Les fintechs rachetées par des banques risquent-elles de perdre leur âme ?

Fiduceo et Boursorama, Leetchi et le Crédit Mutuel Arkéa, Lepotcommun.fr et BPCE… Les rachats de fintechs par des banques se multiplient. Des opérations qui risquent de brider la créativité des premières, si les secondes se contentent de les intégrer dans leurs processus classiques.
Christine Lejoux
En septembre, le Crédit Mutuel Arkéa a acquis 86% du capital de Leetchi, pour une cinquantaine de millions d'euros.

Début 2014, l'Espagnole BBVA avait donné le coup d'envoi des rachats de fintech par des banques, avec l'acquisition de l'Américaine Simple. Une tendance qui semble s'accélérer en France. En mars dernier, Boursorama, la filiale de banque en ligne de la Société générale, mettait la main sur l'agrégateur de comptes Fiduceo. Quelques mois plus tard, le 22 septembre très exactement, c'était au tour du Crédit Mutuel Arkéa d'acquérir 86% du capital de Leetchi, spécialiste des cagnottes en ligne, pour une cinquantaine de millions d'euros. Rebelote quatre semaines après, avec l'annonce, par S-money - la filiale de paiements électroniques de BPCE (Banque Populaire Caisse d'Epargne) -, du rachat de 85% du Potcommun.fr, un concurrent de Leetchi. Face à la concurrence de ces startups spécialisées dans les technologies financières, qui veulent replacer le consommateur au centre de la relation bancaire, les banques ne sauraient-elles répliquer qu'en les rachetant purement et simplement ? N'est-il pas dommage de voir ces jeunes pousses basculer, déjà, dans le giron de grands acteurs traditionnels de la finance, au risque d'y laisser des plumes en matière d'inventivité et de dynamisme ?

« Tout dépend du mode de rapprochement et de collaboration. En effet, ce qui caractérise les fintech, c'est avant tout leur vision, leur compétence et leur agilité technologiques. Les banques qui rachètent des fintech doivent donc à tout prix éviter de les intégrer dans leurs organigrammes, systèmes d'information et processus de décision classiques, qui restent très peu flexibles, au risque de les étouffer »,

estime Gabriel de Montessus, directeur général du spécialiste des paiements en ligne HiPay Group. Un risque dont le Crédit Mutuel Arkéa semble bien conscient : lors de l'annonce du rachat de Leetchi, la banque avait bien précisé qu'il n'était pas question pour elle de se comporter comme « un éléphant dans un magasin de porcelaine. » Et, de fait, un pacte d'actionnaires prévoit que Céline Lazorthes - la jeune fondatrice de Leetchi - et son équipe demeurent maîtres de la stratégie de la fintech, au sein d'un directoire. Le Crédit Mutuel Arkéa siégeant, lui, au conseil de surveillance de la startup.

Des partenariats divers et variés

De même, les fondateurs du Potcommun.fr garderont la responsabilité opérationnelle de leur société, a promis S-money. Une condition qui a pesé lourd dans le choix de la fintech de céder aux sirènes de BPCE : « Nous sommes des entrepreneurs dans l'âme. BPCE et S-money nous ont assuré qu'elles ne voulaient pas tout casser, tout changer, mais au contraire nous laisser continuer à faire ce qui nous a réussi jusqu'à présent. L'objectif étant que Lepotcommun.fr demeure souple et dynamique », avait expliqué Ghislain Foucque, l'un des fondateurs de la fintech, le 21 octobre.

« Le phénomène des fintech étant récent, il existe aujourd'hui un risque assez fort de détruire de la valeur en les rachetant : il ne faut pas brider leur créativité, il faut les laisser vivre et ne pas se lancer dans de multiples rachats juste pour éliminer des concurrents »,

avait de son côté reconnu Anne-Laure Navéos, responsable des acquisitions et des partenariats au sein du Crédit Mutuel Arkéa, lors d'une table-ronde organisée le mois dernier au sein de l'accélérateur de startups The Family. « Le rachat de Leetchi, c'est l'exception qui confirme la règle, car nous sommes plutôt dans une logique de partenariats avec les fintech », avait insisté Anne-Laure Navéos.

Des partenariats capitalistiques, le Crédit Mutuel Arkéa détenant par exemple 34% de la plateforme de prêts entre particuliers Prêt d'Union, ou bien techniques, la banque étant notamment en charge du cantonnement des dépôts recueillis par le Compte Nickel, qui s'ouvre dans les bureaux de tabac. Dans la même veine, lors de l'annonce de l'accélération de sa transformation digitale, le 5 novembre, la Société générale a affirmé être « dans une approche résolument collaborative » à l'égard des fintech. Certes, sa filiale Boursorama a racheté Fiduceo au mois de mars, mais ce type d'opération ne semble nullement constituer une religion pour la banque : celle-ci se dit ouverte à toutes formes de partenariats avec les fintech, qu'il s'agisse pour elle de devenir cliente de ces dernières, ou de prendre de petites participations dans leur capital.

Les fintech, meilleurs alliés des banques face aux Gafa

Car, quelle que soit la forme des collaborations entre banques et fintech, une chose paraît certaine : les premières ont besoin des secondes, afin de relever le défi de la révolution numérique, et réciproquement. Ne serait-ce que pour des raisons techniques et réglementaires, les banques disposant par exemple des agréments nécessaires à l'encaissement de fonds pour le compte de tiers, ce qui n'est pas le cas de la plupart des fintech. Lesquelles ne disposent pas non plus de la surface financière des banques, loin s'en faut. Aussi, à l'aube de leur développement à l'étranger, les fondateurs du Potcommun.fr ne cachent pas que le rachat par S-money leur permettra d'avoir réellement les moyens de leurs ambitions, et de ne plus se contenter de « bricoler. »

« Les fintech et les banques ne doivent pas être concurrentes mais complémentaires. Toutes les fintech rêvent d'avoir les comptes de cantonnement des banques, qui, elles, rêvent d'avoir le dynamisme des fintech », avait ainsi décrété Audrey Stewart, cofondatrice de la plateforme de financement de PME Origin Investing, lors du colloque Bordeaux Fintech, le 7 octobre. Gabriel de Montessus, le patron de HiPay Group, va plus loin : « Les fintech représentent l'une des meilleures chances, pour les banques, de rester dans la course face aux Gafa [Google, Apple, Facebook, Amazon ; Ndlr]. » Pour la bonne raison que le pouvoir financier qui fait défaut aux fintech, les géants du Web, eux, le possèdent. Les Gafa n'ont donc rien à envier aux banques sur ce point, pas plus que sur celui de la connaissance de leurs clients. Mieux, les Gafa ont sur les banques l'avantage de l'agilité, une qualité partagée avec les fintech. C'est dire s'il importe pour les banques de se mettre bien avec ces dernières.

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Christine Lejoux

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