sur des pieux et des racks inclinables, les installations s'étendent à perte de vues sur le comté de Hill, au nord de Waco. En parallèle, un vaste système de stockage par batteries (100 MW) a également été déployé. Au total, Engie a investi quelque 800 millions de dollars dans ces trois projets.
Un État « rempli de vide »
Un peu plus de trois années ont suffi pour faire sortir de terre le parc solaire et le dispositif de stockage. Trois années de plus pour le champ éolien. Rien à voir avec les délais français, où il faut parfois compter jusqu'à dix années en raison des multiples recours administratifs. Et pour cause, dans cet État « rempli de vide », le foncier n'est absolument pas une contrainte. Il y a aussi moins de propriétaires terriens à convaincre car les immenses parcelles sont bien moins morcelées.
De surcroît, Engie parvient à les convaincre aisément. En échange de la disponibilité de leur terrain, l'énergéticien leur propose des loyers récurrents (fixes ou variables selon la production) sur du très long terme.
« L'entreprise a contacté ma grand-mère qui est la propriétaire d'un terrain de 40 hectares pour lui parler de son projet solaire. Elle a trouvé que c'était une bonne idée. C'est un moyen de gagner de l'argent bien plus facilement que l'agriculture, qui est un travail très difficile. Elle voulait que ses enfants aient une vie plus douce, qu'ils puissent davantage profiter de leur famille. Grâce à cet argent qui sera versé tous les mois pendant 30 ans, mon père et ses frères et sœurs ont pu prendre leur retraite dans de meilleures conditions », témoigne Andy Soukup, venu assister à l'inauguration du parc solaire.
Des agriculteurs en quête de revenus supplémentaires
Si l'installation des parcs solaires contraint les agriculteurs à renoncer à leurs cultures, ce n'est pas le cas pour les parcs éoliens. Dans les comtés de Limestone et de Navarro, les cultures de coton et de maïs se poursuivent donc après avoir été interrompues environ un an, le temps des travaux qui provoquent toutes sortes de nuisances (noria de camions, bruits, poussières, etc.)
À quelques rares exceptions, le groupe français semble aussi être très bien accueilli par les communautés de ces zones très rurales où les revenus sont sensiblement inférieurs à la moyenne nationale. Pour ces populations, c'est l'occasion de se doter d'infrastructures qu'elles n'auraient jamais pu s'offrir autrement. Dans le cadre du projet éolien des comtés de Limestone et de Navarro, Engie s'est ainsi engagé à verser 55 millions de dollars de recettes fiscales sur une période de 40 ans, dont 15 millions seront alloués au deux comtés, tandis que le reste sera fléché vers les écoles. Un nouveau stade de foot et un nouveau complexe sportif ont déjà vu le jour, « une chance pour nos enfants », a martelé un élu lors de la cérémonie d'inauguration.
Engie parie ainsi sur les multiples atouts du Texas pour atteindre les objectifs de croissance très ambitieux qu'il s'est fixé outre-Atlantique. Il y a quatre ans, le groupe ne comptait encore aucune centrale de production renouvelable aux États-Unis. Aujourd'hui, ses capacités installées s'élèvent à 4,5 GW et l'objectif est d'atteindre les 8 GW dès 2025.
« Un tiers de nos investissements dans les renouvelables se feront aux États-Unis », assure Frank Demaille.
Les subventions de l'IRA comme tremplin
Ces fortes ambitions ne sont pas un hasard. Comme de nombreux industriels, l'entreprise française entend profiter de l'IRA (Inflation Reduction Act), le vaste plan de 369 milliards de dollars voté par l'administration Biden l'été dernier, pour se développer. « L'IRA a prolongé les crédits d'impôts sur une durée de 10 ans. Cela nous donne une visibilité très forte et nous permet d'investir massivement », explique Emmanuel Sbravati, responsable de la gestion des actifs renouvelables en Amérique du Nord chez Engie.
Ces crédits d'impôts peuvent être par ailleurs bonifiés si un développeur de renouvelables s'implante dans une zone proche de centrales thermiques ou dans une zone où le taux de chômage est plus élevé que la moyenne nationale, ou encore s'il a recours à des produits fabriqués localement.
« Grâce aux crédits d'impôts, vous divisez par deux le coût de l'énergie verte », résume Franck Demaille.
Aujourd'hui, au Texas, le coût du mégawattheure issu des renouvelables s'élève en moyenne à 40 dollars. De quoi séduire les entreprises en quête d'électricité verte, peu chère et stable.
Le raccordement au réseau, angle mort et goulet d'étranglement
Elles sont ainsi de plus en plus nombreuses à signer des contrats d'approvisionnement de longue durée (ou PPA pour Purchase Power Agreement). Amazon, Whirpool, Target, Walmart, Stanley Black et Decker, ou encore P&G, pour n'en citer que quelques-uns, figurent déjà parmi les clients d'Engie.
« Sans ces contrats, nous ne prendrions pas la décision d'investir. Ces PPA nous permettent d'avoir de la visibilité sur nos revenus, et donc de financer la construction de nouvelles centrales », explique Frank Demaille.
Malgré ce contexte particulièrement favorable, l'appétit d'Engie pour les renouvelables pourrait se heurter à un obstacle de taille : le raccordement au réseau électrique, qui « constitue un vrai goulet d'étranglement », selon Emmanuel Sbravati.
À tel point que le critère numéro un pour développer un projet solaire ou éolien au Texas ne repose plus sur les conditions venteuses et d'ensoleillement d'un terrain, mais sur la possibilité de se raccorder plus facilement au réseau, dans des zones où les grands concurrents, comme Enel et Iberdrola, ne sont pas déjà positionnés.
« C'est un angle mort de l'IRA. Le plan ne permet pas de tirer des lignes électriques massivement », regrette Franck Demaille.
De plus, si les panneaux solaires et les éoliennes sont globalement bien acceptés par les populations locales, ce n'est pas le cas des lignes à haute tension, dont les retombées économiques pour les territoires sont beaucoup plus faibles.
Au Texas, Engie ne pourra pas, non plus, développer des centrales solaires ou éoliennes sur les zones qui présentent encore des ressources en hydrocarbures. Ces dernières apportent encore bien plus de revenus aux propriétaires terriens, dont l'arbitrage reste principalement économique.
Engie a développé un système de stockage sur batteries de 100 mégawatts sur le comté de Hill (Texas). C'est l'un de ses tout premiers sites de stockage d'électricité dans le monde. Couplé à un logiciel, il permet d'envoyer automatiquement des électrons sur le réseau et d'en retirer selon les besoins du marché. Au Texas, où la pénétration des énergies renouvelables dans le mix de production est déjà supérieure à 35%, ces outils de flexibilité vont devenir de plus en plus prisés. Leur déploiement à grande échelle devient possible grâce à la baisse des coûts liée à la forte demande de l'industrie automobile. Lors de ses résultats annuels, le groupe a annoncé viser 10 GW de capacités de stockage sur batteries à l'horizon 2030. Environ la moitié sera développée aux États-Unis. « Le challenge numéro 1 consistera à se défaire de la dépendance aux matériaux critiques. Des recherches sont notamment en cours sur les batteries au sodium, qui est plus répandu et abondant », indique Camille Chardonnet, cheffe de projet chez Engie.Le stockage d'électricité sur batteries prêt à décoller
(Photos : Juliette Raynal pour La Tribune)
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