Taxe carbone aux frontières : encore beaucoup d'incertitudes pour l'industrie européenne

Le Parlement européen et les Etats membres de l'UE ont annoncé mardi s'être entendus pour adopter un mécanisme inédit visant à verdir les importations industrielles de l'Europe en faisant payer les émissions carbones liées à leur production. Décryptage.
Le Conseil et le Parlement européen ont annoncé ce mardi matin avoir trouvé un accord pour la mise en place d'une « taxe carbone » aux frontières européennes.
Le Conseil et le Parlement européen ont annoncé ce mardi matin avoir trouvé un accord pour la mise en place d'une « taxe carbone » aux frontières européennes. (Crédits : Leon Kuegeler)

C'est fait. Après un débat nocturne, le Conseil et le Parlement européen ont annoncé ce mardi matin avoir trouvé un accord pour la mise en place d'une « taxe carbone » aux frontières européennes pour verdir les importations industrielles. Egalement appelé mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MCAF) , ce mécanisme vise à faire payer aux importateurs en Europe, les émissions de carbone liées à la fabrication de leurs produits pour les mettre à égalité avec les marchandises européennes, déjà soumises à des normes climatiques strictes.

Cet ajustement aux frontières concerne six secteurs à la fois très polluants (acier, ciment, aluminium, engrais, électricité, et hydrogène) et stratégiques puisqu'il s'agit de produits issus de pays qui pèsent peu dans la balance commerciale de l'Union européenne. « C'est un test sur ces secteurs. Le but est ensuite d'étendre à d'autres secteurs, une fois que l'on aura surmonté les défis de la mise en œuvre de ce mécanisme », soulignait en amont de l'accord Camille Defard, chercheuse en politique européenne au sein de l'institut Jacques Delors.

A l'heure où le prix de la tonne de carbone culmine autour de 90 euros, cette mesure vise également à éviter un « dumping social » qui pousserait les industriels européens à délocaliser tout en encourageant les entreprises des pays tiers à adopter les standards européens.

Pour l'eurodéputé Mohammed Chahim (S&D, sociaux-démocrates), négociateur pour le Parlement, ce dispositif « sera un pilier crucial des politiques climatiques européennes, c'est l'un des seuls mécanismes dont nous disposons pour inciter nos partenaires commerciaux à décarboner leur industrie ».

Une période expérimentale débutera à partir d'octobre 2023. Le calendrier de mise en œuvre effective dépendra ensuite de pourparlers ultérieurs en fin de semaine sur le reste de la réforme du marché carbone de l'UE, au cœur du plan climat européen.

Ainsi, à mesure que cet « ajustement aux frontières » montera en puissance, l'UE supprimera progressivement les quotas d'émission gratuits alloués jusqu'ici aux industriels européens pour leur permettre d'affronter la concurrence extra-européenne.

Les quotas gratuits, le sujet épineux des débats

En effet, les entreprises européennes des secteurs concernés recevaient jusqu'à présent des allocations couvrant une partie de leurs émissions afin de les rendre compétitives sur le marché.  Pour mettre tout le monde sur un plan d'égalité, l'idée est de retirer l'attribution de ces allocations aux entreprises européennes dès la mise en place du MACF sans quoi l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pourrait accuser l'Europe de protectionnisme.

Le rythme de suppression de ces quotas gratuits et la possibilité d'aides alternatives aux exportateurs européens, pour ne pas les désavantager sur le marché mondial, font encore l'objet d'âpres discussions. Les eurodéputés réclament une suppression très progressive des quotas gratuits à partir de 2027, avant leur disparition complète en 2032, date où le mécanisme entrerait entièrement en vigueur. Les Etats et la Commission européenne souhaitent plutôt une réduction progressive de 10% chaque année à partir de 2026 et un arrêt complet en 2035.

