Taxes sur les billets d'avion : quel impact sur les compagnies aériennes ?

Par Léo Barnier  |   |  1727  mots
Clément Beaune a réaffirmé son intention d'instaurer une nouvelle taxe sur le transport aérien. (Crédits : Reuters)
Taxer le transport aérien pour financer le ferroviaire, le principe est désormais acté. Clément Beaune, le ministre des transports, l'a encore confirmé ce lundi. Quitte à ce que l'avion coûte plus cher. Une décision qui impactera forcément le secteur, même si celui-ci semble prêt à payer à condition que la taxe finance sa propre transition écologique. Décryptage.

Une nouvelle taxe sur les billets d'avion est bien partie pour voir le jour à l'automne. Après avoir évoqué l'idée à plusieurs reprises avant l'été - notamment au cours du congrès de la Fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam) - le ministre délégué chargé des Transports Clément Beaune a réaffirmé son intention ce lundi sur France Info. Une proposition devrait être faite à l'occasion du prochain projet de loi de finances (PLF), qui sera présenté fin septembre.

« Nous avons besoin d'investir massivement dans la transition écologique. Et l'une des sources de financement, c'est de demander aux modes de transport les plus polluants, la route et l'avion, de financer l'investissement, notamment dans le train pour qu'il y ait plus de trains et que les prix soient moins élevés », a déclaré le ministre.

Rappelant que le principe avait déjà été évoqué par la Première ministre Elisabeth Borne dès le mois de février au moment de l'annonce du plan de 100 milliards d'euros d'investissement pour le ferroviaire, Clément Beaune a confirmé les discussions en cours sur la taxation des billets d'avion, en précisant que les modalités seront précisées le mois prochain dans le PLF.  Sans avancer de détail, le ministre a avancé le principe d'une « taxation différenciée en fonction du pouvoir d'achat des passagers et de la distance, et donc de l'impact écologique ». La Tribune fait le point en six questions.

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Le secteur a-t-il récupéré de la crise ?

Le secteur va incontestablement mieux, après la grave crise des dernières années. Les avions ont fait le plein cet été et le trafic devrait atteindre 90 à 95 % de celui de 2019 selon les estimations de la Fnam. En revanche, la part des compagnies françaises se réduit à nouveau face à la forte reprise des compagnies low cost étrangères, Ryanair en tête.

Sur le plan financier, Air France ou Aéroports de Paris sont à nouveau rentables et de belle manière. La situation est plus compliquée pour les acteurs plus modestes, même si le dynamisme actuel et la saison estivale font du bien à tout le monde. C'est donc encore une phase de reprise, ce qui fait dire à Thomas Juin, président de l'Union des aéroports français, que ce n'est pas le moment de mettre une taxe sur les billets d'avions.

Quel niveau de taxes pour l'aérien ?

L'absence de taxe sur le kérosène ou de TVA sur les vols internationaux tend à faire penser que le secteur aérien dispose d'une exonération totale. Or, tout un ensemble de taxes pèse déjà sur le prix du billet. Sur les vols domestiques, la TVA s'applique mais à un taux réduit de 10 % (comme pour le train).

A cela s'ajoutent des taxes spécifiques au transport aérien, portant sur le transport de passagers comme de marchandises : la taxe de l'aviation civile pour financer la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), la taxe de sûreté et de sécurité ainsi que la péréquation aéroportuaire pour financer ces activités régaliennes sur l'ensemble des aéroports, la taxe sur les nuisances sonores aériennes pour aider à l'insonorisation des habitations riveraines d'aéroports, et la taxe de solidarité. A cela s'ajoutent les redevances de navigation, pour rétribuer le contrôle aérien, ou encore aéroportuaires, qui doivent néanmoins être différenciées des taxes.

En prenant l'exemple d'un billet Paris-Nice avant le Covid, la Fnam arguait ainsi que les taxes et redevances pouvaient représenter plus de la moitié du prix du billet. En ne prenant que les « taxes pures », cela faisait encore plus du quart du prix. De son côté, le groupe Air France indique avoir versé près de 3 milliards d'euros d'impôts et de taxes en France en 2022, dont un milliard d'euros au titre de ces taxes et redevances de transport aérien et de la TVA. Et ce pour un chiffre d'affaires global de 16 milliards d'euros.

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Existe-t-il un précédent ?

Pour cette nouvelle contribution du secteur aérien, le gouvernement pourrait d'ailleurs s'appuyer sur un dispositif déjà existant : la taxe de solidarité, dite aussi « taxe Chirac ». Entrée en vigueur en 2006 pour financer des programmes de santé dans les pays en développement, elle a déjà évolué en 2020 à l'initiative d'Elisabeth Borne, alors ministre des Transports, avec l'ajout d'une éco-contribution destinée à alimenter des projets d'infrastructures. Si les recettes sont toujours affectées prioritairement au Fonds de solidarité pour le développement (FSD), au-delà de 210 millions d'euros, elles sont fléchées vers les caisses de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

« Il y a déjà une taxe sur les billets d'avion, appelée l'éco-contribution. L'idée est de la renforcer et j'y suis favorable. Pas pour le principe mais avec un fléchage clair vers le financement de la transition écologique »,a indiqué Clément Beaune, ministre délégué chargé des Transports sur France Info.

