Tourisme : "Cet été sera peut-être le plus grand été de voyage que nous ayons jamais vu" (Peter Kern, DG d'Expedia)

Directeur général le mieux payé des Etats-Unis en 2021 selon le Wall Street Journal, le directeur général d'Expedia, Peter Kern, était de passage à Paris pour discuter avec ses partenaires européens et assister à la finale de la Ligue des champions. Dans un entretien accordé à La Tribune, il présente sa vision du marché du voyage pour cet été, le redémarrage des déplacements corporate ou encore les risques générés par le contexte économique tendu. Après deux années très difficiles pour le secteur, il se montre optimiste même s'il s'attend à des rééquilibrages sur le marché. Le retour à l'équilibre de son groupe en 2021, après avoir accusé près de 3 milliards de dollars de pertes en 2020, n'y est sans doute pas pour rien.
Léo Barnier
Peter Kern, le vice-président et directeur général d'Expedia, annonce un été exceptionnel.
Peter Kern, le vice-président et directeur général d'Expedia, annonce un été exceptionnel. (Crédits : Expedia)

LA TRIBUNE - Après deux années difficiles, comment voyez-vous l'évolution du marché du voyage cet été ?

PETER KERN - Tout d'abord, il y a beaucoup de demande accumulée. Nous l'avons vu dans le monde entier, les gens attendaient de voyager. Depuis plusieurs trimestres, nous nous attendons à ce que cet été soit peut-être le plus grand été de voyage que nous ayons jamais vu.

Ce n'est pas le cas partout, avec des marchés encore en retrait à cause du Covid comme en Asie ou en Amérique latine, mais dans une grande partie du monde occidental et en Amérique du Nord, nous nous attendons à ce que ce soit un été très, très fort. Les gens ont réservé tôt et les prix continuent à être assez élevés.

Le marché est-il prêt pour ce retour massif de la demande ?

Il y a toujours moins d'avions dans les airs qu'avant la crise, notamment sur les long-courriers internationaux, avec un manque de pilotes et de membres d'équipage, mais nous nous attendons à ce que la capacité revienne d'ici à la fin de l'été. Les grandes compagnies américaines mettent plus d'avions en vol cet été, en particulier en août, donc ça va s'améliorer.

De même, les grands hôtels ne peuvent pas ouvrir à pleine capacité à cause d'un manque de personnel. Plutôt que de chercher à se remplir entièrement, ils augmentent leurs prix et visent un remplissage de 70 % afin de pouvoir assurer le service avec le personnel disponible.

Il y a donc un certain nombre de raisons structurelles qui continuent à maintenir les prix élevés. Nous nous attendons à ce qu'ils soient même très élevés, même si les marchés financiers et d'autres éléments semblent un peu tendus en ce moment.

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La hausse des prix des billets et des hôtels peut-elle encore augmenter sans restreindre le développement de la demande ?

Je pense que les tarifs ont beaucoup augmenté et qu'il n'y a pas un espace infini pour que cela continue, surtout dans le contexte économique actuel. A moins que l'économie ne se stabilise à nouveau et que tout le monde se sente en confiance. Les prix vont probablement se stabiliser un peu plutôt que d'aller plus haut, à part peut-être sur quelques petits segments comme le luxe très haut de gamme. Pour l'instant, je ne m'attends pas non plus à ce que cela baisse, il n'y a aucune preuve que cela va baisser.

Nous devrions plutôt voir un rééquilibrage entre ce qui est haut et ce qui est bas. Pendant longtemps, la demande pour les villes était faible, tandis que celle pour la plage et les lieux de vacances a énormément augmenté. Maintenant, nous voyons les villes remonter.

Au-delà de l'été justement, n'y a-t-il pas un risque de contraction à cause de la stagnation économique et de l'inflation ?

Nous n'avons pas encore vu l'impact sur la demande de voyage. Je pense qu'il est définitivement trop tôt pour le dire. Ce que nous avons observé pendant le Covid, au niveau macroéconomique, c'est que les consommateurs ont acheté plus de choses pour leur maison : des vêtements, des chaussures... Et ils ont moins dépensé en voyages. Ce que nous avons tous prévu, c'est que cela s'inverserait au moment où les possibilités de voyager s'ouvriraient, que les gens achèteraient moins de choses pour leur foyer, et plus de voyages pour rattraper le temps perdu. Nous pensons que cela va continuer pendant l'été.

