Climat : le Conseil d'État rend une décision historique pour la France

La plus haute juridiction administrative a demandé au gouvernement français de justifier de la compatibilité de son action climatique avec ses propres objectifs. Elle lui a laissé trois mois.
Giulietta Gamberini
Les Conseil d'Etat avait été saisi par la ville de Grande-Synthe, commune littorale particulièrement exposée aux effets du changement climatique qui avait déjà demandé sans succès à l'Etat de prendre des mesures supplémentaires pour respecter les objectifs issus de l'accord de Paris.
Les Conseil d'Etat avait été saisi par la ville de Grande-Synthe, commune littorale particulièrement exposée aux effets du changement climatique qui avait déjà demandé sans succès à l'Etat de prendre des mesures supplémentaires pour respecter les objectifs issus de l'accord de Paris. (Crédits : Christian Hartmann)

C'est une décision historique, compte tenu de ses effets potentiels sur l'évolution du mouvement naissant de justice climatique, qui vise à faire reconnaître en justice la responsabilité des États dans la lutte contre le réchauffement. Jeudi, le Conseil d'État a demandé au gouvernement français "de justifier, dans un délai de trois mois", que son action climatique "est compatible avec le respect de la trajectoire de réduction choisie pour atteindre les objectifs fixés pour 2030".

"Si les justifications apportées par le gouvernement ne sont pas suffisantes", la plus haute juridiction administrative se réserve alors le droit de "prendre des mesures supplémentaires permettant de respecter la trajectoire prévue pour atteindre l'objectif de - 40 % [d'émissions de gaz à effet de serre] à horizon 2030" par rapport à leur niveau de 1990: l'engagement pris par l'État français lui-même afin de mettre en œuvre l'accord de Paris.

Les plafonds d'émissions régulièrement dépassés

Le Conseil d'État avait été saisi par la ville de Grande-Synthe, commune littorale particulièrement exposée aux effets du changement climatique qui avait déjà demandé sans succès à l'État de prendre des mesures supplémentaires pour respecter les objectifs issus de l'accord de Paris. Il avait ainsi été amené pour la première fois de son histoire à se prononcer sur le respect des engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Dans sa décision, en reprenant des observations du Haut Conseil pour le climat, la haute juridiction "relève que, si la France s'est engagée à réduire ses émissions de 40% d'ici à 2030, elle a, au cours des dernières années, régulièrement dépassé les plafonds d'émissions qu'elle s'était fixés et que le décret du 21 avril 2020 a reporté l'essentiel des efforts de réduction après 2020", voire après 2023.

"Ce qui imposera alors de réaliser une réduction des émissions en suivant un rythme qui n'a jamais été atteint jusqu'ici".

C'est pourquoi, incapable "face à ces nouvelles données" de "juger si le refus de prendre des mesures supplémentaires [requises par Grande-Synthe, Ndlr] est compatible avec le respect de la nouvelle trajectoire", le Conseil d'État demande "les justifications appropriées" à l'État dans les trois mois.

"Enfin, l'État est sommé d'en finir avec les belles paroles"

"Le Conseil d'État [...] a rendu une décision qui [...] tranche un certain nombre de questions fondamentales pour mettre un terme à la carence climatique de la France", se sont réjouis la ville de Grande-Synthe et son ancien maire, Damien Carême.

La juridiction admet en effet comme recevable l'action de villes: Grande-Synthe ainsi que Grenoble et Paris, qui étaient intervenues en soutien. "Ce qui signifie que les communes françaises peuvent réclamer à l'État une véritable politique climatique efficace", notent les requérants. Le Conseil d'État met en outre "en place une obligation de résultat" de l'État vis-à-vis de ses propres objectifs et engagements, qui deviennent ainsi contraignants.

La décision "inscrit le Conseil d'État français dans la lignée des cours suprêmes, qui ont toutes fait progresser l'obligation climatique et ont contraint l'État à sortir d'une politique de communication", estime Corinne Lepage, avocate de la ville de Grande-Synthe.

"Enfin, le refus d'agir est condamné. Enfin, l'État est sommé d'en finir avec les belles paroles. Enfin, il est contraint de poser sur la table son plan d'attaque, et de le mettre en œuvre", résume Damien Carême, aujourd'hui député européen.

