Catastrophe du Rio-Paris : l'heure est à la justice pour déterminer les responsabilités d'Airbus et d'Air France

Le temps de l'enquête technique est achevé depuis longtemps. C'est désormais à la justice de trancher pour déterminer la responsabilité d'Airbus et d'Air France dans l'accident du vol AF447, qui fit 228 victimes entre Rio et Paris le 1er juin 2009. Un moment chargé d'émotions qui contrastera avec l'analyse froide des rapports d'enquête du BEA. Et derrière la culpabilité ou non des deux géants du transport aérien français, c'est aussi la responsabilité des pilotes qui sera déterminée.
Léo Barnier
La dérive de l'AF447, retrouvée une semaine après le crash, il y a maintenant 13 ans.
La dérive de l'AF447, retrouvée une semaine après le crash, il y a maintenant 13 ans. (Crédits : STRINGER Brazil)

C'est un marathon de trois mois qui s'ouvre ce 10 octobre à 13h30 : le procès du vol Rio-Paris. Sur le banc des accusés du tribunal correctionnel de Paris, deux géants de l'aviation française : Air France et Airbus, qui vont être jugés pour homicides involontaires. Le verdict, qui sera rendu le 8 décembre, doit clôturer une histoire hors normes débutée il y a plus de treize ans dans les cieux agités de l'Atlantique Sud, dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2009, qui a conduit à la disparition d'un Airbus A330 d'Air France et à la mort des 228 passagers et membres d'équipage à bord. Si les peines encourues sont limitées (425.000 euros d'amende chacun), le préjudice réputationnel pour la compagnie aérienne et le constructeur, plongés à leurs dépens sous les feux de l'actualité, peut s'avérer bien plus important. L'ouverture des audiences sera d'ailleurs marquée par la présence de Guillaume Faury, président exécutif d'Airbus, et d'Anne Rigail, directrice générale d'Air France.

Treize ans après le crash, onze ans après avoir retrouvé les boîtes noires, dix ans après le rapport final du Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA), l'heure n'est plus aux questions techniques mais à l'établissement des responsabilités judiciaires. Un temps trop longtemps repoussé selon les familles de victimes, Airbus et Air France ayant longtemps espéré un non-lieu comme celui prononcé dans un premier temps par les juges d'instruction en 2019. Mais l'insistance des parties civiles, écoutée par la Cour d'appel de Paris, les renvoie aujourd'hui devant la justice. Ils devront répondre des causes indirectes de l'accident, à savoir de « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence imposée par la loi ou le règlement, (ayant) involontairement causé la mort de l'ensemble des passagers et de l'équipage de l'appareil effectuant le vol AF447 ». Face à ces accusations, Airbus comme Air France rejettent à nouveau toute faute pénale et plaideront la relaxe.

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L'émotion sera présente

Pour Jean-Jacques Le Pen, avocat spécialisé dans le droit aérien, la tenue de ce procès va conférer une nouvelle dimension absente jusque-là dans l'établissement des responsabilités : la dimension émotionnelle, renforcée par la présence au tribunal des familles et proches des victimes. « Il y a nécessairement une dimension d'émotion, qui est importante dans un procès pénal », prévient-il ainsi, mettant en garde sur les limites possible de l'exercice en matière d'accident aérien.

Il peut en résulter un décalage entre les aspects techniques qui ont animé les investigations jusqu'ici, sur lesquels devraient aussi essentiellement s'appuyer la défense d'Airbus et d'Air France, et les attentes des parties civiles. S'ils veulent convaincre, les avocats d'Airbus, Maîtres Simon Ndiaye (cabinet Selas HMN & Partners) et Antoine Beauquier (Boken Avocats), comme d'Air France, Maîtres Claudia Chemarin (Chemarin & Limbour) et François Saint-Pierre (FSP Avocats), vont devoir en tenir compte.

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Où placer le curseur pour définir la faute ?

Ils devront aussi composer avec une notion de faute pénale « extrêmement large », telle que la décrit Jean-Jacques Le Pen lorsqu'il s'agit d'établir une « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ». « Il est difficile de savoir où mettre le curseur », déclare-t-il ainsi, faisant référence en premier lieu au pilotage mais aussi à certains aspects techniques. Cela pourrait être tout particulièrement le cas pour les sondes Pitot modèle « AA », développées par Thales, dont le givrage est à l'origine de l'enchaînement dramatique.

Ces équipements sont au cœur de l'affaire pour Danièle Lamy, présidente de l'association Entraide et Solidarité AF447 qui représente 33 familles avec 384 adhérents, affirme ainsi :

« La dangerosité des sondes Pitot était connue. Les ministres Jean-Louis Borloo (ministre de l'Écologie), Dominique Bussereau (secrétaire d'État chargé des Transports) et le directeur du BEA Paul-Louis Arslanian nous ont bien expliqué, dès le début juin 2009, que les sondes Pitot étaient à l'origine de la disparition de l'avion. D'autant qu'il y avait une recrudescence des incidents dus au givrage de ces sondes et l'accident aurait pu être évité si au moins l'une d'entre elles avait été changée. »

Danièle Lamy met ainsi en parallèle l'attitude d'Air Caraïbes qui, confronté à des évènements de givrage similaires, a pris la décision de changer les sondes de l'ensemble de sa flotte d'A330 dès 2008, et les tergiversations d'Air France à faire de même. La décision sera prise que le 27 avril 2009, trop tard pour être appliquée sur l'appareil qui fera le vol AF447. De même, la réticence d'Airbus à demander le changement obligatoire de ces sondes par l'ensemble des compagnies aériennes est pointée du doigt.

