Recyclage des bouteilles plastiques : les élus locaux s'emportent contre une « fausse consigne » à 1 milliard d'euros

En pleine concertation avec le gouvernement sur le recyclage des bouteilles plastiques, l'ensemble des associations d'élus locaux est monté au créneau, ce 18 avril, contre la consigne. Les édiles estiment que si elle était appliquée, elle rapporterait plus de 700 millions d'euros aux industriels de la boisson et ferait perdre aux collectivités plus de 300 millions de recettes. Explications.
César Armand
Vers l'amélioration du cadre juridique et administratif de la tarification incitative qui existe déjà dans certaines intercommunalités ?
Vers l'amélioration du cadre juridique et administratif de la tarification incitative qui existe déjà dans certaines intercommunalités ? (Crédits : DR)

La photo de famille est rare. A l'exception des Régions de France, l'ensemble des associations d'élus locaux était représentée ce 18 avril à l'association des maires de France. Quelle que soit la taille de leur collectivité et au-delà des clivages partisans, les édiles montent au front contre la consigne des bouteilles plastiques, telle que la prévoit le gouvernement. Actuellement, ces bouteilles pèsent 350.000 tonnes sur 1,18 million de tonnes d'emballage en plastique, 5,3 millions de tonnes d'emballages et 39 millions de tonnes de déchets ménagers et assimilés. Mais unanimement, ils la qualifient de « fausse consigne », considérant que le geste de déposer une bouteille dans un automate, au lieu d'une poubelle jaune à son domiciles, aura de lourdes conséquences environnementales, économiques et sociétales.

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Des objectifs largement atteignables

Depuis le projet de loi « Anti-gaspillage pour une économie circulaire » de 2019, il est en effet prévu la fin de la mise sur le marché des emballages plastiques à usage unique d'ici à 2040, et ce en les réduisant de 20% d'ici à fin 2025 et en diminuant de 50% d'ici à 2030 le nombre de bouteilles en plastique à usage unique. La directive européenne « plastique à usage unique » impose, elle, un taux de collecte desdites bouteilles en plastique de 77% à horizon 2025 et de 90% à horizon 2029.

Nul besoin de consigne spécifique, ce double objectif est largement atteignable selon les élus locaux qui avancent un taux de 67% aujourd'hui dans le public. Depuis le 1er janvier 2023, tous les déchets recyclables sont en outre collectés par les collectivités territoriales.

« Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » s'est ainsi interrogé Jean-François Vigier, maire (UDI) de Bures-sur-Yvette (Essonne) et porte-parole des maires (AMF).

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« On donne une voie royale à plus de sucres »
[dans les bouteilles de boissons gazeuses, Ndlr], a estimé, dans la foulée, Jean Révéreault, vice-président des Intercommunalités de France chargé de la transition écologique et vice-président du Grand Angoulême (Charente).

Des conséquences graves » sur le plan financier

Les conséquences ne seront pas simplement sanitaires, mais aussi « graves » sur le plan financier, a renchéri Gilles Vincent, président de l'Amorce, association d'élus locaux spécialistes de l'environnement et notamment de l'économie circulaire, et maire de Saint-Mandrier-sur-Mer (Var). « Une aberration aussi inefficace que coûteuse », a appuyé la députée (LR) Josiane Corneloup, présidente de l'Agence nationale des Pôles d'équilibre territoriaux et ruraux et des Pays (ANPP).

« Un cache-sexe vert de producteur de déchets qui ont envie de gagner 720 millions d'euros », a martelé Jean-François Débat, président délégué de Villes de France, qui incarne les villes moyennes, et maire de Bourg-en-Bresse (Ain).

Pour arriver à cette somme, les édiles estiment que les industriels de la boisson vont certes facturer 20 centimes d'euros supplémentaires la consigne pour payer leurs automates et rétribuer les consommateurs, mais en raison d'un taux de non-retour des bouteilles estimé à 20%, ils vont gagner 400 millions d'euros. A cela, s'ajoutent 150 millions issus des recettes de vente de matériaux plastiques et 170 millions d'euros d'économies réalisées sur l'écocontribution dont ils s'acquittent aujourd'hui.

Un appel d'air supplémentaire pour les centres commerciaux ?

D'autant qu'à défaut d'être implantés dans les petits commerces de rue faute de place, ces machines seront installées sur les parkings des centres commerciaux et des supermarchés, a alerté Daniel Cornalba, porte-voix des Petites villes de France (APVF).

« Ce sera un appel d'air supplémentaire pour détourner les consommateurs des centres-villes. Sauf que quand le petit commerce va mal, ce sont nos propres villes qui se dévitalisent et qui vont mal », a insisté le maire de l'Etang-la-Ville (Yvelines), qui a rappelé les milliards d'argent public investis dans les programmes « Action Cœur de ville » et « Petites villes de demain ».

