"La démobilité doit mettre fin à l'aberration des excès de mobilité", Bruno Marzloff

La crise sanitaire et les confinements ont privé les Français de leur mobilité. De cette contrainte est née une question de notre rapport à la mobilité, jugée excessive, voire boulimique. Bruno Marzloff, sociologue et président de la Fabrique des Mobilités, juge qu'il est temps de s'interroger sur les sources des déplacements, plutôt que de se concentrer sur les réponses aux besoins de mobilité qui ne cessent de croître.
Nabil Bourassi
(Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE. Le concept de démobilité est apparu avec le confinement comme une contrainte très forte mais justifiée, à l'époque, par l'urgence sanitaire. De plus en plus, elle est défendue comme une réponse aux problèmes de congestion et de décarbonation de la mobilité. Comment peut-on cerner ce concept ?

BRUNO MARZLOFF. C'est un exercice difficile. A la Fabrique des Mobilités, Nous engageons un travail sur la meilleure façon de desserrer l'étau de la mobilité dans son approche quantitative, en définissant un nouveau corpus d'indicateurs pour justement modéliser le concept de démobilité. Il s'agit de sortir d'une logique où on additionne les flottes, la consommation de carburant et l'offre de transport qui servait jusqu'ici à analyser la mobilité, et pour s'ouvrir à ce qui se passe autour et en amont de ce qui construit la mobilité et de ce qui en définit les volumes. Pourquoi ? Notre société vit sur une inflation structurelle des mobilités carbonées depuis des décennies. Sauf que dans toutes les enquêtes d'opinion, nous observons que les Français souffrent de mobilité subie et qu'ils souhaitent moins de déplacements. Le concept de démobilité permet donc de répondre à ce dysfonctionnement entre offre et demande de mobilité, pas seulement en traitant l'offre, mais également la demande. Ce qui est invraisemblable, c'est de voir tout ce qui est mis en œuvre en matière de politique de mobilité ne sert qu'à absorber ce qui reste un excès de mobilité.

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Quelle est la source de ces excès ?

Elles sont multiples, mais il y a éminemment à voir avec notre modèle économique productiviste. On est à l'ère du numérique, et nous continuons à calquer notre conception du travail sur le modèle hérité du fordisme : des horaires fixes, un contrôle managérial sur site... La crise sanitaire a d'ailleurs mis en exergue cette question du travail à travers le confinement. L'explosion du télétravail a en partie répondu à cette problématique. Au-delà de cette question, la démobilité interroge plus largement nos modes de vie, c'est une démarche collective.

Le confinement a interrogé notre rapport à la mobilité, et partout où le télétravail a pu être installé, a permis un mouvement migratoire spectaculaire...

Il y a eu une accélération de ce mouvement migratoire. C'est un phénomène intéressant parce qu'il pose la question de l'accessibilité aux ressources : épiceries, boulangeries, infrastructures publiques... Autrement dit, tout ce qui touche aux proximités. Or, pendant des décennies, nos politiques ont vidé nos espaces ruraux de ces points de proximité.

Récemment, le gouvernement a d'ailleurs indiqué qu'il fallait en finir avec la culture de la maison individuelle. Est ce que la clé n'est pas finalement dans cette culture urbanistique ?

Le gouvernement a raison mais cela nous renvoie aux propres contradictions des responsables politiques. Pendant des décennies, les gouvernements ont vendu la maison individuelle et l'étalement urbain aux français, avec comme solution à leurs problématiques de mobilité, la voiture individuelle. C'était une aberration totale, sans parler de l'artificialisation des terres, car nous avons nourri l'accroissement des besoins de mobilités.

Pire, nous avons créé des besoins de mobilités presque exclusivement résolvables par des solutions carbonées. Aujourd'hui, 80% des kilomètres parcourus par les Français au quotidien sont effectués en voiture. En 30 ans, la part des transports dans les émissions des gaz à effet de serre a doublé pour atteindre 30% du total.

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Le mouvement migratoire auquel nous assistons aujourd'hui risque de se traduire par encore plus de voitures, puisque les zones rurales n'ont pas été préparées à l'accueil de nouvelles populations à travers des programmes de promotion immobilière.

