
En toile de fond, la Seine et les cuves du dépôt pétrolier de Bolloré Energy. Au loin, la flèche de la cathédrale de Rouen pointe vers le ciel. Nous sommes à Petit-Couronne à l'emplacement de l'ex raffinerie Petroplus devenue propriété du groupe Valgo : l'un des 80 sites industriels « clefs en main » dont Bercy assure la promotion auprès des investisseurs étrangers. C'est là sur cette ancienne friche, débarrassée de ses cheminées il y a peu, que le promoteur luxembourgeois Gazeley a été mandaté par Amazon pour aménager une base logistique de 160.000 mètres carré.
La localisation à une grosse centaine de kilomètres de la capitale est idéale pour le géant américain du e-commerce dont les principaux centres de distribution sont aujourd'hui domiciliés à l'Est de la France. La firme envisage d'expédier, depuis cette plateforme, quelque 330.000 colis par jour, 7 jours sur 7. A la clef, la création d'environ 300 emplois qui pourront monter à 1.500 en période de pics. A première vue, du pain béni pour une métropole confrontée à plusieurs sinistres industriels (Vallourec, Chapelle Darblay...).
Le projet n'en suscite pas moins des débats éruptifs, y compris au sein de la gauche rouennaise. Il a été rejeté via une motion par la majorité rose-verte de la Métropole qui pronostique la mort du petit commerce. En revanche, il est soutenu bec et ongles par le maire socialiste de Petit-Couronne. Joël Bigot a signé le permis de construire début janvier au nom des impacts positifs sur l'emploi et du renouveau démographique de sa ville à qui la fermeture de la raffinerie a porté un rude coup. Même tonalité dans les services de l'Etat.
Vers une guerre d'usure
Le préfet de Seine-Maritime vient en effet de publier l'arrêté définitif autorisant la construction. « L'arrivée de cette nouvelle activité génératrice d'emplois s'inscrit dans une action de long terme visant à reconvertir le site de l'ancienne raffinerie Petroplus et ainsi éviter la création d'une friche industrielle au coeur de l'agglomération rouennaise » écrit Pierre André Durand pour justifier sa décision.
Pas de quoi faire taire les opposants qui entendent bien multiplier les recours grâce au soutien des Amis de la Terre et de France Nature Environnement. « Le préfet Durand vient de lancer le départ d'une bataille juridique et citoyenne sans précédent contre le méga entrepôt de Petit Couronne. Nous allons faire le maximum pour retarder les choses » prévient Jean-Yves Chopard, membre du collectif Stop Amazon 76 dont certains adhérents envisagent déjà la mise en place d'une ZAD.
Rouen n'est pas la seule ville de l'Ouest où les manœuvres d'approche de l'américain, toujours par promoteur interposé, suscite des crispations. A Rennes, le groupe aurait renoncé à son projet d'implantation d'un entrepôt face aux réticences de l'état-major de la Métropole plus enclin à favoriser un projet centré sur la transition écologique. A Caen, la communauté urbaine tenue par la droite s'est opposée à l'installation d'une agence de distribution dans la localité de Mondeville dont la maire était montée au créneau avec des accents de passionaria. Un second projet comparable envisagé à Moult à une quinzaine de kilomètres au Sud de la capitale politique de la Normandie a provoqué la création d'un collectif Stop Amazon 14, omniprésent sur les réseaux sociaux.
On le voit, les députés, qui débattent en ce moment de l'opportunité (ou non) d'un moratoire sur les entrepôts du e-commerce en périphérie des villes, ne sont pas les seuls à se questionner sur la montée en puissance de la firme de Jeff Bezos avec, en toile de fond, un boom sans précédent du commerce en ligne dont le chiffre d'affaires à bondi de 17 milliards d'euros en 2020. Près du quart de cette manne tombant dans l'escarcelle du A des GAFAM.
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