Un dispositif jugé « prématuré » pour France Industrie tant que le MACF n'a pas été mis en place et n'a pas prouvé son bon fonctionnement. « Ces dispositifs sont indispensables pour préserver l'industrie française et européenne des fuites de carbone. L'industrie appelle à la préservation de conditions de concurrence équitables et loyales. Telle qu'envisagée, la transition créerait une insécurité majeure et immédiate pour sa compétitivité. L'industrie devra faire face à des investissements colossaux pour poursuivre sa décarbonation. » France Industrie réclame le maintien des quotas gratuits en parallèle du MACF. Une proposition inutile selon WWF qui estime que « ces quotas ne forcent pas les industriels à décarboner ».

Les industries en aval, dommage collatéral de la mesure

C'est l'une des faiblesses de cette mesure dont s'est emparé le secteur industriel. Si la taxation permettra de mettre les entreprises en amont de la chaîne sur un même pied d'égalité, les structures en aval ne sont seront pas concernées par la mesure. Résultat : une entreprise européenne qui transforme l'acier, par exemple, paiera plus cher sa marchandise peu importe son origine tandis que la même entreprise hors Union européenne n'aura pas la répercussion de cette taxe sur ses produits et pourra la vendre moins cher en Europe. France Industrie demande une aide pour tout l'aval des chaînes de production impactées par le MACF afin d'éviter des « distorsions de concurrence ».

« ll y a un risque de compétitivité sur les marchés domestiques. Le problème, c'est qu'il n'est pas possible d'avoir un dispositif qui soit parfaitement compatible avec l'OMC et simple à mettre en œuvre sauf si on s'en tient à taxer seulement l'amont de la chaîne de production et renoncer alors à taxer tout le monde », estime Vincent Charlet, délégué général de la Fabrique de l'industrie, une plateforme de réflexion consacrée aux perspectives de l'industrie en France et à l'international.

Des revenus aux destinations floues

Cet ajustement aux frontières devrait permettre à l'Union européenne de collecter près d'un milliard d'euros, par an selon la Commission européenne. Une somme qui serait utilisée dans le plan de relance de 750 milliards d'euros prévu pour pallier les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19. Une erreur, selon les organisations environnementales, qui plaident pour un fond en faveur du climat. « On voudrait que ces aides soient allouées en faveur des pays taxés par cette mesure pour financer des projets en faveur du climat et favoriser leur décarbonation », précise Camille Maury, chargée de mission en décarbonation des entreprises pour l'ONG WWF.

Autant de questions qui restent en suspens en ce début de semaine. Les négociations se poursuivront en fin de semaine autour de la création d'un second marché du carbone pour le transport routier et le bâtiment. Il sera également question de l'inclusion des transports aériens et maritimes dans le marché du carbone et une fin des quotas gratuits pour ces secteurs également. Pour rappel, l'Union européenne souhaite réduire de 55% ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 19
à écrit le 13/12/2022 à 15:16
Signaler
Pour mieux connaître la Chine, lisez les trois récits de Jean Tuan : "Un siècle chinois" (chez CLC Éditions) évoque le parcours de son père chinois arrivé en France en 1929, leur voyage en Chine en 1967 lors de la Révolution culturelle et les incroya...

le 14/12/2022 à 8:03
Signaler
a l'initiative de la france voila encore une penalite supplémentaire pour toute les entreprises francaise vas t'on un jour arreter les stupidités visiblement il n' ya que ceux qui spécule qui ordonne les directives et la finance

à écrit le 13/12/2022 à 13:53
Signaler
J'ai intérêt de me dépêcher d'acheter mes piles en Chine. En tant que particulier je la touche à 19 centimes en payant les taxes européennes. Elle est vendu en France 1€ alors que les centrales d'achats, les achètent en gros et sûrement sans payer d...

à écrit le 13/12/2022 à 11:08
Signaler
Oh oui, lumière céleste, montre-nous la voie du bon goût et du raffinement dont tu es l'ambassadeur universel.

à écrit le 13/12/2022 à 10:52
Signaler
La concurrence, c’est bien, surtout quand on mange les autres. Pour le moment… c’est nous qui sommes au menus. Je me souviens, dans les années 80, nos industriels étaient fiers. On avait notre monnaie mais déjà on voyait arriver les ravages du social...

le 13/12/2022 à 11:04
Signaler
Parce qu'il n'y pas de corruption aux mondes des sovjets?