À l'inverse, la défense pourra s'appuyer sur le fait que ces sondes étaient en bon état, qu'elles répondaient aux normes de certification et même au-delà. Ou encore, que les sondes, aussi performantes qu'elles soient et en dépit des améliorations apportées sur les modèles suivants, seront toujours soumises à un risque de givrage. Et enfin, que les conditions météorologiques rencontrées le 1er juin, avec de fortes concentrations de cristaux de glace et d'eau surfondue, étaient mal connues à l'époque.

Il en sera de même pour la pertinence des procédures édictées par Air France et Airbus pour répondre aux situations d'« IAS douteuse », à savoir une vitesse indiquée (Indicated airspeed - IAS) clairement erronée, voire une perte d'indication de vitesse, consécutives au givrage des sondes Pitot censées mesurer la vitesse en vol.

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Responsabilités partagées

Dans le détail, Air France doit ainsi répondre d'un manque de formation pour les pilotes pour faire face à ces situations, ainsi que d'un manque d'information des équipages suite à la multiplication d'occurrences similaires chez Air France et d'autres compagnies, qui se sont produites de façon encore inexpliquée à partir du début des années 2000 avec un pic en 2008 et au début de l'année 2009. Et Airbus devra, quant à lui, répondre du fait « d'avoir sous-estimé la gravité des défaillances des sondes Pitot », en dépit d'une accélération du nombre d'événements liés à ces équipements, et de ne pas avoir averti et contribué à la formation des équipages en conséquence.

Un aspect sous-jacent sera aussi de déterminer la responsabilité des pilotes, tous trois décédés dans l'accident. De fait, parmi les connaisseurs du dossier, nombreux sont ceux qui placent les pilotes au cœur de cet enchaînement tragique, pointant leur mauvais travail au plan individuel et en tant qu'équipage, comme l'indique le BEA dans ses conclusions : « L'équipage, progressivement déstructuré, n'a vraisemblablement jamais compris qu'il était confronté à une "simple" perte des trois sources anémométriques [sondes Pitot, Ndlr]. » Ou, par la suite, dans quelle situation se trouvait l'avion.

Même Vincent Gilles, vice-président du SNPL France Alpa, indique « qu'il est hors de question de dire que les pilotes n'ont aucune responsabilité dans cet accident ». L'important pour lui, « c'est la prise en compte de l'ensemble des éléments qui ont contribué à ce qui s'est passé cette nuit-là. Nous avons la conviction que les pilotes n'avaient pas suffisamment d'éléments pour appréhender correctement la situation. »

Pour l'association Entraide et Solidarité AF447, Danièle Lamy est plus intransigeante :

« Les familles souhaitent absolument que le procès soit celui d'Airbus et d'Air France et certainement pas celui des pilotes. C'est une lapalissade que de dire qu'ils ont crashé l'avion. Nous considérons que les pilotes sont des victimes comme les autres membres de l'équipage, comme les passagers, car ils n'auraient jamais dû se retrouver dans une telle situation. »

Elle est rejointe par Maître Sébastien Busy, avocat de l'association, qui a déclaré à l'Agence France Presse :

« On veut les mettre face à leurs responsabilités. [...] On vous vend un avion en vous disant qu'il est formidable lorsque tout va bien. Le problème, c'est qu'il faudrait que tout soit fait pour que la sécurité soit maximale lorsque tout va mal. »

Ce sera donc la difficulté ultime de ce procès : définir clairement une chaîne causale, établissant les responsabilités des différents protagonistes et respectant la norme en matière de sécurité aérienne qui établit qu'un accident est toujours la somme de plusieurs conditions concomitantes.

Léo Barnier

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Commentaires 5
à écrit le 10/10/2022 à 18:28
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Erreur de pilotage grossière. Équipage épuisé après une escale festive à Rio Mais seul Airbus où Air France seront comme d’habitude condamnés. Car eux ils peuvent payer des indemnités….

le 10/10/2022 à 22:56
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On sent le spécialiste … Avez vous seulement lu le rapport de BEA sur cet accident ? Le comprenez vous ? Non bien sûr…. A la lecture de votre post que l’on pourrait aisément qualifier de malveillant et diffamatoire ( attention se cacher derrière...

le 11/10/2022 à 9:12
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Condamner les seuls morts serait une façon scandaleusement "économique" de se sortir de l'affaire, mais, après avoir lu le rapport du BEA, monsieur @lachecor, la responsabilité de l'équipage semble bien engagée. De plus, hors de tout accident, un com...

le 11/10/2022 à 12:00
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La responsabilité de l’équipage est toujours engagée . Son implication, et sa disparition , en sont les témoins. Je cite :" un commandant de bord doit-il accepter de voler sur un appareil qui présente des défaillances connues ? " . L’appareil ne prés...

à écrit le 10/10/2022 à 13:17
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apres le mont st 'Odile et Habsheim ou c'est les pilotes qui ont trinqué pour evite des tetes chez airbus jamais 2 sans 3

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