Casino, Carrefour.... : ce que fait la grande distribution pour digitaliser les ventes alimentaires

DOSSIER E-COMMERCE. En deux ans, le e-commerce alimentaire a battu des records de croissance, et les acteurs du secteur ont dû adapter leurs stratégies. Si le "drive" reste encore dominant en France, les livraisons à domicile ont explosé avec les confinements. Plusieurs supermarchés et hypermarchés ont ainsi décidé de s'allier avec des prestataires de la livraison rapide (Uber Eats, Deliveroo) et ultra rapide (Gorillas, Cajoo), pour répondre à une demande nouvelle de consommateurs en quête d'instantanéité.
Un consommateur vient récupérer au drive d'une enseigne de la grande distribution sa commande de produits alimentaires effectuée en ligne.

C'est une nouvelle page qui est en train de s'écrire pour le e-commerce alimentaire. L'année 2020 a marqué un tournant majeur pour le circuit de ventes en ligne, qui a définitivement pris son envol dans le contexte de pandémie. Les confinements et restrictions de déplacement ont incité les Français à effectuer leurs achats alimentaires en ligne, dopant ainsi les ventes en e-commerce de produits de grande consommation (autrement dit les courses alimentaires, d'hygiène et d'entretien), qui ont augmenté de 42% sur l'ensemble de l'année 2020.

Et l'année 2021 a poursuivi sur la même voie, avec 6,1% de ventes en ligne supplémentaires pour ces produits, selon les données de Nielsen. En deux ans, le e-commerce alimentaire a ainsi battu des records de croissance, rebattant quelque peu les cartes pour les acteurs de la grande distribution, qui ont dû adapter leur stratégie digitale plus vite que prévu.

Explosion des ventes alimentaires en ligne en deux ans

La Fevad (Fédération E-commerce et Vente A Distance) estime en effet que dans l'Hexagone, le circuit e-commerce a gagné en quelques mois quatre à cinq ans dans son développement. Au point de hisser ce canal à 9% de parts de marché sur les ventes alimentaires en 2021 selon Kantar, soit un gain de 2,6 points par rapport à 2019.

Un bond des ventes alimentaires en ligne qu'ont pu expérimenter les enseignes de la grande distribution. Chez Carrefour, « les ventes en e-commerce alimentaire ont fortement accéléré en 2020, générant ainsi 2,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur l'année », confie à La Tribune la directrice e-commerce de Carrefour Elodie Perthuisot. Même son de cloche du côté du groupe Casino :

« Les ventes de produits alimentaires en ligne ont été multipliées par cinq en deux ans (2020-2021) », confiait récemment à La Tribune Laurent Rapoport, le directeur marketing et digital de l'enseigne de magasins de proximité Franprix, membre du groupe Casino.

Pour autant, la rentabilité du groupe n'est pas au rendez-vous. La direction a indiqué hier que ses enseignes en France ne verront pas leur excédent brut d'exploitation (Ebitda) croître sur l'année 2021, en raison d'une évolution de la distribution alimentaire. Une déclaration qui a fait plonger le groupe de 14% ce lundi. Et ce, alors que le groupe Casino mettait encore mi-2021 l'accent sur "la dynamique d'amélioration de la rentabilité dans l'ensemble des enseignes" qu'il détient (Géant, Monoprix, Franprix, Naturalia, Vival...).

En tout cas, tous les acteurs de la grande distribution tiennent un discours similaire, insistant sur la complémentarité entre magasins physiques et e-commerce et la nécessité de ne pas les opposer. Laurent Rapoport (Franprix) fait état d'une « redéfinition du rôle des magasins » induite par le e-commerce et affirme « croire toujours énormément au commerce physique centré autour d'un magasin qui connaît les clients ».

Aujourd'hui, plus d'un tiers (35,5%) des foyers mixent le magasin physique et le commerce en ligne (un chiffre en hausse de six points en deux ans), mais rares sont ceux qui renoncent totalement à se rendre en magasins pour faire leurs courses.

