Comment la mobilité électrique va interroger notre modèle de démocratie

OPINION. Le développement de la mobilité électrique ne se fera pas sans le développement des énergies renouvelables et notamment le photovoltaïque. La révolution de notre système de production énergétique vers des énergies vertes et locales nous permettra de réduire nos émissions de CO2. Cette décentralisation s'accompagnera d'une plus grande liberté. Celle d'être maître de notre énergie et de notre mobilité, avec la liberté de pouvoir se projeter sur des décennies. Par Emmanuel Flahaut, CEO de Retrofleet et CEO de MONA Automotive.
Le développement large de la mobilité électrique sera  le déclencheur d'un raz-de-marée en faveur de l'énergie photovoltaïque. En effet, cette  énergie est la plus rentable aujourd'hui, avec un facteur deux par rapport au coût de l'électricité du réseau, et une projection d'un facteur 5 en 2050.
Le développement large de la mobilité électrique sera le déclencheur d'un raz-de-marée en faveur de l'énergie photovoltaïque. En effet, cette énergie est la plus rentable aujourd'hui, avec un facteur deux par rapport au coût de l'électricité du réseau, et une projection d'un facteur 5 en 2050. (Crédits : Reuters)

Le développement de la mobilité électrique ne se fera pas sans le développement des énergies renouvelables et notamment le photovoltaïque. La révolution de notre système de production énergétique vers des énergies vertes et locales nous permettra de réduire nos émissions de CO2 et de réduire notre dépendance face à des pays tiers sur les matières premières stratégiques comme le pétrole ou le gaz.

La mobilité électrique connaît un développement rapide et global. Que ce soit sous l'effet de contraintes ou de fortes convictions, cette tendance n'est plus l'affaire de quelques-uns, mais bien une approche mondiale. Par exemple, plus aucun appel d'offre de renouvellement de flottes n'est émis en Inde sur des versions thermiques, et cette tendance aura un impact majeur dans la baisse des couts à venir sur les composants des véhicules électriques. Tout retour en arrière est devenu inenvisageable et argumenter de la pertinence des moteurs thermiques versus l'électrique est un combat dépassé.

L'absence de recyclabilité de batteries, une fake news par excellence

Et pour cause. La mobilité électrique peut être un moyen très efficace pour lutter contre la hausse des émissions de gaz à effet de serre dans le domaine du transport. Un point non négligeable lorsqu'on sait que le secteur routier est l'une des principales causes des émissions de CO2 dans le monde (environ 25%) (1) et la première en France (près de 40%, l'électricité étant déjà partiellement décarbonée) (1).

Les batteries lithium ou les systèmes hydrogène utilisés dans les voitures électriques sont souvent pointées du doigt pour leur empreinte écologique. Beaucoup d'informations erronées circulent à ce sujet, comme par exemple l'absence de recyclabilité de batteries, une fake news par excellence, des sociétés spécialisées étant en fort développement y compris en France (2). Mais il est vrai que la mobilité électrique sera d'autant plus pertinente si ses composants sont produits dans une dynamique durable. Des projets sont engagés en ce sens en Europe et en France comme la Gigafactory Verkor qui produira des cellules lithium à faible empreinte carbone.

Toutefois, l'élément essentiel concerne l'origine de l'électricité utilisée pour la recharge.  Le choix de la mobilité électrique n'est vraiment efficace, en termes de lutte contre le changement climatique, que si l'électricité utilisée est elle-même d'origine décarbonée.

Mobilité électrique et révolution énergétique : deux mondes qui convergent

Et c'est ici que la mutation rapide du secteur de la mobilité rejoint la révolution en cours du monde de l'énergie. Le développement large de la mobilité électrique sera  le déclencheur d'un raz-de-marée en faveur de l'énergie photovoltaïque. En effet, cette  énergie est la plus rentable aujourd'hui, avec un facteur deux par rapport au coût de l'électricité du réseau, et une projection d'un facteur 5 en 2050. La prépondérance du modèle nucléaire par rapport à l'énergie n'est déjà plus un sujet. Les discours enflammés, souvent plus dogmatiques que rationnels, sont généralement basés sur une approche simpliste. Ils ne se projettent pas dans un modèle complexe du mix énergétique à venir, très décentralisé et plus digitalisé dans les usages. A quoi bon argumenter pour défendre la suprématie de l'atome, voire œuvrer pour relancer le développement de nouvelles technologies nucléaires. La pertinence économique et technologique de l'énergie solaire a déjà tué le match, même si certains joueurs sont encore sur le terrain. Les enjeux actuels de hausse du prix de l'énergie en sont un très bon exemple. Les productions centralisées à faible empreinte carbone restent toutefois une solution intéressante et nécessaire pour assurer un talon de production, au moins dans un premier temps.

Je produis, je gère et je consomme ma propre énergie

Une des raisons de l'incompréhension ambiante vient de l'opposition entre deux modèles, deux visions du monde. Un modèle pyramidal, avec une production centralisée, (EDF), un réseau de transport (RTE) et de distribution énergétique (ENEDIS) en haut, et tout en bas, très loin, les consommateurs. Autre modèle, celui d'une architecture très décentralisée, un internet de l'énergie, dans lequel les consommateurs-citoyens, les entreprises, les territoires sont au centre du jeu. Ils produisent leur énergie, la consomment en gérant de façon plus sobre leurs besoins, font évoluer leurs usages. Ils peuvent même revendre leur surplus de production dans un cycle court. Et le tout sans subvention car ce modèle est déjà à l'œuvre de façon compétitive pour les utilisateurs finaux. Le meilleur exemple est d'ailleurs l'autoconsommation résidentielle ou industrielle. Je produis, je gère et je consomme ma propre énergie, le réseau n'étant plus qu'un système d'appoint. Une capacité d'autoconsommation de 60% à 90% est tout à fait réaliste et documentée aujourd'hui (3). Il est par exemple possible de produire sa propre électricité photovoltaïque pour un coût inférieur à 9 €c/kWh, coût qui peut être parfaitement argumenté et qui sera stable dans le temps.

