Intel n'a jamais caché ses ambitions de développement en Europe. Dans le domaine des semi-conducteurs, le géant américain était dès lors devenu le principal prospect à séduire au cours des derniers mois pour les États membres de l'Union européenne. Alors que la pandémie a révélé la faiblesse du continent dans la production des semi-conducteurs par rapport à l'Asie (80% de la production mondiale), les Vingt-sept ont travaillé ces derniers mois à un "European Chips Act" prévoyant de doubler la production de ces composants essentiels, de 10% de la production mondiale à 20% d'ici 2030. Le montant des investissements attendus est massif afin de combler la dépendance : près de 50 milliards d'euros d'ici 2030, soit un plan d'ampleur sensiblement équivalente à celui des Etats-Unis (52 milliards de dollars).
Déjà 33 milliards d'euros engagés
Le projet phare d'Intel, qui vise à installer une toute nouvelle "méga" unité de production de semi-conducteurs, s'établira finalement en Allemagne, à Magdebourg (Nord-est), conformément aux bruits de couloir qui avaient filtré ces derniers jours. Avec à la clé, un investissement de 17 milliards d'euros et la création de 7.000 emplois directement liés à la construction de l'usine, ainsi que de 3.000 emplois à terme.
Au total, le programme américain comprendra ainsi jusqu'à 80 milliards d'euros d'investissements dans les six pays de l'UE (Allemagne, Italie, France, Irlande, Pologne, en Espagne). L'objectif est robuste : créer "un écosystème de puces européen", a précisé le groupe dans un communiqué. Déjà 33 milliards sont déjà engagés.
Les travaux en Allemagne devraient débuter dès 2024, avec de premières productions qui pourront déployées sur le marché dès 2027, en accord avec les processus de qualifications nécessaires à l'industrie des semi-conducteurs.
Mais ce n'est pas le seul grand investissement qu'Intel fera en Europe : le fondeur investira également près de 12 milliards d'euros dans l'agrandissement de son site de production déjà basé en Irlande, ainsi que 4,5 milliards d'euros dans un autre site en Italie, destiné à une opération de packaging (l'encapsulation des puces), en lien avec son partenaire, le fondeur franco-italien STMicroelectronics.
La France écartée de la méga-fab, mais...
Un temps pressentie pour accueillir le grand site de production du groupe, la France a finalement été écartée du volet production. L'Hexagone accueillera néanmoins le nouveau centre de R&D du groupe, qui s'annonce comme une référence pour le marché européen.
La bataille française entre les écosystèmes des sites de Saclay et de Grenoble s'est finalement soldée par le choix de l'Ile-de-France.
"Il s'agit d'une reconnaissance de l'activité en conception ainsi qu'en recherche et développement française, et de son expertise dans le domaine des semi-conducteurs, du cloud et des supercalculateurs", souligne le ministère de l'Economie, qui glisse que le choix de Saclay face à l'écosystème grenoblois, qui se posait lui aussi comme l'un des berceaux des semi-conducteurs en France, s'appuie entre autres sur la proximité des installations de supercalculateurs du français Atos, basées elles aussi en région francilienne.
D'autant plus qu'entre les lignes, l'écosystème grenoblois s'était aussi jusqu'ici plutôt illustré dans une autre technologie de pointe des semi-conducteurs, le FD-SOI (porté par des acteurs de rang mondial comme Soitec, le CEA-Leti ou encore STMicroelectronics). Mais cette option technologique n'a pas été choisie par Intel, préférant celle du FinFET.
"Cette annonce représente une très bonne nouvelle pour la souveraineté industrielle technologique européenne, car elle s'inscrit dans la droite lignée des récentes annonces ainsi que du Chips Act, qui vise à augmenter les parts de marché de l'Europe à hauteur de 20%", a expliqué Bercy, en réactions aux annonces d'Intel.
"La France devient ainsi le siège européen de l'entreprise, notamment pour le calcul de haute performance, l'intelligence artificielle et les services de conception de fonderie", note le Ministère de l'Économie.
Des retombées évaluées plutôt en termes d'emplois
La France aura donc la recherche et développement, mais pas le cœur de l'enveloppe. Car sur le terrain des investissements, à ce stade non-communiqués pour la partie française, on sait déjà que la somme investie se situera nécessairement en deçà de celle allouée à un projet industriel. Celle-ci s'élèverait plutôt en emplois globaux pour la filière, estime Bercy, qui rappelle ainsi que "près de 450 emplois sont en effet envisagés d'ici 2024 sur ce site et à terme, près de 1.000 emplois une fois que l'ensemble des activités d'Intel seront engagées".
Le programme annoncé par Intel a déjà donné lieu à des échanges avec le gouvernement français, qui étudie actuellement en retour "les modalités de soutien financier qui pourraient être apportées sur les différentes branches du projet". Les annonces d'Intel pourraient notamment bénéficier d'un accompagnement au sein du plan France 2030 (où 7 milliards d'euros ont été fléchés vers la microélectronique) mais également d'une portion de l'enveloppe du futur IPCEI à l'échelle européenne.
Indépendance de l'Europe
L'arrivée du géant américain au cœur de l'écosystème européen n'est pas incompatible avec la recherche de souveraineté de l'UE dans le domaine. En juin dernier, Thierry Breton, le commissaire européen en charge du dossier, expliquait dans nos colonnes que l'urgence nécessitait d'implanter de nouvelles capacités de production. Et de préciser que cela serait réalisé "soit par nous-mêmes, soit en partenariat, mais avec des conditions sur la sécurité de l'approvisionnement et la garantie que ce qui est produit sur le continent réponde aux lois européennes."
En effet, le "European chips Act" va permettre à la commission européenne de se doter d'un instrument de réciprocité équivalent au Defense Production Act (DPA) américain. Cet outil permet au président des Etats-Unis d'exiger des entreprises sur le sol américain de produire exclusivement pour le pays. Le "Chips european Act" "rétablit un rapport de force dans la géostratégie de la chaîne de valeur, avait expliqué début février Thierry Breton.
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