Avec son « scan de la finance fossile », Reclaim Finance met banques et assurances sur le grill

Après avoir poussé les plus grands acteurs financiers français à se désinvestir du charbon, l’ONG Reclaim Finance avance ses pions, et s’attaque maintenant à leur participation à des projets d’exploitations d’hydrocarbures. Armée de son nouveau « Scan de la finance fossile », elle épingle les banques, investisseurs et gestionnaires d’actifs les plus investis dans les pétroles et gaz non conventionnels, de par leurs soutiens en capitaux à ces activités nocives pour le climat. Et les appelle à une stratégie claire de sortie d’ici à 2030.
Marine Godelier
Selon Reclaim Finance, moins de la moitié des acteurs financiers français ont une politique couvrant un des cinq secteurs les plus risqués, que sont les sables bitumineux, les gaz et pétrole de schiste, les forages en Arctique, en eau profonde ou encore le gaz naturel liquéfié.

La multinationale Shell la semaine dernière, le géant Total demain : en ce mois de mai, Lucie Pinson essaime les Assemblées générales des majors pétrolières et gazières. Celle qui a fondé l'ONG Reclaim Finance en 2020 et reçu la même année le prix Goldman pour l'environnement - la plus grande distinction dans le domaine -, entend marquer le coup. Car la travailleuse acharnée n'en démord pas : le temps est venu pour les entreprises de s'engager « réellement » à sortir des hydrocarbures, « seul moyen » de coller à la trajectoire d'augmentation de 1,5°C prévue par l'accord de Paris, martèle l'activiste.

Et pour s'y attaquer, c'est d'abord un autre type d'acteur qu'elle tient dans son viseur : les établissements bancaires qui les financent, de par leurs participations dans les sociétés et le fléchage de leurs capitaux. Car comme son nom l'indique, l'ONG s'attaque à ce monde complexe, souvent teinté d'imaginaire, qu'est la finance. Complice, selon elle, de certaines entreprises climaticides et des projets qu'elles font vivre.

Alors, pour « décrypter les pratiques réelles » en la matière des banques, assureurs et autres gestionnaires d'actif, Reclaim Finance met à exécution une tactique claire : alerter l'opinion publique sur certains investissements « néfastes » pour la planète, de manière à couper le robinet à l'économie carbonée, et ainsi l'éteindre à petits feux. « Notre rôle, c'est de les pousser à faire beaucoup plus », explique la militante à La Tribune. A coups de rapports étayés et d'outils accessibles à tous.

56 politiques passées au crible

Le dernier en date, le « scan de la finance fossile », a été publié le 12 mai. Il analyse et compare les politiques sectorielles adoptées par 56 acteurs de la finance français sur le pétrole et le gaz dit « non-conventionnel » - c'est-à-dire ceux qui « concentrent le plus de risques pour le climat » - les « champions de la course à la destruction de l'environnement », torpille Reclaim Finance. Et plus précisément sur cinq secteurs : le pétrole issu de sable bitumineux, les gaz et pétrole de schiste, les forages en Arctique, en eau profonde ou encore le gaz naturel liquéfié (GNL).

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En la matière, le bilan est « alarmant », estime l'ONG, qui n'hésite pas à nommer ses cibles et « interpelle AXA, Crédit Agricole, BNP Paribas et autres » : alors que Bruno Le Maire appelait en septembre les acteurs de la place de Paris à se doter de stratégies de sortie des pétrole et gaz non-conventionnels, « moins de la moitié des acteurs ont une politique couvrant l'un de ces cinq secteurs les plus risqués, et aucun d'entre eux n'a de politique qui touche à l'intégralité de ces secteurs », s'alarme ainsi Clément Faul, analyste chez Reclaim Finance.

D'autant que la crise n'a rien arrangé, « au contraire », soutient Lucie Pinson : « 100 millions d'euros ont été accordés aux grandes banques françaises en 2020, qui faisaient en vérité des chèques sans conditions, y compris à celles à l'avant-garde dans l'expansion dans les énergies fossiles ».

Une sortie engagée du charbon

De quoi agacer certains poids lourds de la finance, avec lesquels l'ONG dialogue régulièrement. « L'outil donne l'impression que la finance est toute puissante. Une partie du chemin ne dépend pas d'acteurs privés », glisse un grand gestionnaire d'actif visé par l'enquête. « Il y a des raccourcis, c'est toujours à charge. On nous pointe du doigt sur des responsabilités qui ne sont pas les nôtres », déplore un autre.

Mais Reclaim Finance n'en est pas à son coup d'essai, et a su, par le passé, se montrer efficace : par son « lobbying » et son « coal politicy tool », qui mesure les politiques de sortie du charbon des acteurs financiers, l'ONG a participé à amorcer une sortie des établissements bancaires de ce combustible. Sous la pression de Lucie Pinson, 16 groupes financiers français, dont le Crédit agricole, Axa, BNP Paribas et la Société générale, se sont en effet engagés dès 2015 à se désinvestir totalement du charbon, en excluant de leur portefeuille les entreprises qui développent de nouveaux projets, et en demandant aux autres d'adopter des plans de sortie de cette énergie. Une politique de sortie que la plupart d'entre eux portent aujourd'hui en étendard, pour témoigner de leur bonne foi en matière climatique.