A plus long terme, je pense que c'est une question mitigée. Il est possible que nous voyions les consommateurs commencer à être un peu plus sensibles aux prix. Après avoir fait quelques voyages cet été, ils se disent que l'essence est chère, que les produits sont chers... Mais nous allons aussi voir que d'autres segments augmentent. Il y a des domaines qui ont été très bas, comme les voyages d'affaires, qui commencent vraiment à rebondir.

Il y aura donc un mix et nous pensons qu'il y aura encore une forte demande, avec peut-être des ajustements dans les attentes des voyageurs. Ils descendront peut-être d'un niveau en termes de confort, mais il y a toujours une forte demande de voyages. Nous nous attendons donc à ce que ces tendances se poursuivent. Mais évidemment, nous ne sommes pas des économistes. S'il y a une récession mondiale majeure, qui sait... Espérons que cela n'arrivera pas pour notre bien à tous.

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Voyez-vous des modifications dans les habitudes de voyage ?

Quand les gens ont pu voyager à nouveau, il y a eu beaucoup plus de trajets domestiques aux Etats-Unis mais aussi en Europe. Ils ont beaucoup pris la route jusqu'à une montagne, à la campagne, plutôt qu'un avion pour traverser le pays ou aller à l'étranger.

Au fur et à mesure que les destinations se sont ouvertes, que les gens sentaient qu'ils pouvaient aller dans d'autres endroits sans avoir à porter des masques partout, ils ont recommencé à voler. D'abord sur le domestique, avec une réponse industrielle à cette demande. Les compagnies aériennes se sont adaptées pour desservir les destinations où les gens pouvaient aller. Elles ont pris des avions qui auraient normalement dû voler à l'international et les ont redéployés pour des voyages domestiques. Aux États-Unis, par exemple, des compagnies aériennes ont pris des avions qui allaient de New York ou Miami à Paris, et les ont transformés en avions allant de New York à Hawaï, de Los Angeles à Hawaï ou de Dallas à Hawaï.

Depuis l'international s'est ouvert. Les tendances sont favorables, mais cela prend du temps pour que les schémas évoluent et que les compagnies aériennes puissent répondre à la demande. Nous avons tous vu le gros été arriver depuis un moment, mais les compagnies ne pouvaient pas simplement dire 'on va mettre plus d'avions'. Elles doivent se préparer, trouver des pilotes, modifier les horaires, etc.

Progressivement le mix se déplace vers plus d'international, ce qui est formidable. Je suis sûr que vous avez ressenti qu'à Paris, il y a beaucoup plus de voyageurs étrangers qu'il y a six mois ou un an.

Comment vous êtes-vous adapté à ces évolutions ?

Nous avons toujours tout vendu. Donc, nous n'avons pas fait un changement majeur. Nous avons vu le marché et la demande changer : beaucoup plus de destinations domestiques, plus courtes, plus de gens qui prennent la route, plus de location... Nous sommes fondamentalement conçus pour aider les voyageurs à trouver ce qu'ils veulent. Nous n'avons pas essayé de les orienter, juste de satisfaire leurs besoins.

 Je me souviens qu'un de nos employés m'a demandé très tôt si nous devions nous lancer dans la location de camping-cars. J'ai dit "peut-être, mais dès que le Covid sera terminé, l'activité reviendra à son niveau d'il y a deux ans". Donc il ne faut pas devenir fou et juste se concentrer sur ce que l'on sait faire. Sans rien faire de spécial, nous avons investi pour développer notre offre de location de vacances et répondre à une demande que nous ne pouvions satisfaire dans certains endroits.

Alors que les prix ont déjà augmenté, les voyageurs sont-ils prêts à payer plus pour des conditions de voyage et de séjour plus luxueuses ?

Pendant la crise, les gens étaient prêts à payer plus pour ce qu'ils voulaient. Pour aller en Floride par exemple, où les règles étaient assez souples, les gens étaient prêts à payer n'importe quoi pour y aller alors que les hôtels de Miami étaient absolument hors de prix.

Nous avons observé les grandes compagnies américaines : elles s'attendaient à avoir du mal à remplir l'avant de l'avion parce qu'il y avait beaucoup moins de voyages d'affaires, mais ces places ont fini par être remplies par les voyageurs loisirs.

Pour cet été, les gens ont réservé il y a des mois, donc ça va se poursuivre. Mais encore une fois, c'est difficile à dire si cela va continuer au-delà notamment avec la conjoncture économique.

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Vous avez évoqué une reprise des voyages d'affaires. Pouvez-vous nous donner plus de détails ?

