« Nous n’aurons pas du “made in France” en baissant les salaires » Gabriel Colletis, professeur d'économie

À l’occasion du MIF Expo à Paris, qui se tient du vendredi 8 novembre au lundi 11 novembre à Paris - Porte de Versailles, Gabriel Colletis, professeur d'économie à l'université Toulouse 1 Capitole, préconise de promouvoir une industrie française qui conjugue haute qualité et transition écologique.
Pour Gabriel Colletis, le positionnement low cost adopté longtemps par l’industrie française, et soutenu par les politiques publiques, s’est révélé une impasse.
Pour Gabriel Colletis, le positionnement low cost adopté longtemps par l’industrie française, et soutenu par les politiques publiques, s’est révélé une impasse. (Crédits : Rémi Benoît)

LA TRIBUNE - Le made in France est souvent mis en avant lors d'échéances politiques. Aujourd'hui, ce concept est-il plutôt un argument politique ou une vraie tendance de fond socio-économique ?

GABRIEL COLLETIS - Les entreprises françaises ont fini par comprendre ce que les entreprises allemandes ont compris depuis très longtemps, c'est-à-dire que leurs clients sont sensibles au lieu de production des produits qu'ils achètent. Les Allemands jouent cette carte du patriotisme économique car ils sont convaincus que leurs produits sont de meilleure qualité, et il existe une sorte de solidarité entre les producteurs et les utilisateurs. En France, cette relation n'est cultivée par les entreprises que depuis relativement peu. Pendant très longtemps, elles ont pensé que le marché intérieur leur était acquis, ce qui était faux. Il y a maintenant une inversion de tendance depuis que les constructeurs français ont subi des reculs très significatifs sur le marché national.

Au-delà de l'exemple allemand, comment se situe la France par rapport aux autres pays sur le plan du patriotisme économique ?

La France a été pendant très longtemps dans une position intermédiaire, entre la position allemande affichant son fort patriotisme économique et la position du Royaume-Uni, pays dans lequel le tissu industriel s'effondrait dans les années 1980 mais où les entreprises britanniques se portaient bien grâce à des investissements réalisés à l'étranger. Malheureusement, la tendance générale des groupes français a été de s'aligner sur le modèle britannique en investissant bien plus à l'étranger qu'ils ne l'ont fait sur le territoire national. Il y a donc maintenant un fort enjeu de relocalisation de l'industrie française sur le territoire national parce que la France est devenue ultra dépendante de ses importations. Y compris dans des activités où elle était forte auparavant, comme l'automobile ou le textile, sans parler d'autres produits comme l'électroménager.

Comment pourrait-on encourager les entreprises françaises à pratiquer le made in France, avec les emplois qui en découleraient ?

Les entreprises françaises encore présentes sur notre sol ne produisent pas en interne l'essentiel de leurs composants et font appel à des sous-traitants. Il faut s'assurer que ces fournisseurs soient présents sur le territoire national car nous avons les compétences en France. Pour ancrer territorialement de grands groupes, il faut constituer au niveau territorial des écosystèmes qui fonctionnent à proximité de ces grands donneurs d'ordre afin qu'ils soient moins tentés d'aller chercher ces compétences partout dans le monde. Ce n'est pas en baissant la fiscalité sur les bénéfices ou en proposant du foncier bon marché que nous y arriverons. Dans ce sens, l'initiative gouvernementale qui s'appelle Territoires d'industrie est une démarche relativement heureuse qui consiste à dire : «  nous avons des patrimoines et des savoir-faire dans beaucoup de territoires. Il faut donc les connaître, les préserver, et les développer.  »

Lire aussi : Les "territoires d'industrie" prennent du retard

Par ailleurs, il existe aux États-Unis un Buy American Act, qui oblige les acteurs publics à acheter des produits américains. Il n'existe pas d'équivalent au niveau européen, et donc la France doit militer pour que la Commission européenne promeuve un Buy European Act. Mais cela passe par une évolution du droit de la concurrence, qui l'interdit pour le moment. De plus, le gouvernement veut promouvoir l'économie circulaire et prépare un projet de loi sur le sujet. Par son biais, il envisage d'instaurer un bonus-malus pour les produits écologiquement vertueux ou non. Cela permettrait d'avoir des produits industriels moins polluants parce qu'ils seraient produits en France ou en Europe et que l'empreinte carbone liée au transport s'en trouverait réduite. Ainsi, le made in France pourrait être couplé à la transition écologique.

Une pratique très importante du made in France serait-elle forcément génératrice d'emplois, malgré la tendance de fond autour de l'automatisation de l'industrie ?