Cette taxe répond notamment aux critères de différenciation voulus par le ministre, avec des montants compris aujourd'hui entre 2,63 euros pour un passager en classe économique sur un vol domestique à 63,07 euros pour un passager en première ou classe affaires pour un vol international de plus de 1.000 km. Sur ces montants, l'éco-contribution se situe entre 1,5 et 18 euros.

De plus, la taxe de solidarité fait partie des taxes affectées, pouvant donc être fléchées vers une dépense spécifique au contraire des autres revenus budgétaires.

Les passagers pourront-ils payer ?

Si cette nouvelle taxation est confirmée, elle devra donc soit être prélevée par les compagnies aériennes sur leurs marges, soit répercutée sur le prix des billets. Au vu des marges relativement réduites du secteur - qui se limitent en général à quelques pourcents - ce sont donc bien les passagers qui risquent de payer la facture. Ce qui pose la question de l'élasticité des prix. Jusqu'à quand peut-on augmenter le prix des billets d'avion sans affecter la demande ? Pour le ministre, la question ne semble pas se poser en raison du principe de différenciation entre les billets. Il estime que cette taxe doit ainsi donner « un juste prix environnemental à des comportements parfois défavorable sur le plan écologique » et qu'il « faut que le billet d'avion soit un peu plus cher pour refléter son coût environnemental, pas pour dégrader le pouvoir d'achat mais financer l'investissement dans le ferroviaire et d'avoir des billets de train moins cher. »

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Le secteur est forcément plus contrasté sur ce point, Thomas Juin rappelant par exemple que la reprise du trafic affaires est toujours en retard en comparaison de l'activité loisir, ou que c'est l'accumulation de taxes qui est préjudiciable. Mais le fait est qu'aujourd'hui, en dépit d'une hausse importante des prix depuis plus d'un an avec l'inflation, le prix des billets augmentent mais la demande ne faiblit pas.

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Le secteur prêt à payer sous conditions ?

L'opposition semble moins virulente que lors de l'annonce de l'éco-contribution, faite en 2019. Du moins différente. Ainsi Air France a affirmé ne pas être opposé à la taxation, mais pose des exigences en contrepartie. Le groupe souhaite ainsi que « le fruit de cette taxation soit fléché vers la décarbonation du transport aérien, avec notamment le soutien au développement de filières de production de carburants d'aviation durable. » Un carburant durable qui est toujours trois à cinq fois plus cher que le kérosène aujourd'hui.

De son côté, Pascal de Izaguirre, président de la Fnam, avait rappelé lors du Paris Air Forum que la transition écologique allait coûter au secteur « un milliard d'euros en 2025 et trois milliards d'euros en 2030, hors renouvellement d'appareils » avant de demander une nouvelle fois que les nouvelles taxes envisagées par le gouvernement soient fléchées vers la décarbonation du transport aérien et non vers le ferroviaire. Ce qui n'est pas du tout l'idée du gouvernement qui cherche avant tout à boucler le financement du plan de 100 milliards d'euros pour le ferroviaire.

Interrogée par La Tribune en marge des annonces sur l'avion vert en juin dernier, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, avait éludé cette question du fléchage en rappelant le principe de non-affectation des recettes aux dépenses. Un principe qui serait donc contourné avec la taxe de solidarité. Elle avait alors joué la carte du en même temps : « Nous décarbonons l'aérien et développons le ferroviaire. »

De son côté, Clément Beaune a rappelé ce matin que « l'Etat accompagne le secteur aérien. Je me suis battu pour que l'on aide aussi le transport aérien à investir dans l'avion vert. »

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Quel montant pour cette taxe ?

L'autre revendication des acteurs de l'aérien ne change pas en revanche, c'est la prise en compte des conséquences qu'une telle taxe pourrait entraîner sur la compétitivité du secteur. Air France demande ainsi que « des conditions de concurrence équitable soient respectées, afin d'éviter de renforcer la distorsion de concurrence existante avec les opérateurs extra-européens. »

Sur ce point, Clément Beaune affirme vouloir étendre la discussion au niveau européen à l'occasion d'une réunion des ministres de transports européens fin septembre : « Cela ne sert à rien d'aller taxer les compagnies françaises si les autres ne font pas un effort. Je suis très vigilant pour que nos compagnies aériennes, comme Air France, et nos aéroports ne soient pas les dindons de la farce. » Une réunion qui pourrait aussi aborder l'idée d'une taxation du kérosène au niveau européen.