« Les clients ayant recours au e-commerce pour leurs achats alimentaires sont aussi des clients se déplaçant en magasin pour une autre partie de leurs courses », observe ainsi Laurent Rapport, qui se dit convaincu, comme son homologue de Carrefour, que la stratégie digitale des enseignes de la grande distribution doit être pensée « dans une logique omnicanale ».

Transfert des ventes des magasins physiques vers le e-commerce

Mais s'il est clair que le e-commerce est pour l'heure encore loin d'être majoritaire pour les ventes alimentaires, force est de constater que la plupart des autres circuits de distribution - supermarchés, hypermarchés, commerces de proximité - voient leurs parts de marché diminuer d'année en année au profit du circuit en ligne.

Aujourd'hui, si les supermarchés - d'une surface comprise entre 400 et 2.500 mètres carrés - et les hypermarchés - de plus de 2500 mètres carrés - s'arrogent encore l'essentiel des ventes alimentaires, captant respectivement 33% et 37% de celles-ci en France, des montants conséquents sont transférés vers le e-commerce. Le chiffre d'affaires du circuit des hypermarchés pour les ventes de produits de grande consommation a ainsi diminué de 0,9% en 2021, baisse qui s'élève à 1,2% pour les supermarchés, et qui s'explique par de forts reports vers le circuit en ligne.

Sur l'année 2021, le chiffre d'affaires généré par les ventes en e-commerce de produits de grande consommation a en effet augmenté de 6,1% par rapport à l'année 2020 (avec respectivement +4,5% pour le "drive voiture", +24,9% pour la livraison à domicile et +25,5% pour le "drive piéton"), au point que le cabinet Nielsen a qualifié le circuit e-commerce de "grand gagnant" pour l'année 2021.

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Et cette tendance semble en passe de s'installer dans la durée. Carrefour, par exemple, a de fortes perspectives de croissance à moyen terme pour le e-commerce alimentaire et veut accélérer fortement sur les produits de première nécessité (alimentation, hygiène, entretien).

« D'ici à 2026, Carrefour ambitionne de réaliser 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour les ventes en e-commerce. Cette croissance sera portée à la fois par l'alimentaire et les produits de grande consommation, ainsi que le non-alimentaire », détaille la directrice e-commerce de Carrefour Elodie Perthuisot.

Quant au commerce de proximité, autre fournisseur de produits alimentaires pris en compte dans les études, il semble être l'un perdants de ce virage en faveur du e-commerce. En 2021, le montant des ventes alimentaires réalisées en proximité a ainsi diminué de 0,2% par rapport à 2020, une part conséquente ayant été transférée vers le e-commerce. A tel point qu'avec 9% de parts de marché, le e-commerce pèse dorénavant plus que la proximité (8,4%) dans la vente de produits alimentaires.

Pour autant, malgré le recul des ventes "offline" dans les magasins de proximité, Franprix affiche sa volonté de s'appuyer sur ses 900 magasins de proximité situés en zones urbaines pour « devenir le leader du e-commerce alimentaire de proximité » et atteindre ainsi « 10% de quote-part du e-commerce », si l'on en croit son directeur marketing et digital. Un objectif ambitieux étant donné que Franprix ne pèse aujourd'hui que l'équivalent de 1,3% de part de marché sur la vente de produits de grande consommation, selon le panéliste Kantar.

Prédominance du "drive", mais forte poussée de la livraison à domicile

Autre point à noter : les enseignes de la grande distribution opèrent au travers de deux canaux majeurs pour délivrer les courses alimentaires commandées en ligne : le "drive" ("drive voiture" et "drive piéton") et la livraison à domicile.

Le plus plébiscité à l'heure actuelle est le "drive voiture", soit le retrait en voiture de courses effectuées en ligne. Opérés par les enseignes d'hypermarchés et supermarchés, les "drive voiture" concentrent l'essentiel des ventes en ligne de produits alimentaires (90%) et n'induisent pas de frais supplémentaires par rapport à la commande, à la différence des livraisons à domicile. Et se démocratisent depuis peu les "drive  piéton", qui captent environ 1% des ventes alimentaires en e-commerce.