Soutiens indirects

Après cette bataille - entamée mais pas terminée, souligne Reclaim Finance -, c'est donc un nouveau pion que l'ONG avance, en élargissant la stratégie au non-conventionnel, avant - elle ne s'en cache pas - l'ambition ultime de sortie totale des énergies fossiles. En s'attaquant notamment aux financements indirects par les investisseurs de ces projets risqués : « quand les politiques restreignent les soutiens aux entreprises, elles excluent celles qui y sont les plus exposées en part d'activité, et non celles qui sont les plus actives dans ces secteurs ou celles qui s'y développent », dénonce le scan de la finance fossile.

De telle sorte que certaines banques « se contentent de couper les financements à des producteurs spécialisés dans le non-conventionnel », mais arrosent les poids lourds des énergies, aux activités diversifiées - y compris dans les secteurs visés, affirme un communiqué. Comme BNP Paribas, qui « est, en valeur absolue, la banque à avoir augmenté le plus au monde ses financements au pétrole et gaz de schiste entre 2019 et 2020 », avance l'ONG. Ou encore le Crédit Agricole, « qui s'interdit de financer les projets d'extraction de pétrole en Arctique mais s'autorise à financer les projets gaziers, pourtant tout aussi destructeurs pour l'Arctique » et « figure quand même parmi les dix banques au monde les plus impliquées dans la région ».

La méthodologie pointée du doigt

Des constat réfutés par les principales concernées, qui insistent sur leur bon vouloir et leurs engagements pionniers pour le climat. Quand la première assure disposer de « la politique la plus stricte » en la matière, et être « la seule au monde » à avoir exclu les spécialistes de gaz et pétrole de schiste, la seconde critique des « approximations intellectuelles » et un « exercice de communication », malgré une démarche « louable et vertueuse ». « Nos financements sont non affectés. Comment sont-ils capables de savoir lesquels sont accordés en Arctique, alors qu'on investit dans des entreprises dont les activités peuvent s'étendre partout dans le monde ? », s'interroge Eric Campos, directeur RSE du groupe.

« Surtout, une partie est acceptée dans le cadre de nos politiques sectorielles, comme le financement de forages de gaz de schiste, mais peut-être refusée au cas par cas », ajoute-t-il. Insuffisant pour Clément Faul, qui demande des garanties : « sans menace d'exclusion, l'engagement est lacunaire. Il faut qu'un couperet puisse tomber, si un acteur persévère dans les projets les plus risqués ».

Même son de cloche pour la Société générale, accusée par l'ONG de définir un seuil d'exclusion d'activité dans le non-conventionnel « trop élevé », permettant de « financer Total et ses cinq nouveaux mégaprojets en Arctique, qui ne représentent « que » 5% de ses activités ». « Société Générale a été une des premières banques mondiales à annoncer un objectif concret et mesurable de réduction de son portefeuille lié à l'extraction du pétrole et gaz de 10% d'ici 2025 », se défend le groupe, sans faire la distinction entre ce qui est conventionnel et ce qui ne l'est pas.

Vers une taxonomie verte européenne

Encore faut-il que les acteurs s'accordent sur la définition du « non-conventionnel ». La plupart des établissements bancaires ne partagent pas le même périmètre que celui retenu par Reclaim Finance. Quand certains y excluent le GNL, d'autres mettent de côté les forages en profondeur ou l'extraction de gaz de schiste, interdite en France mais en pleine expansion aux Etats-Unis - pourtant « au cœur-même » du non-conventionnel selon certains des acteurs financiers interrogés. « On appelle à se détacher de ce débat, pour pouvoir voir les secteurs les plus risqués pour l'environnement et la biodiversité, et ceux que nous avons retenus le sont », avance Clément Faul, qui appelle néanmoins Bruno Le Maire à clarifier sa demande et en préciser l'échéance.

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Reste également à trancher le périmètre de la taxonomie verte européenne - un outil de classification des activités en fonction de leurs bénéfices pour le climat afin d'orienter les investisseurs vers celles qui permettront d'atteindre les objectifs ambitieux en la matière -, qui pourrait inclure le gaz naturel ; la décision a été reportée, de nombreux Etats membres clamant leur dépendance à ce combustible fossile...

A cet égard, le rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), publié la semaine passée, risque bien de changer la donne. Car l'organisation a surpris par un tournant majeur - Lucie Pinson ne manque pas de le rappeler -, en pressant le monde, englué dans les énergies fossiles, d'oublier dès « maintenant » tout nouveau projet dans ce domaine, pour préserver le climat.

Marine Godelier

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Commentaire 1
à écrit le 27/05/2021 à 14:35
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wow, une transition ecolo digne de beria.......ce qui sont pas cooperatifs, on leur envoie la tcheka a 3.00 du mat leur regler leur compte.........les ecolos decouvrnet que c'est pas facile de sortir d'une situation en 5mn? on peut arreter le petrole...

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