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Les collectivités territoriales redoutent également de perdre 320 millions d'euros de recettes : 150 millions de pertes sur la vente de matière et 170 millions d'euros de pertes de soutien Citeo, l'éco-organisme spécialisé dans le recyclage des emballages ménagers.

Pour compenser, « l'augmentation de la taxe d'enlèvement sur les ordures ménagères serait a minima de 12 euros par foyer, ce qui est loin d'être neutre », a déclaré Benoît Jourdain, des Départements de France (ADF), vice-président des Vosges.

14 propositions sur la table

C'est pourquoi les élus locaux ont formulé 14 propositions, à commencer par la mise en place d'actions « concrètes » pour respecter l'objectif de diviser par deux le nombre de bouteilles plastiques d'ici à 2030.

« Promouvons l'eau du robinet et installons des fontaines dans les espaces publics ! » a illustré Jean-Patrick Masson, de France urbaine, vice-président de Dijon Métropole.

Le même appelle à développer un geste de tri « partout, pour tous et tout le temps », considérant que « le parent pauvre, c'est le hors-foyer ». De même qu'il plaide pour la mobilisation « massive » des Français autour du geste de tri simplifié, à coups de campagnes de communication nationales et locales.

« Les pubs Citeo, c'est n'importe quoi ! » a lâché Jean-Patrick Masson, demandant d'être « associé » à leur « élaboration ».

Autre piste sur la table : le développement de modalités de collectes incitant à « davantage » de performances. Cela pourrait passer par une augmentation de la fréquence des collectes, de la taille des bacs jaunes, de la « densification » des points d'apport volontaires...

Vers une tarification incitative ?

Ou encore la possibilité de rendre les objectifs « plus ambitieux » et « plus contraignants » pour les éco-organismes, mais aussi l'amélioration du cadre juridique et administratif de la tarification incitative qui existe déjà dans certaines intercommunalités.

« Il faut l'encadrer en définissant les contours de sa mise en oeuvre, mais nous sommes ouverts sur cette question », a souligné Jean-François Vigier pour l'AMF.

« Nous sommes prêts à prendre notre part et à y aller fort », a enchaîné Odile Bégorre-Maire, vice-présidente du Bassin de Pompey (Meurthe-et-Moselle).

Ces derniers souhaitent également expérimenter des dispositifs de gratification et, en parallèle, mettre en place une procédure « simplifiée et automatique » pour appliquer des sanctions administratives. Par exemple, ne plus récupérer le bac gris quand il se trouve des emballages recyclables à l'intérieur.

« Nous devons faire de la pédagogie mais il faut aussi sanctionner », a rappelé Jean-François Vigier.

Une contribution pour tous ceux qui ne bénéficient pas d'une collecte sélective ?

Avec ses confrères et consœurs, cet élu local entend sinon porter une ambition « forte » à l'échelle européenne, renforcer la régulation sur la mise sur le marché des emballages en plastique, développer un plan national de lutte contre la pollution plastique sur le modèle du Plan national climat et faire de la lutte contre les déchets abandonnés et les dépôts sauvages « une grande cause nationale ».

Et ce sans oublier la généralisation d'une éco-contribution sur tous les produits mis sur le marché ne bénéficiant d'aucune collecte sélective, « modulée en fonction du déchet qui reste à la fin ». Enfin, réformer la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) dans le domaine du traitement des déchets pour la rendre « plus juste » et « plus incitative ».

En concertation jusqu'en juin avec la secrétaire d'Etat à l'Ecologie, Bérangère Couillard, via des réunions parisiennes et régionales, depuis février, les édiles ont encore deux mois pour pousser leurs contre-propositions au gouvernement. Sollicité par La Tribune, son cabinet fait savoir qu'elle réagira à la polémique jeudi 20 avril sur Sud Radio.

Citeo promet des éléments objectifs dans les semaines à venir

Contacté par La Tribune, l'éco-organisme spécialisé dans les emballages ménagers a adressé cette réponse par écrit:

« Le dispositif actuel, porté aussi bien par les entreprises que les collectivités locales, a clairement démontré son efficience (13 milliards investis par les metteurs en marché depuis 30 ans dans ce dispositif, 72% de taux de recyclage des emballages ménagers en 2021 pour 2,2 millions de tonnes de CO2 évités). Pour autant, des objectifs très ambitieux ont été fixés à la filière et nous faisons tous le constat que le dispositif de collecte actuel à lui seul ne suffira pas à les atteindre. Le seul moyen d'atteindre ces objectifs au service de la réduction de l'impact environnemental pour tous les matériaux est de mobiliser toutes les parties prenantes et tous les leviers à disposition, y compris ceux qui fonctionnent ailleurs en Europe.Citeo reste engagé dans la concertation et la production d'éléments objectifs que nous partagerons dans les semaines à venir. »

César Armand

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