De la part des clients, les compagnies aériennes espéraient ce désir d'ailleurs, longtemps contenu pendant la pandémie et les confinements. Elles n'ont pas été déçues. Les réservations repartent en fanfare, en particulier en Europe. De quoi faire oublier le passé ? Pas si vite.... Certes, l'Irlandais Willie Walsh, vétéran du transport aérien et directeur général de l'IATA depuis 2021, invité au Paris Air Forum organisé par La Tribune et ADP, est ravi de la reprise actuelle et se dit optimiste pour l'avenir.
Mais s'il se souvient des turbulences précédentes, celles générées par les attentats du 11 septembre 2001, puis par la crise économique et financière de 2008, « les revenus des compagnies aériennes avaient baissé de 6% en 2002 et de 16% en 2009, alors qu'en 2020, la chute a été de 56% », a-t-il souligné.
Un sacré trou d'air, qui mettra forcément du temps à se résorber, malgré l'embellie actuelle. D'ailleurs, les compagnies aériennes n'auraient pas dû souffrir autant, selon lui. Il met en cause le manque de coordination, voire les incohérences, en particulier au niveau de l'Europe, et les politiques de « stop and go » décidées à Londres, Paris ou Bruxelles.
« Nous avons été trop gentils avec les pouvoirs publics. Et aujourd'hui, ils nous critiquent en disant que nous aurions dû être prêts pour ne pas avoir les difficultés que nous connaissons en matière de vols annulés ou d'attente dans les aéroports ! Mais comment les patrons des compagnies aériennes auraient-ils pu anticiper, alors que les restrictions sanitaires n'ont pas cessé d'évoluer, de se contredire, de revenir en arrière ? Quelles garanties avaient-ils ? », s'est-il emporté.
Bref, cette « hystérie » concernant les perturbations, qui ont déjà existé dans le passé, lui paraît pour le moins excessive... Même s'il admet que les compagnies ont de nombreux défis à relever dans les mois et les années qui viennent.
Assainir les comptes
A court terme, d'abord. Si l'Europe est ouverte, l'Asie, en revanche, est encore en partie fermée, et en particulier la Chine, empêtrée qu'elle est dans la crise sanitaire et sa politique zéro Covid, alors que son marché intérieur était des plus prometteurs. Quant à la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie, dont la fermeture des espaces aériens, elles ont certes un impact, mais il est, selon Willie Walsh, limité et donc gérable. Enfin, les compagnies doivent faire face, mais cela a déjà été le cas par le passé, à la hausse du prix du pétrole qui se répercute forcément sur le kérosène - et sur le prix des billets...
« Pour l'heure, la demande des consommateurs tient, mais en 2023 ? », s'est-il interrrogé...
En outre, les compagnies aériennes doivent assainir leurs comptes, alors que de nombreuses sont endettées, les montants additionnels contractés pendant la crise s'élevant à 200 milliards de dollars. Qui va s'en sortir ? Et de quelle manière ? Déjà, 85 compagnies aériennes ont fait faillite en 2021. « Il n'y a pas qu'un business model », a-t-il souligné.
Certaines compagnies régulières profitent pleinement du retour des passagers, encore plus marqué en classe affaires - et ce ne sont pas tous, d'ailleurs, des professionnels, mais aussi des familles aisées qui n'ont pas pu dépenser pendant la crise -, tandis que des low cost comme Wizz Air et Ryanair tirent également leur épingle du jeu. Verra-t-on cependant une consolidation dans le secteur ? Sans doute, mais Willie Walsh estime que de nombreux dirigeants seront prudents et ne dépenseront pas du cash sans compter...
Par ailleurs, question liquidités, justement, les compagnies devront, après l'engouement de l'été, affronter le creux de l'hiver. Ce qui impliquera de faire preuve de flexibilité et de baisser en capacités si nécessaire... Mais elles doivent dans le même temps déjà attirer de la main d'œuvre, pour le chargement et le déchargement des bagages, entre autres, et pour cela, sans doute offrir de meilleures conditions de travail.
Cela dit, « au Royaume-Uni, nous voyons des infirmières qui quittent les hôpitaux publics pour aller dans l'aérien... », a-t-il plaisanté.
Les compagnies aériennes misent aussi, en partie, sur l'automatisation, aussi bien en ce qui concerne l'accueil numérique des passagers aux aéroports qu'en matière de nouvelles technologies pour rendre des véhicules qui poussent les avions hors de leur porte plus autonomes, par exemple. D'ailleurs « toutes ces évolutions font que cette industrie n'a jamais été aussi attrayante », a-t-il dit.
Le carburant durable, clé de l'avenir
D'autant que d'autres évolutions sont également à venir. A moyen terme, mais l'avenir se prépare aujourd'hui, les compagnies aériennes vont devoir mettre en pratique l'engagement pris dans le cadre de l'assemblé générale annuelle de l'IATA, en octobre 2021, celui d'atteindre l'objectif de zéro émission nette de carbone dans leurs activités à horizon 2050. Là encore, Willie Walsh est optimiste. D'ailleurs, les compagnies aériennes ont profité du manque d'activité pendant la crise pour explorer des solutions.
« Alors que le carburant durable est 2,7 fois plus cher que le kérosène, les compagnies sont très intéressées, la preuve, elles s'arrachent la totalité du carburant durable produit. Il s'agit d'en produire plus. Et les compagnies pétrolières doivent s'y mettre », a-t-il rappelé.
D'autant qu'évidemment, les solutions à base d'hydrogène ou d'électricité ne peuvent se concevoir que pour des vols court et moyen-courriers. D'ailleurs, il croit toujours à la nécessité de ces vols. Et là encore, il s'emporte contre le personnel politique.
« Certains élus ne jurent que par le train, mais encore faut-il qu'il fonctionne bien, sans oublier de construire des infrastructures coûteuses et gérer les nuisances. Et si tous les vols de moins de 500 kilomètres étaient abandonnés, cela ne reviendrait qu'à éliminer 3% du Co2 émis par l'ensemble du transport aérien. C'est ridicule ! Alors que la production de carburant durable pour l'aviation - s'il y avait des incitations de la part des Etats - permettrait de le réduire de 10 à 12%. Il faut que le personnel politique, en particulier en Europe, le comprenne ! », a-t-il tonné.
Et, tirant les leçons de la crise Covid, Willie Walsh a clairement l'intention de faire entendre son point de vue...
Sujets les + commentés