À ce jour, la primauté du "drive" dans le circuit e-commerce est clairement perceptible en France mais déroge au standard de la plupart des pays européens, qui privilégient davantage la livraison à domicile.

Dans l'Hexagone, le chiffre d'affaires pour les ventes en e-commerce réceptionnées en "drive-voiture" a ainsi augmenté de 4,5% sur l'année 2021, après une croissance hors du commun, de plus de 40%, en 2020, selon Nielsen IQ. La livraison à domicile, elle, reste encore minoritaire en France pour la distribution des courses alimentaires, mais a enregistré une progression sans précédent depuis les épisodes de confinement.

Si elle pèse seulement 7% du marché, elle a vu son chiffre d'affaires pour les produits de grande consommation achetés en ligne croître de près de 25% en 2021, et semble dotée d'un fort potentiel de croissance pour les années à venir.

Chez Franprix, la livraison est une stratégie sur laquelle mise beaucoup le directeur marketing et digital, convaincu que celle-ci permet à la fois « de fractionner ses achats alimentaires » et « de se libérer de la charge mentale de faire ou d'aller chercher ses courses ». Et l'accélération de la livraison à domicile est également scrutée de près par Carrefour.

« Si le drive, au sein de Carrefour et plus largement en France, reste aujourd'hui majoritaire par rapport à la livraison à domicile, c'est un marché qui est plus mature et en plus faible croissance, tandis que la livraison, elle, se développe fortement », analyse la directrice e-commerce du groupe Elodie Perthuisot.

Un point corroboré par une étude du panéliste IRI, lequel a analysé les achats alimentaires en e-commerce distribués en drive et livrés à domicile en France au cours de l'année 2021.

Si l'on en croit les résultats de l'étude, qui prend en compte l'ensemble des ventes alimentaires livrées à domicile, tant les courses sur les sites des enseignes de la grande distribution que les livraisons de repas, la livraison à domicile (au sens large) pèse même désormais plus que le drive en France, avec plus de 10 milliards d'euros générés par celle-ci sur l'année 2021, contre 9 milliards d'euros pour le drive.

« La crise sanitaire, en modifiant notre rapport au temps et à l'espace, a donné un coup d'accélérateur à la livraison à domicile encore plus important que celui donné au drive », résume ainsi la directrice business insight d'IRI Emily Mayer.

Intensification des partenariats de livraison rapide dès 2020

Dans ce contexte d'envolée des livraisons à domicile, dopé par la crise sanitaire, plusieurs acteurs de la grande distribution ont noué de nouveaux partenariats pour étendre leur offre de livraison. Car si les services de livraison intégrés des enseignes préexistaient déjà à la pandémie, celle-ci a nourri de nouveaux besoins, notamment une volonté de se faire livrer ses courses rapidement voire quasi-instantanément.

Pour répondre à cette nouvelle demande, qui fait partie des axes de développement prioritaires pour la grande distribution, les enseignes comme Carrefour ou Casino se sont alliées avec les prestataires clés de la livraison rapide et ultra-rapide.

Du côté des livraisons dites rapides, en moins d'une demi-heure, les acteurs de la grande distribution se sont associés aux "agrégateurs-livreurs" déjà dominants sur la livraison de repas : Deliveroo et Uber Eats.

Alors que ces plateformes assurent à ce jour plus de 70% des livraisons de repas commandés en ligne, elles ont accepté de s'allier avec les enseignes de la grande distribution, convaincues que le segment de la livraison de courses était devenu un axe stratégique à conquérir.

Ainsi Carrefour a signé en avril 2020 « un partenariat privilégié avec Uber Eats en France », qui était initialement exclusif, et dispose également depuis avril 2021 d'une collaboration avec Deliveroo. La promesse : livrer aux consommateurs de Carrefour leurs courses alimentaires commandées sur les applications Uber Eats ou Deliveroo dans un délai de trente minutes maximum.

« Il y a encore un ou deux ans, il ne nous venait pas à l'idée de faire nos courses Carrefour sur l'application Uber Eats », fait remarquer la directrice e-commerce de Carrefour Elodie Perthuisot.

