RSE : quand la finance veut avoir un impact positif sur la planète

La finance peut devenir un outil puissant pour orienter les investissements vers des pratiques vertueuses, par exemple en sanctionnant le soutien aux énergies fossiles. C'est ce qu'ont expliqué lors du Forum Partageons l'Économie organisé par la Tribune le 20 mai Fanny Picard, fondatrice d'Alter Equity, Thierry Déau, président de Finance for Tomorrow, Bertrand Poupart-Lafarge, Directeur Finance, Stratégie et Juridique d'AXA France et Thomas Friedberger, CEO de Tikehau IM (Groupe Tikehau Capital). Mais pour Lucie Pinson, fondatrice et directrice générale de Reclaim Finance et Patricia Crifo, professeur à l'Ecole Polytechnique et chercheuse au CREST, on est encore loin du compte.
De gauche à droite, Thomas Friedberger, CEO de Tikehau IM (Groupe Tikehau Capital) ; Bertrand Poupart-Lafarge, Chief Financial Officer, AXA ; Fanny Picard, Fondatrice Alter Equity et Thierry Deau, Président de Finance for tomorrow.
De gauche à droite, Thomas Friedberger, CEO de Tikehau IM (Groupe Tikehau Capital) ; Bertrand Poupart-Lafarge, Chief Financial Officer, AXA ; Fanny Picard, Fondatrice Alter Equity et Thierry Deau, Président de Finance for tomorrow. (Crédits : DR)

Le monde de la finance est dans le collimateur des ONG et activistes du climat, qui lui reprochent de continuer à soutenir les industries polluantes et l'extraction des énergies fossiles. Le rapport "Banking on climate change, fossil fuel finance report 2020" réalisé par cinq ONG dont Reclaim Finance révèle que les banques internationales ont accordé près de 2.700 milliards de dollars de financements aux énergies fossiles depuis l'adoption de l'Accord de Paris, avec un volume en hausse chaque année depuis 2016.

Une pression qui pousse les fonds d'investissement à faire évoluer leurs pratiques pour favoriser une finance à impact qui cherche à « être utile à la société et à limiter ses externalités négatives » selon Fanny Picard, fondatrice d'Alter Equity, premier fonds à avoir employé ce terme. Comment parvenir à faire passer la finance mondiale du gris (soutien aux énergies fossiles) au vert (développement des énergies renouvelables) ? Thierry Déau, président de Finance for Tomorrow, la branche de Paris Europlace pour une finance verte et durable, œuvre depuis 2005 au financement d'infrastructures durables avec son fonds d'investissement Meridiam. Pour lui, il faut « réorienter les flux financiers vers une économie bas carbone et inclusive, en évitant « l'impact washing » ».

En tant qu'investisseur institutionnel, Axa France a mis en place depuis 2010 une politique d'investissement responsable qui repose sur l'intégration de facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). « Nous avons pris l'engagement d'investir 25 milliards d'euros pour le climat et nous finançons des projets de transition » explique Bertrand Poupart-Lafarge, Directeur Finance, Stratégie et Juridique d'AXA France.

Pour Thomas Friedberger, CEO de Tikehau IM (Groupe Tikehau Capital), « les grands donneurs d'ordre mondiaux doivent des comptes à ceux dont ils gèrent l'argent ». Il observe que les sociétés qui ne correspondent pas aux critères ESG ont accès à des pools de financement plus restreints, et avec un coût plus élevé. La « bonne » finance peut-elle chasser la « mauvaise » ? Oui, à condition de « router l'épargne vers le financement de l'économie réelle et de la transition énergétique » selon Thomas Friedberger. Reste à savoir qui va noter les reporting extra-financiers dits aussi reporting ESG. Pour Thierry Déau, « la conception européenne des critères ESG n'est pas la même que celle des Américains. C'est une bataille réglementaire que nous devons gagner ». « Les indices de référence des produits financiers sont définis par des organisations anglo-saxonnes. La certification B Corp, par exemple, ne correspond pas aux critères sociaux que nous défendons en Europe », ajoute Fanny Picard.

Mettre un prix sur les externalités négatives

La finance à impact se heurte à un paradoxe : en favorisant la production d'énergies propres, elle diminue l'attractivité des énergies fossiles qui deviennent bon marché. Un investisseur peut ainsi presque avoir intérêt à acheter une centrale à charbon, avec la promesse d'un rendement élevé à court terme. Faut-il exclure les producteurs d'énergies fossiles des fonds d'investissement ou y investir massivement pour les aider à faire leur transition ? « Nous avons choisi d'exclure le charbon, mais il ne faut pas être dogmatique. On peut aussi décider d'investir dans la reconversion d'actifs dans une économie post-Covid » estime Thomas Friedberger. Pour lui, il faudra investir 700 milliards de dollars par an durant les dix prochaines années, soit environ 10 % des encours gérés par les asset managers dans le monde. « C'est en train de se passer » estime Thomas Friedberger. Consommateurs, investisseurs, salariés : tout le monde réclame des comportements plus vertueux de la part des entreprises.

Certains mettent en avant la décroissance comme unique solution pour réduire significativement l'impact du changement climatique. « La transition écologique ne s'accompagne pas nécessairement d'une décroissance, et on aura besoin des financiers pour permettre le déploiement des services de substitution » analyse  Fanny Picard. « La crise du Covid a prouvé que la décroissance ne marche pas. Pour arriver à une croissance durable, il faut mettre un prix sur les externalités négatives, comme le proposait dès 1972 le rapport du Club de Rome sur "Les limites à la croissance" aussi appelé rapport Meadows » conclut Thomas Friedberger.