C'est un enjeu majeur, mais on parle du temps long... Pour les collectivités locales, l'équation est extrêmement complexe. Il faut repenser l'aménagement du territoire sur de nouveaux équilibres urbanistiques, et penser autrement l'accès aux ressources, autrement que par la voiture individuelle. La question ne se pose pas que pour les zones rurales. A Paris et dans son agglomération, il y a des espaces uniquement dédiés au travail... Ainsi, les travailleurs sont éloignés de leurs lieux de travail, et les besoins de mobilité sont plus importants.

Il y a des nombreuses mesures qui sont prises mais qui sont perçues davantage comme de la coercition : les polémiques sur l'accès à Paris de la voiture, ou encore le mouvement des Gilets Jaunes. Dans ce contexte, n'est ce pas risqué de parler de démobilité lorsque la question de  l'accès à la mobilité suscite autant de tensions sociales ?

Il est vrai que c'est un néologisme frontal qui peut heurter. Il faut voir les choses autrement. 54% des gens sont favorables à une politique de rationnement des transports. En réalité, la démobilité est plébiscitée par l'opinion publique...

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Finalement n'est ce pas la mobilité choisie qui est plébiscitée ?

Les gens prennent moins l'avion, préfèrent le train... Il se passe quelque chose qui a trait à une nouvelle approche autour de la sobriété. C'est de la responsabilité des pouvoirs publics de prendre conscience de l'excès de ces besoins de mobilité et accompagner ces nouvelles pratiques.

Il y a une inertie de l'histoire à trouver des solutions uniquement dans des solutions technologiques. Cela ne traite que les symptômes, et pas le système. La démobilité, c'est cela : traiter la problématique de la mobilité par ses déterminants et pas en augmentant l'offre de transport.

Nabil Bourassi

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Commentaires 13
à écrit le 22/11/2021 à 9:12
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je vous ressert un petit verre de bave ecolo pour vous culpabiliser? tout le monde a compris qu'il ne s'agit pas d'ecologie!! il s'agit d'emepecher les gens qui peuvent partir des centres villes, car ils ne veulent plus vivre ensemble avec l'eletorat...

à écrit le 21/11/2021 à 9:18
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Encore un qui s'inquiète de gérer les conséquences plutôt que d'en éliminer les causes!

à écrit le 20/11/2021 à 9:47
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Bref! Ce n'est une chasse aux mobilités, qu'il est en droit d'attendre, mais une chasse aux déplacements inutiles!

à écrit le 20/11/2021 à 8:38
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A quand un nouveau corps de ponctionnaires vert/rouge pour autoriser ou non chacun de nos déplacements, avec un formulaire dûment tamponné ?

à écrit le 20/11/2021 à 8:06
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" Bruno Marzloff, sociologue et président de la Fabrique des Mobilités" Encore un peace and love de 73 ans toujours pas en retraite.

à écrit le 19/11/2021 à 23:09
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Pas de bol, j'ai mal à la tête rien qu'en lisant le titre de l'article...

à écrit le 19/11/2021 à 20:52
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J'ai toujours pensé que le fait que les entreprises et l'état remboursent partiellement les frais de déplacements domicile-travail, était une incitation à éloigner encore plus entreprise et salariés. Cette politique court-termiste a pourtant été mené...

le 20/11/2021 à 7:21
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peut on publier le train de vie de ces donneur de morale genre ex 1er ministre qui installer la rigeur pour tous sauf pour lui et sa famille.

à écrit le 19/11/2021 à 20:16
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La société au allures de Fahrenheit 451 arrive.

à écrit le 19/11/2021 à 17:48
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"en définissant un nouveau corpus d'indicateurs pour justement modéliser le concept de démobilité". Un québecois dirait que ce monsieur est payé à "pelleter des nuages".

à écrit le 19/11/2021 à 17:09
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Et comment font les gens qui sont obligés de bosser à 50 bornes de chez eux ? Sans revenu universel votre truc c'est tout simplement débile.

à écrit le 19/11/2021 à 16:29
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Et voila on y est, menace directe sur notre liberté fondamentale acquise chèrement à la Révolution Française : la liberté de circuler Avec les khmers verts, sous couvert de bonne conscience écologique on s'attaque à nos libertés fondamentales ! Bie...

à écrit le 19/11/2021 à 16:05
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pas evident comme politique. si vous voulez que les gens se deplacent moins, il faut soit du tele travail soit qu ils aient les moyens de se loger pres de leur job. ce qui va a l encontre de tout ce qui est fait depuis 20 ans avec la politique du log...

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