Royaume Uni : Mike Ashley, self-made man dans la tourmente

Pdg de Sports Direct, chaîne de distribution d'articles de sport à prix cassés, le milliardaire Mike Ashley a été interrogé pendant près de trois heures par une commission parlementaire, à Westminster, mardi. En cause, des manquements à la loi sur le salaire minimum et une culture de la peur dans son entrepôt de Shirebrook, dans le centre de l'Angleterre, où plus de 5.000 personnes sont employées.
Sasha Mitchell
Interrogé mardi 7 juin par une commission parlementaire trans-partisane, le Pdg de Sports Direct Mike Ashley s'est déclaré choqué de découvrir certains agissements "déraisonnables" au sein de l'entreprise qu'il a lui-même fondé en 1982 et qu'il contrôle toujours.

L'année 2016 a commencé comme 2015 s'était terminé, pour Mike Ashley. Mal. Très mal. Quelques semaines après la relégation en Championship (deuxième division anglaise) de Newcastle United, club de football emblématique du nord-est du pays dont il est propriétaire, le milliardaire a été malmené pendant près de trois heures par une commission parlementaire trans-partisane, mardi. Raison de ce grilling ("passage sur le gril") : les conditions de travail dans le principal entrepôt de Sports Direct, sa société de vente d'équipements sportifs à prix cassés.

Le début de l'affaire remonte à décembre dernier. Sur son site internet, le Guardian publie une enquête qui fait l'effet d'une bombe, outre-Manche. Un exemple type de journalisme sous couverture. Embauchés comme employés dans cet immense hangar - long comme 13 bassins olympiques - d'où sont expédiés les produits commandés sur sportsdirect.com, deux reporters ont filmé pendant plusieurs jours en caméra caché le quotidien des quelque 5.000 salariés du site. Les révélations sont édifiantes.

Retenue de salaire pour une minute de retard

A leur arrivée sur leur lieu de travail, à Shirebrook (Derbyshire), dans le centre de l'Angleterre, les employés sont minutieusement fouillés, leurs vêtements inspectés. Et pour cause, interdiction formelle de porter pas moins de 802 marques : l'intégralité de celles présentes sur les étagères à l'intérieur de l'entrepôt. L'opération est renouvelée en fin de journée, à la sortie du bâtiment, afin de vérifier qu'aucun salarié n'a eu la mauvaise idée de subtiliser une paire de chaussettes Umbro ou de gants Nike.

Vidéo de fouille prise en caméra cachée par les reporters du Guardian (crédit : theguardian.com)

A l'intérieur, la discipline est quasi-militaire. Une minute de retard ? La sanction est immédiate : 15 minutes de salaire sont déduites de la fiche de paie. La fouille de fin de journée, effectuée en dehors du temps de travail, n'est quant à elle pas comptabilisée dans le salaire. Embauchés pour une grande partie (80%) en contrat "zéro heure" payé au smic britannique (6,70 livres, soit 8,6 euros), les employés se retrouvent donc parfois rémunérés en-deçà du minimum légal. Et démunis lorsqu'il s'agit d'organiser leur défense.

Jusqu'à 30 km à pied chaque jour

La moindre erreur, la moindre baisse de régime est guettée par les managers. Et qu'importe si les magasiniers parcourent jusqu'à 30km à pied entre les rayons, chaque jour, pour préparer les commandes, causant de nombreux problèmes physiques, voire des fausses couches et même un accouchement dans les toilettes, comme on l'a appris lors de l'audition de Mike Ashley, mardi. Au bout de six avertissements - y compris pour arrêt maladie - c'est la porte.

Vidéo prise en caméra cachée à l'intérieur de l'entrepôt (crédit: theguardian.com)

Devant les députés, le Pdg de l'entreprise, qui emploie 27.000 personnes dans 21 pays européens, a reconnu que les retenues de salaires pour cause de retard étaient "inacceptables"tout comme le temps pris par les fouilles. Avant de préciser que des discussions étaient actuellement en cours avec le fisc afin de verser rétroactivement un complément de salaire aux travailleurs affectés.

"Je ne suis pas le Père Noël"

Arguant du fait que l'entreprise avait probablement grandi trop vite, le self-made man, dont la fortune dépasse 3,5 milliards de dollars après avoir débuté avec un capital de 10.000 livres, a assuré qu'il lui était impossible de savoir "tout ce qu'il s'y passait". "Je n'ai jamais dit que j'étais le Père noël et que je souhaitais rendre le monde meilleur", s'est-il défendu.

Lui aussi interrogé par les parlementaires, le délégué régional du syndicat Unite a pour sa part déploré une "culture de la peur" à Shirebrook. Avec, à l'appui, un chiffre : plus de la moitié du personnel est fourni par les agences d'intérim. "Les gens ont peur parce que le système dans lequel ils travaillent fait qu'ils peuvent perdre leur travail à tout moment", a-t-il regretté.

La valeur de l'action Sports Direct en hausse de plus de 5%

Se déclarant choqué de découvrir certains agissements "déraisonnables" au sein de l'entreprise qu'il a lui-même fondé en 1982 et qu'il contrôle toujours, Mike Ashley s'est engagé à augmenter les salaires et à régler la question des "six avertissements puis la porte" sous 3 à 6 mois.

Loin d'effrayer les investisseurs, l'audition d'Ashley devant la commission - qu'il avait dans un premier temps refusée, traitant les députés de "blague" - a même eu un effet bénéfique sur la valeur de l'action Sports Direct, en hausse de plus de 5% mardi après-midi...

Sasha Mitchell

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Commentaires 3
à écrit le 10/06/2016 à 20:28
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tout ça est tout à fait normal notre système actuel dans toute sa splendeur!!! vous imaginez pourquoi l'europe veut des lois El Komri dans tous les pays? pour pouvoir mettre tous les travailleurs (qui ne sont que des gueux!!!)dans les mêmes condi...

à écrit le 09/06/2016 à 2:09
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Plus que cette affaire, ce qui me parait exemplaire, c'est le travail des journalistes. On en est plus là du tout dans notre FRANCE, classé au 45 ième rang mondial par RSF. Et encore, je ne vois pas trop ce qui peut justifier un classement aussi ...

à écrit le 08/06/2016 à 21:35
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C'est dans ces comportements que l'on se rend compte que (pour l'instant) les libéraux ,néo et ultras ont gagné. Il faut même s'étonner qu'il n'y ait pas de révolte, voire d'action violente individuelle ou collective à l'encontre de ces "dirigeants"...

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