Climat : les eurodéputés sauvent la taxe carbone aux frontières

Deux semaines après avoir rejeté une première version dans la surprise générale, les eurodéputés ont fini par trouver un accord, ce mercredi, sur la mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Le principe : verdir les marchandises issues de pays aux normes environnementales moins strictes qui arrivent sur son territoire, en soumettant les importateurs aux mêmes exigences climatiques que les entreprises du Vieux continent, confrontées à une concurrence forte. Pour parvenir à un compromis, le rythme de suppression des droits gratuits à polluer, aujourd'hui délivrés aux industriels européens, a néanmoins été revu à la baisse. Explications.
Marine Godelier
(Crédits : Reuters)

C'est un nouvel accord clé pour le déploiement du Green Deal sur le Vieux continent qui vient d'être conclu, après l'explosion en vol du « paquet énergie-climat », rejeté dans la surprise générale par les eurodéputés le 8 juin dernier. En effet, il n'aura suffi que de quinze jours pour finalement parvenir à une majorité stable, et adopter en assemblée plénière à Bruxelles un compromis sur la réforme du marché européen d'échange de quotas d'émissions de CO2, proposée en juillet dernier par la Commission. Une victoire cependant acquise au prix de la révision à la baisse d'une partie des objectifs, notamment sur la question du calendrier de mise en œuvre.

Et pour cause, dans cette nouvelle version, la réduction de moitié des droits à polluer, aujourd'hui gracieusement délivrés aux industriels européens pour les protéger d'une concurrence internationale trop forte, arriverait désormais plus tard que dans la première mouture. Ce qui devrait rassurer, du moins en partie, les entreprises concernées (qui représentent 40% des émissions de gaz à effet de serre sur le continent), puisque ces quotas gratuits leur permettent d'éviter de gonfler leurs prix sur un marché mondialisé fortement concurrentiel. Mais qui pourrait aussi nuire in fine au plan de décarbonation de l'UE « fit for 55 », de baisse de plus de moitié des émissions de CO2 d'ici à 2030 par rapport à 1990.

Éviter une double protection des industries européennes

Concrètement, si ces quotas gratuits seront amenés à disparaître, c'est parce qu'un mécanisme alternatif, censé devenir plus efficace, doit les remplacer : le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Europe (MACF). En quelques mots, il s'agirait de faire payer aux importateurs de marchandises en Europe les émissions polluantes liées à la fabrication de celles-ci, afin de mettre sur un pied d'égalité les entreprises de l'UE, soumises à des normes climatiques strictes, et leurs concurrents étrangers fortement émetteurs. Autrement dit, d'inventer un outil clé en main contre le « dumping climatique », ayant pour vocation de soumettre tout le monde aux mêmes exigences afin d'éviter les délocalisations, tout en incitant chaque industrie à décarboner ses procédés.

Seulement voilà : en toute logique, au fur et à mesure que ce MACF sera mis en place, les droits à polluer alloués aux entreprises européennes devraient donc diminuer, de manière à éviter une double protection. Les entreprises devraient donc acheter tous leurs quotas sur le marché, ce qui fera automatiquement grimper leurs coûts de production, à l'heure où la tonne de CO2 dépasse les 80 euros.

Le 8 juin, le blocage s'était ainsi noué autour du calendrier : le PPE (droite, première force du Parlement) voulait maintenir jusqu'en 2034 ces quotas gratuits dans l'UE (la Commission proposait initialement 2035), repoussant d'autant la taxe aux frontières. Une "ligne rouge" pour les Verts et S&D (sociaux-démocrates). S&D et Renew (centristes et libéraux) avaient vainement soutenu une réduction graduelle entre 2026 et 2032.

« Le vote initial du parlement fut une surprise pour tout le monde. Des groupes politiques favorables au dispositif ont voté contre considérant qu'il n'était pas assez amitieux », commente Ruth Guerra, avocate chez KPMG Avocats.