Et d'ajouter : « c'est désormais possible, et on retrouve sur Uber Eats une partie significative de l'assortiment disponible chez Carrefour, entre 5.000 et 8.000 références selon le type de magasin situé à proximité du domicile du client, sachant que ce service couvre aujourd'hui environ 60% de la population française ».

Chez Casino, ces mêmes acteurs ont été choisis pour booster l'offre de livraisons rapides de courses pendant le confinement, mais l'enseigne s'est d'abord tournée vers Deliveroo en 2020, avant d'ajouter Uber Eats à sa liste un an plus tard. Et rien que chez Franprix (groupe Casino), qui compte environ 900 magasins de proximité, « plus de 500 magasins sont aujourd'hui en partenariat avec Deliveroo et Uber Eats », détaille le directeur marketing et digital de Franprix Laurent Rapoport.

Spécificité de ces livraisons rapides : les prix des produits sont légèrement majorés pour tenir compte des frais collectés par les plateformes, dont le montant n'est pas communiqué. À date, parmi les enseignes de la grande distribution, seuls Carrefour et Casino ont fait le choix de conclure des partenariats de livraison rapide avec des acteurs externes.

Le groupe Système U a quant à lui récemment noué un partenariat avec la startup française La Belle Vie, qui lui permet de garantir, en Île-de-France, une livraison de courses commandées via la plateforme tricolore en moins d'une heure à Paris, et en moins de trois heures pour le reste de l'Île-de-France.

Positionnement dès 2021 sur le créneau de la livraison ultra-rapide

Enfin, depuis 2021, les enseignes de la grande distribution ont également tenté de saisir le créneau de la livraison ultrarapide de courses, qui a émané avec l'éclosion de startups de quick commerce en pleine pandémie. Qu'il s'agisse de Gorillas, Getir, Flink, Cajoo ou Yango Deli, elles ont vu le jour pendant la crise et misent sur un service de livraison en 10 à 15 minutes pour répondre aux exigences de quasi instantanéité des clients.

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En septembre 2021, Carrefour a été la première enseigne de la grande distribution à s'allier avec un acteur du "quick commerce". Carrefour a ainsi noué un partenariat avec le spécialiste français de la livraison ultra rapide Cajoo et a fait son entrée au capital de la startup à hauteur de 40 millions de dollars. Désormais, il est donc possible de commander « environ 2.000 références disponibles chez Carrefour via l'application Cajoo » et de se les faire livrer à domicile en moins de quinze minutes dans les zones urbaines où opère Cajoo.

Et le groupe Casino a emboîté le même pas dès novembre 2021, en décidant de s'allier avec le géant allemand du quick commerce Gorillas, et d'entrer à son capital. « Ce partenariat est entré en action depuis janvier 2022 », explique Laurent Rapoport, qui insiste aussi sur le fait que l'accord conclu entre Casino et Gorillas est « un partenariat d'approvisionnement exclusif ».

Et de préciser : « d'autres projets vont être travaillés par le groupe Casino avec Gorillas, notamment la possibilité pour les clients des enseignes du groupe Casino (Monoprix et Franprix) de commander sur les sites respectifs des magasins et d'être livrés en 10 à 15 minutes par un entrepôt Gorillas à proximité de chez eux ».

Si les alliances avec les acteurs du "quick commerce" sont encore toutes récentes et ne concernent pour l'heure que Carrefour et Casino, ces partenariats pourraient bien se généraliser au cours des années à venir si la poussée des startups de livraison ultra rapide poursuit sur la même lancée.

À terme, si ce service venait à s'installer dans les pratiques de consommation de nombreux Français, l'alliance avec les acteurs de la livraison ultra rapide pourrait en tous cas devenir un passage obligé pour les enseignes de la grande distribution, plus que jamais soucieuses de développer leurs ventes en ligne.

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Commentaire 1
à écrit le 01/02/2022 à 8:09
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Ce sont des mouvements imposés par nos modes de vie bouleversés en plus par la dictature sanitaire.

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