Oui, même avec les gains de production en raison du développement de la robotisation et de l'automatisation. Pour un point de PIB industriel supplémentaire, vous n'aurez que 0,5 % d'emplois en plus, car l'industrie est un secteur d'activité à productivité élevée. Il ne faut pas chercher à avoir une industrie low cost car le coût du travail en France est trop élevé pour qu'on se développe dans des activités à faible valeur ajoutée. Il est certain que le bon positionnement pour l'industrie française est de fabriquer des produits à forte valeur ajoutée, avec des emplois qualifiés. L'industrie française ne doit pas se positionner, comme elle l'a fait pendant trop longtemps, sur des emplois faiblement qualifiés avec des dégrèvements de cotisations sociales, privilégiés par les politiques publiques comme le CICE.

Pour vous, le made in France doit concerner uniquement des produits à forte valeur ajoutée, permettant de dégager une marge importante et avec une main-d'œuvre très qualifiée ?

Oui, car ces emplois généreront d'autres emplois, notamment indirects chez les sous-traitants et des emplois liés à l'augmentation de pouvoir d'achat des personnes qui travaillent dans l'industrie. De manière générale, on considère qu'un emploi dans l'industrie génère au total trois emplois supplémentaires. La France doit à tout prix se concentrer sur ces emplois qualifiés, voire très qualifiés.

Lire aussi : Emploi : le déficit de main d'oeuvre qualifiée inquiète les entreprises

Depuis 2017, l'industrie française est de nouveau créatrice d'emplois, grâce à un solde positif de quelques milliers entre les créations et les destructions d'emplois. Est-ce réjouissant ?

C'est une reprise timide, même si c'est déjà bien que l'emploi industriel ne recule plus. Mais c'est une reprise trop timide qu'il faut absolument amplifier, et pour l'amplifier il faut développer le made in France à travers tous les axes évoqués précédemment.

Le développement du made in France passera-t-il par un changement de comportement du consommateur ? Plusieurs études montrent que les Français sont prêts à payer plus cher pour consommer français.

La renaissance de l'industrie française passe aussi par ce changement chez les consommateurs, et des entreprises l'ont parfaitement compris. Pour autant, il ne s'agit pas de les persuader de débourser plus pour une qualité équivalente. Ils peuvent payer plus cher un produit à condition qu'il soit de meilleure qualité. Il faut proposer aux consommateurs français un produit de meilleure qualité, et ce produit devrait être fondamentalement écologique, c'est-à-dire réparable. Par exemple, un consommateur sera prêt à payer 700 à 900 euros un lave-linge qu'il gardera vingt ans, voire plus, et qui sera réparable, contre un lave-linge à 300 euros non réparable car le coût de remplacement d'une pièce sera plus important que la valeur du produit. Pour qu'un produit soit durable, la valeur d'un composant ne doit pas dépasser 15 à 20 % de son prix. Le produit made in France doit être un produit-service et pas seulement un produit. C'est donc toute une réflexion autour de la qualité du produit et des usages qu'il faudra avoir pour développer le made in France. Nous n'aurons pas de bons produits fabriqués en France en diminuant les salaires, c'est l'illusion mortelle pour l'industrie française. Nous ne serons jamais compétitifs face à des produits chinois. Notre force doit être la qualité et le virage écologique. La transition écologique ne doit pas être vécue comme une contrainte par les entreprises mais placée au cœur de leur compétitivité. La bascule a eu lieu mais il faut désormais assurer le couplage entre le développement de l'industrie et la transition écologique.

Propos recueillis par Pierrick Merlet.

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MINIBIO

1998 Agrégation d'économie.

1994-2001 Conseiller scientifique auprès du Commissariat général au Plan, pour le développement Industriel et technologique.

1999 Nommé professeur agrégé à l'université de Toulouse (UT1).

2005-2006 Directeur du Lereps (Laboratoire d'étude et de recherche sur l'économie, les politiques et les systèmes sociaux).

2012 Auteur de L'Urgence industrielle ! (éditions Le Bord de l'eau).

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Commentaires 4
à écrit le 08/11/2019 à 8:52
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LE problème majeur est que la baisse générale des salaires est écrite dans le traité constitutionnel européen, vous savez celui que nous avions refusé en 2005 ? Donc les voeux pieux, les grandes déclarations sans faire un bilan sur les réels problème...

à écrit le 08/11/2019 à 8:25
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bullshit PF Drucker a ecrit ' la fidelite du client s'arrete a une reduction de 1 cent' voila ce qui interesse le client, sauf quand c'est un bobo parisien, de preference fonctionnaire, et qui demandera a ce que les prix eleves qu'il subi en acheta...

le 09/11/2019 à 9:46
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@ Churchill Propos complètement delirant et pas sympa pour les Espagnols. Churchill...ca s'arrange pas !

le 15/11/2019 à 14:17
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C'est très bien de s'intituler Churchill et de plaider pour la sueur le sang et les larmes. Encore faut-il avoir raison et gagner la guerre. Avec "-' Million de chomeurs la France a payé la sueur le sang et les larmes. Ca fait das les 15000 morts p...

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