Au même moment, l'énergie du réseau est à un cout de l'ordre de 18c€/kWh, avec des projections d'augmentation dans les années à venir. La très récente feuille de route de RTE (4), opérateur du réseau centralisé, n'intègre pas du tout cette vision du cout réel de la décentralisation. Ils utilisent en effet des données non actualisées pour les petits systèmes photovoltaïques (surestimés d'un facteur 2,5), et sous-estiment nettement le cout réel du nucléaire pourtant calculé par la cour des comptes (facteur 1,6).

Cette énergie photovoltaïque, la plus pertinente lorsque positionnée au plus proche du besoin, a tout intérêt à être décentralisée à l'extrême. C'est la seule qui permette une véritable implication du citoyen. La mobilité électrique sera ici considérée comme une multitude de batteries sur roue (qui peuvent se charger et se décharger sur le réseau), et constituera un élément central pour la gestion de l'intermittence des ENR au niveau local.

Une grande résilience énergétique

En se projetant dans l'avenir, il sera naturel de recharger son véhicule sur des parkings solaires d'entreprise ou de commerce (de producteurs...), ou avec sa propre installation à domicile. Cette approche positionne le consommateur, l'entreprise, le territoire au centre du jeu, leur procurant une grande résilience énergétique.

Ces évolutions remettront en cause les principes de Liberté, Égalité et Fraternité. Cette décentralisation s'accompagnera d'une plus grande liberté. Celle d'être maître de notre énergie et de notre mobilité, avec la liberté de pouvoir se projeter sur des décennies. Plus d'impact lié au prix du pétrole, ou de tout autre produit fossile, dont les hausses sont décidées à l'autre bout du monde. La future augmentation du prix du gaz de près de 13 % au premier octobre, qui va impacter de façon majeure le prix de notre électricité de réseau sur le premier trimestre 2022, est un parfait exemple d'absence de résilience du système centralisé actuel.

En revanche, l'Egalité, la forme de solidarité énergétique dont nous bénéficions actuellement avec la tarification de l'électricité sera mise à mal. Aujourd'hui, chaque Français, chaque territoire, même ultramarin, paye le même prix pour son électricité de réseau. Un prix qui, hélas, est appelé à grimper continuellement dans les décennies futures comme nous le subissons depuis des années (+35% en 10 ans) (5) . Une certaine insularité énergétique est en train de se dessiner, avec des territoires qui pourront être inégaux en termes de ressources, ou des populations favorisées seront plus rapidement quasi-indépendantes énergétiquement à des prix compétitifs.

Plus de justice et de lien entre les citoyens

Mais cela peut être l'occasion d'aller vers plus de justice et de lien entre les citoyens, les territoires, sans passer par l'État ou des grandes entreprises de l'énergie. Ce sera un choix de Fraternité, de solidarité énergétique qui nous appartiendra collectivement. Nous n'aurons plus l'alibi d'un pouvoir centralisé qui n'agit pas.

En conclusion, cette formidable évolution de notre mobilité et de notre énergie est une opportunité historique. Cela suppose une mutation rapide qui, il ne faut pas le nier, pourra être potentiellement douloureuse, pour des  secteurs industriels entiers. Mais ce sera aussi une moindre dépendance de notre nation sur les matières premières stratégiques, qu'il s'agisse de pétrole, de gaz ou d'uranium... Ce sont les rapports entre États qui vont être redéfinis comme entre individus et territoires. Le contexte actuel et l'histoire récente mettent en lumière combien cet enjeu des ressources énergétiques est majeur pour nos démocraties et nos stratégies d'ouverture sur le monde.

______

Sources

1 : Rapport AIE (Agence Internationale de l'Énergie 2020)

2 : https://www.snam.com

3 : tous les sites de vente en ligne de systèmes solaires, comme par exemple www.oscaro-power.com

4 : Rapport « futurs énergétiques » RTE

5 : https://www.totalenergies.fr/particuliers/electricite/prix-de-l-electricite/evolution-prix-electricite

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Commentaires 4
à écrit le 17/11/2021 à 10:58
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article interessant (la personne est apparement directeur au CNRS). Par contre ca meriterait d etre un peu plus detaillé sur le cout du solaire en auto consommation, j ai toujours pense que c etait moins rentable que se fournir a EDF. Sinon il faut ...

à écrit le 17/11/2021 à 8:04
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modèle de quoi !?

à écrit le 17/11/2021 à 1:58
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Faux. Installe depuis plus de 8 ans neuf panneaux pour une prod de 9kw + une batterie lithium ion au garage. Plus de factures. Materiel amorti en totalite depuis un an.

à écrit le 16/11/2021 à 19:37
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L'autoconsommation coûte cher en matériel, en stockage. Tous les calculs sont à prendre avec des pincettes. Je ne considère pas cette formule intéressante en fonction des investissements actuels nécessaires.

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