"De nombreux contentieux" en vue

L'association d'ONG Notre Affaire à tous (à l'origine de la pétition l'Affaire du Siècle), qui s'était unie à l'action, et qui a elle aussi engagé une procédure contre l'État pour inaction climatique, a également salué une décision fondatrice.

"En vertu de cette décision, les objectifs des lois programmatrices deviennent obligatoires, le droit 'mou' devient 'dur': une transformation qui est susceptible de produire des effets dans divers domaines du droit de l'environnement, en ouvrant la voie à de nombreux contentieux", a observé l'avocat de l'Affaire du Siècle, Guillaume Hannotin.

Sans compter que pour l'État "il sera politiquement difficile de ne pas soumettre aux injonctions d'une instance qui est loin d'être révolutionnaire, et fondées sur des engagements pris par le gouvernement lui-même", notre maître Hannotin.

La décision est aussi historique en ce que le Conseil d'État ouvre également la possibilité d'évaluer l'efficacité d'une politique publique avant son échéance, "en intégrant parfaitement la notion de trajectoire", observe-t-il. Et elle pourrait rendre possibles des poursuites pénales des auteurs des violations afin de les faire déclarer responsables de leurs conséquences, considère l'avocat.

Un précédent et un encouragement

Ce précédent pèsera en outre dans l'action intentée contre l'État par Notre Affaire à Tous, dont l'instruction a été clôturée en octobre et qui ne sera pas tranchée avant l'été, souligne la directrice générale de l'association, Cécilia Rinaudo. Un recours devant le tribunal administratif qui soulève néanmoins aussi de nouvelles questions juridiques, et  dont la décision pourrait donc aussi être historique, ajoute-t-elle.

 "La décision du Conseil d'État représente un encouragement à poursuivre dans la voie de la justice pour le climat, soutenue par les deux millions de signataires de l'Affaire du Siècle", conclut pour sa part Cécile Duflot, directrice générale d'Oxfam France et ancienne ministre de l'Égalité des Territoires et du Logement.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 10
à écrit le 20/11/2020 à 12:42
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Il semble que le conseil d'état se distingue plus par la bêtise de ces décisions que par leur clairvoyance.

à écrit le 20/11/2020 à 12:04
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C'est plus les élus du peuple qui commandent maintenant !

à écrit le 20/11/2020 à 11:39
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désole mais ces juges sont illégaux a formuler cet attitude sur des sujets aussi important c'est aux Français de decider par referendum et non pas a des personnes non élus idem pour les 150 désigné par m macron il ne représente rien

à écrit le 20/11/2020 à 11:10
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Cela va toujours a l'encontre de la démocratie et des choix des populations pour imposer une notion administrative de connivence!

à écrit le 20/11/2020 à 10:17
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Les mêmes qui finalement attendent des réponses aux questions qu'ils ont eu dans le passé et dont ils semblent ne pas avoir compris l'avenir! Car il faut se souvenir que ce conseil est peuplé de décideurs des 20 dernières années! Alors difficil...

à écrit le 20/11/2020 à 9:10
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Pourquoi voter désormais ? Entre l'état d'urgence sanitaire qui sait mieux que nous ce qui est bon pour nous, et les juges qui disent au gouvernement ce qu'il doit faire, notre vie va devenir une interminable norme ISO 9000...

à écrit le 20/11/2020 à 8:42
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Et toujours rien de concrets pour les millions de victimes de l'agro-industre, hypocrisie d'Etat s'il en est mais bon on est habitué à l'hypocrisie de la france depuis la seconde guerre mondiale.

à écrit le 20/11/2020 à 0:56
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Vas y vassily ! Nous on s'en fish, on a la plancha billet électrique ! Seb c'est bien !

à écrit le 19/11/2020 à 20:34
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oui oui y a quand meme un gros pb les ecolos ont a priori des cerveaux de crocodile, vu qu'ils n'ont pas bien compris que la france ne va pas sauver l'univers, surtout si la chine et l'afrique continuent d'augmenter leur conso de charbon bon, moi ...

à écrit le 19/11/2020 à 19:20
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Le gouvernement des juges triomphe pendant l'hiver sanitaire....

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