à écrit le 13/12/2022 à 10:09
Signaler
Bonjour, Pourquoi pas... Mais je crainds que le nombre de délinquance est en rapport au manque d'éducation parentale et scolaire... Bien sûr ils ne faut pas le dire... Mais le goût au travail, le vivre ensemble, le respect des règles.... Tous cela s'...

à écrit le 13/12/2022 à 10:08
Signaler
C'est vrai ! La France est une très grande puissance, tellement qu'elle pourrait le devenir encore plus ! Pour cela il faudrait appuyer sur l'accélérateur au lieu d'avoir le pied sur le frein. Et revenir à une boite de vitesse manuelle au lieu de l'a...

à écrit le 13/12/2022 à 9:54
Signaler
personne ne doute que quand ca sera repercute dans les prix, le bon peuple de gauche va hurler contre les profiteurs de guerre, les profiteurs de la nature, et les superprofits qu'il faut rendre aux pauvres ( a l'electorat de gauche, dans le texte).....

à écrit le 13/12/2022 à 9:42
Signaler
Je constate de plus en plus souvent des commentaires qui ne sont pas au bon endroit.Un des miens s’est retrouvé dans un sujet où il n’avait rien à faire,depuis je suis plus attentif. Que se passe-t-il à La Tribune?

à écrit le 13/12/2022 à 9:32
Signaler
c'est assez étonnant que les démocrates ( de nom) aient une vision de la démocratie à géométrie variable. Un parti d'extrême droite , quand il touche de l'argent c'est pas bien mais les autres partis ? La notion de cordon sanitaire , ça veut dire quo...

à écrit le 13/12/2022 à 9:28
Signaler
La mondialisation heureuse, c'est du passé. Si tant est qu'elle fut heureuse pour tous à voir l'état du Monde aujourd'hui.

le 13/12/2022 à 16:43
Signaler
L'idéologie ultra-libérale de l'U.E se meurt. Cette institution commence seulement à comprendre combien elle s'est fait bernée par les grandes puissances prétendument libérales mais qui dans les faits favorisent toujours leurs propres intérêts.

à écrit le 13/12/2022 à 9:27
Signaler
Dans la mesure ou l'Europe est incapable de produire certaines de ses importations, cette taxe va participer à une nouvelle hausse des prix correspondants. Question subsidiaire, quel va être l'usage des sommes récoltées ?

à écrit le 13/12/2022 à 9:21
Signaler
Enfin un peu de protectionnisme ! Nos élites ont renoncé à nous ressortir leurs leçons de Science Pipo sur les horreurs de l'autarcie des années 1930. Mais c'est un peu tard : on s'est déjà bien fait plumer par les Chinois. Qui continuent allègrem...

le 13/12/2022 à 9:36
Signaler
Tout cela est la faute de la privatisation pour ponctionner le capital français en matière de nucléaire au profit de boite de spéculation énergétique qui ont besoin de rareté pour faire encore plus monter les prix.

à écrit le 13/12/2022 à 9:16
Signaler
Tout cela est la faute de la privatisation pour ponctionner le capital français en matière de nucléaire au profit de boite de spéculation énergétique qui ont besoin de rareté pour faire encore plus monter les prix.

à écrit le 13/12/2022 à 9:09
Signaler
c'est assez étonnant que les démocrates ( de nom) aient une vision de la démocratie à géométrie variable. Un parti d'extrême droite , quand il touche de l'argent c'est pas bien mais les autres partis ? La notion de cordon sanitaire , ça veut dire quo...

à écrit le 13/12/2022 à 8:45
Signaler
Bah, Manon Aubry ne peut pas se targuer de la moindre autorité morale. La gauche et l’extrême-gauche ont été pris tant de fois la main dans le pot de confiture… Ceux qui ont fait les malins sur le féminisme se sont tous fait arrêter. C’est peut-être ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.