Plusieurs concessions au PPE

Finalement, la nouvelle mouture votée ce mercredi, fruit d'un accord entre le PPE, S&D et Renew, prévoit cette fois une baisse graduelle des quotas gratuits à partir de 2027 (contre 2025 dans la version précédente) jusqu'à leur disparition en 2032 (contre 2034 auparavant). Mais le diable est dans les détails : en contrepartie de ce délai plus court avant la suppression totale, la progressivité de cette diminution sera accrue, afin de satisfaire le PPE : les entreprises recevront encore 50% d'allocations gratuites en 2030. « Soit le même point de réduction en 2030 que ce que proposait la Commission européenne, alors que, dans l'amendement rejeté le 8 juin, on parvenait à plus que 50% de réduction à cette date », note Pascal Canfin (Renew), président de la commission Environnement.

« Concrètement, au lieu de supprimer 10% des quotas gratuits dès la première année, seuls 7% des quotas devaient disparaître dans la versiofinalement adoptée. Soit un rythme plus lentmais avec un calendrier de suppression des quotas gratuits plus court », complète Ruth Guerra.

Autre concession accordée au PPE : les sites industriels continueront de recevoir des quotas gratuits pour leur production destinée aux exportations vers des pays tiers n'ayant pas une tarification carbone comparable. Une victoire pour les industriels européens, qui alertaient sur un important trou dans la raquette dans les textes européens actuels : celle des conditions d'achat de leurs produits à l'étranger. En effet, puisque les entreprises bénéficiant aujourd'hui de droits à polluer devront demain les acheter sur le marché, leurs coûts de production augmenteront - et donc, in fine, leurs prix de vente. Ainsi, au sein du marché domestique, le MACF permettra, sur le papier, de les mettre tout de même sur un pied d'égalité avec leurs concurrents extra-européens. Mais à l'étranger, sur des marchés non soumis aux quotas d'émissions, l'industriel européen pourrait pâtir d'une distorsion de compétitivité à l'export, étant donné que ses surcoûts ne seront pas compensés.

Or, les exportations représentent une part significative de la production de l'UE : jusqu'à 22% pour les secteurs concernés par les MACF, et même 50% pour d'autres secteurs intensifs en énergie.

« Le signal du Parlement européen, c'est donc qu'il est favorable à un mécanisme qui garantit aux industries européennes que, quand elles exportent leur production, le surcoût qu'elles auront à gérer à cause de leurs investissements pour le climat et le prix du carbone sera pris en compte. [...] Mais nous incitons la Commission européenne à considérer particulièrement l'option dans laquelle seules les exportations ayant fait l'objet d'un investissement décarboné seront couvertes par des allocations gratuites, et pas les autres », nuance Pascal Canfin.

Un long processus législatif

Reste que cette question n'est pas encore tranchée. « La Commission européenne devra de toute façon s'assurer que la proposition de quotas gratuits pour l'exportation sont bien compatibles avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), ce qui n'est pas acquis », prévient Ruth Guerra. Pour ce faire, les parlementaires ont renvoyé à l'exécutif bruxellois l'obligation, avant le déploiement du MACF, de « mettre en place une proposition législative pour couvrir tout ou partie des exports de manière "OMC compatible" », précise Pascal Canfin.

Surtout, le texte dans sa globalité devra être réétudié les 27 et 28 juin, lors des conseil des ministres de l'énergie et de l'environnement. « S'il est adopté, les trilogues pourront commencer entre la Commission, le Conseil et le Parlement, qui se pencheront bien plus sur les détails », développe Ruth Guerra. Avant ce long processus législatif, Pascal Canfin se veut pressant : « il n'y aura jamais de meilleur accord sous présidence tchèque [qui débute le 1er juillet, ndlr] que sous présidence française », avait-il lancé quelques jours avant le vote. Le compte à rebours est lancé.

Marine Godelier
Commentaires 3
à écrit le 24/06/2022 à 10:45
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Pas de soucis, au final c’est le consommateur qui paiera la facture !! L’Europe devient un espace où seuls les plus riches s’en sortiront…..

à écrit le 22/06/2022 à 18:36
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A force d'auto-flagellation permanente l'U.E voit (enfin) toutes les dérives de son administration. Il faudrait que cette taxe carbone tienne également compte non seulement des coût environnementaux de production mais également des coûts environnemen...

le 22/06/2022 à 23:39
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Dites la vérité et vous humilirez le diable. Quid des pays pauvres ? Le producteur de coton/tissu/sandales malien sera taxé ( en quoi le Mali/Madagascar/Bouthan pourrait être vertueux ) mais le poulet surgelé subventionné européen sera toujours sur ...

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