Les loisirs sont déjà en plein essor, d'abord sur le domestique puis à l'international. Les voyages nationaux vont probablement se stabiliser tandis que la croissance se reportera sur l'international. Maintenant nous allons voir ce qui va se passer avec les entreprises.

Sauf bouleversement économique, pour ces derniers mois et dans un avenir prévisible, tout est fondamentalement plus fort. Les voyages d'affaires sont encore plus faibles qu'avant la crise mais en forte croissance, pareil pour les voyages internationaux.

J'ai maintenu tout au long du Covid que je pensais que le voyage d'affaires serait largement de retour après la crise. Il y a encore des inconnues à cause du travail hybride, mais nous croyions que les gens doivent voyager pour être ensemble plus souvent. Cela va revenir. Ce n'est encore pas le cas, mais c'est sur une bonne tendance et nous pensons que cela va continuer.

Pour nous qui sommes globaux, nous voyons tout de même des différences géographiques : l'Amérique du Nord est revenue assez fortement en premier, puis l'Europe, tandis que l'Asie est toujours en retrait et que l'Amérique latine commence à aller mieux. Ce sont tous des endroits différents avec des histoires différentes.

Vous pensez que le voyage d'affaires retrouvera son niveau de 2019 ?

Je le pense. Même si je ne sais pas exactement si ce sera plus 10% ou moins 6%, je pense que nous allons y revenir. Il y a déjà beaucoup de choses qui se passent. Las Vegas est pleine de conférences, toutes sortes de conférences.

Tout le monde est de retour dans l'environnement compétitif. Face à quelqu'un qui va sauter dans un avion et venir sur place, si vous êtes juste sur Zoom, vous n'aurez pas les mêmes chances. Cet esprit est en train de revenir. Nous sommes nous-même ici (à Paris, NDLR) pour rencontrer des partenaires hôteliers, des partenaires aériens et d'autres types de partenaires industriels, pour que nous puissions tous parler et nous comprendre.

Nous avons observé qu'il y a peut-être moins de voyages dans tous les sens, traverser l'Atlantique sur deux jours juste pour une réunion. Mais il se peut qu'il y ait beaucoup plus de voyages internes pour les entreprises en raison de cet environnement hybride, où les gens passent moins de temps ensemble et doivent voyager pour se réunir. Donc, il peut y avoir un rééquilibrage dans les types de voyage d'affaires.

Vos relations avec les compagnies ont-elles changé durant la pandémie ?

Je suis peut-être optimiste, mais je pense que notre relation est meilleure qu'elle ne l'a jamais été. Je pense que dans une certaine mesure, en tant qu'industrie, nous avons tous réalisé que nous avions besoin les uns des autres. Comme si nous devions tous nous rassembler pour traverser cette épreuve.

Nous nous sommes rapprochés et alignés autour de notre volonté de résoudre les problèmes des voyageurs et de traiter les questions de service alors que tout était sens dessus dessous. Nous sommes associés à de nombreuses compagnies aériennes pour les aider à vendre d'autres produits, comme des forfaits hôteliers, des chambres d'hôtel, etc.

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Durant cette période, les compagnies ont aussi tenté de développer leurs ventes en propre sur leur site web. N'est-ce pas un problème pour vous ?

Nous avons donc eu une convention à Las Vegas et l'un de nos principaux messages aux compagnies aériennes était qu'il y a des raisons pour que les voyageurs viennent à vous, et il y a des raisons pour qu'ils viennent à nous. Et la meilleure chose que nous pouvons faire est d'essayer de les aider à résoudre leurs problèmes et à avoir des voyages réussis.

Nous essayons essentiellement de devenir un partenaire technologique et, dans certains cas, un partenaire fournisseur du secteur aérien. La plupart des compagnies aériennes et hôtelières ne sont pas vraiment des entreprises technologiques mais d'hospitalité. Avec notre nouvelle plateforme, que nous appelons Expedia Group Open World, l'idée est de leur proposer des morceaux de notre technologie pour résoudre des problèmes qu'elles ne peuvent pas gérer seules.

Donc si vous êtes une compagnie aérienne et que vous avez des clients directs, c'est bien, mais si vous voulez mieux les servir, leur vendre des produits auxiliaires, faire d'autres choses, nous pouvons vous aider à le faire. Et nous préférons être votre partenaire dans ce domaine. Nous pensons donc que nous jouons un rôle important, mais il ne s'agit pas forcément d'une concurrence directe. Et notre partenariat peut être beaucoup plus grand qu'un simple billet d'avion.

Léo Barnier

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