Mais cette croissance verte sur le principe du pollueur payeur, qui sous-tend la taxonomie européenne pour une finance durable encouragée par certaines ONG comme le WWF, ne fait pas l'unanimité chez les économistes. Dans son ouvrage récent "La croissance verte contre la nature" (la Découverte), Hélène Tordjman, maîtresse de conférences en économie à l'université de Sorbonne Paris-Nord, estime que ses promoteurs s'attachent plutôt à sauvegarder le modèle industriel qui est la cause de la catastrophe en cours. Lucie Pinson, fondatrice et directrice générale de Reclaim Finance, une ONG qui milite pour une sortie totale des énergies fossiles, est elle aussi loin d'être persuadée des bienfaits d'une potentielle finance verte : « on a constaté une augmentation massive des financements aux énergies fossiles en 2020, dont 100 milliards d'euros par les grandes banques françaises, y compris aux entreprises qui sont à l'avant-garde de nouveaux projets pétroliers et gaziers comme Shell, BP et Total ».

La politique ambiguë des fonds de pension

Reclaim Finance appelle les gestionnaires d'actifs à s'inspirer du dernier rapport de l'AIE (Agence Internationale de l'Energie) qui propose une feuille de route pour atteindre le zéro émission nette de GES d'ici 2050 en trois scénarios : laisser faire, développement durable et zéro émission nette. Ce dernier, qui doit permettre de limiter le changement climatique à 1,5 °C selon les préceptes du Giec, est une nouveauté pour cette agence qui, selon la directrice générale de Reclaim Finance, avait plutôt l'habitude de soutenir les projets pétroliers et gaziers. Pour atteindre cet objectif ambitieux, l'AIE est claire : il faut stopper les nouveaux projets de prospection d'énergies fossiles.

Lucie Pinson appelle les actionnaires de Total à voter le 28 mai lors de l'assemblée générale contre « le faux plan climat de la direction qui camoufle en réalité une augmentation de 30 % de sa production de gaz ». Néanmoins, certaines avancées existent. Patricia Crifo, professeur à l'Ecole Polytechnique et chercheuse au CREST, rappelle que l'investissement socialement responsable représentait 1 % des actifs investis sur les marchés financiers en 2007 contre 20 % aujourd'hui. Certains investisseurs, à l'instar du fonds de pension Californien Calpers, ont pris des initiatives, comme la création du Climate Action 100+, un groupe d'investisseurs qui détient 54 milliards de dollars d'actifs et fait pression sur les industriels émetteurs de GES pour qu'ils améliorent leurs pratiques. « Il y a aussi le collectif Say on climate, qui propose d'imposer un vote sur les résolutions climat, ce qui a obligé Total à soumettre au vote son plan de neutralité carbone » explique Patricia Crifo. Mais pour Lucie Pinson, ce plan est en réalité du "green washing", et Chris Hohn (milliardaire et activiste britannique), à l'origine duSsay on climate, a appelé les actionnaires à ne pas l'adopter. Par ailleurs, Calpers a refusé de valider le plan de décarbonation de BP, s'attirant les critiques des activistes comme Follow This et Reclaim Finance. Un pas en avant et un autre en arrière : cette valse hésitation d'un fonds catalogué comme favorable à une évaluation de ses investissements selon des critères ESG contribue à brouiller l'image de la finance verte. Lors de son AG du 21 mai, les actionnaires de BP ont néanmoins approuvé massivement la résolution visant à rendre le pétrolier plus transparent sur ses émissions de gaz à effet de serre.

Le Scan de la Finance Fossile

« Quels que soient les défis posés par une transition rapide, c'est la meilleure option pour BP et ses actionnaires autant que pour le monde entier », a déclaré à cette occasion Helge Lund, président de BP. En revanche, il a refusé une autre résolution sur le climat plus contraignante déposée par le groupe Follow This qui enjoignait le pétrolier à réduire ses émissions de l'exploration jusqu'à l'utilisation des produits par le consommateur final. Les chercheurs de la chaire Finance durable et investissement responsable de l'Ecole Polytechnique et de l'Université Toulouse 1 Capitole ont comparé les votes aux AG des fonds BlackRock, le plus grand gestionnaire d'actifs privé mondial (7000 milliards d'euros d'encours en octobre 2020) et le fonds souverain responsable norvégien (1105 milliards d'euros). « Sur 40 000 résolutions votées par les AG de 3 000 entreprises dans les années 2010/2020, ces deux fonds s'opposent souvent au management sur les questions environnementales ». Avec une nette différence entre BlackRock, fonds privé qui s'est opposé aux décisions dans 4 % des AG en moyenne et le fonds souverain norvégien avec 25 %.

Reclaim Finance a récemment lancé le Scan de la Finance Fossile, un outil d'évaluation des politiques pétrole et gaz des acteurs financiers français qui vise « à donner les moyens de comprendre ce qui se passe derrière les grands discours des établissements financiers » selon Lucie Pinson. Assiste-t-on à une vraie bascule vers une véritable finance à impact ? « Il existe effectivement un risque de greenwashing. Mais les régulateurs, l'AMF (Autorité des Marchés Financiers) et l'ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), ont lancé une commission climat et finance durable et une évaluation des engagements des acteurs financiers. Par ailleurs, la crise sanitaire a rendu plus lisible les inégalités et remis au premier plan la question du partage des profits entre salariés et actionnaires. La vision qui fait des actionnaires la partie prenante principale ne tient plus » conclue Patricia Crifo.

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Avec Lucie Pinson, Fondatrice et Directrice générale de Reclaim Finance et Patricia Crifo, Professeur à l'Ecole Polytechnique et chercheuse au CREST

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