Peter Altmaier, ministre fédéral (CDU) de l'Economie, n'en a jamais fait un secret. "Nous voulons devenir le leader mondial dans les technologies de l'hydrogène décarboné", a-t-il annoncé dès juin 2020 lors de la présentation de sa feuille de route sur l'hydrogène. L'Allemagne investira 9 milliards d'euros dans cette filière. Le pays veut mettre en place une capacité de production de 5 gigawatts d'hydrogène d'ici 2030, pour atteindre ensuite 10 gigawatts en 2040. L'Allemagne entend ainsi tourner définitivement la page du nucléaire, dont elle a quasiment fini de se désengager, et du charbon.
"L'Allemagne, comme la France, cherche à décarboner l'hydrogène créé à partir du méthane pour des applications industrielles, et source majeure de CO2", explique Sven Roesner, directeur de l'Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE). "Les deux pays ont des approches assez similaires, basées sur l'électrolyse. Mais l'Allemagne l'alimente avec de l'électricité verte alors que la France entend favoriser une alimentation mixte, nucléaire et décarbonée", précise Sven Roesner.
La nuance illustre clairement deux approches différentes du "mix" énergétique. A Berlin, la décision de sortir du nucléaire a été prise dix ans avant Fukushima, dès juin 2000, mais sans échéance définie. La catastrophe au Japon a entraîné l'arrêt immédiat de sept réacteurs nucléaires mis en service avant 1980. La loi adoptée en juillet 2011 a précisé le calendrier de sortie et l'ensemble du parc nucléaire allemand, qui représentait encore une puissance installée de 8422 MW en 2011, sera définitivement arrêté en 2022. Les centrales de Brokdorf, Grohnde et Gundremmingen C seront découplées du réseau cette année. Emsland, Isar 2 et Neckarwestheim 2 suivront l'année prochaine. L'Agence fédérale des réseaux (Bundesnetzagentur), un service du ministère fédéral de l'Energie et des Technologies, souligne dans son rapport annuel 2020 la part croissante des énergies renouvelables dans la couverture des besoins du pays. Cette part s'établit 49,3 % en 2020 contre 46,1 % en 2019. L'éolien et le photovoltaïque couvrent respectivement 27,4 % et 9,7 % des besoins nationaux.
L'Allemagne n'y parviendra pas seule
En décembre 2020, à deux semaines du terme de la présidence semestrielle allemande du Conseil européen, Peter Altmaier a présenté son plan IPCEI (Important Project of Common European Interest) relatif à l'hydrogène et convaincu 21 Etats membres, ainsi que la Norvège, de soutenir son projet de création d'une chaîne de valeur autour de l'hydrogène vert. "L'Allemagne dit clairement qu'elle ne pourra pas générer seule tout l'hydrogène dont elle aura besoin, même si elle double ses capacités d'électrolyse entre 2030 et 2040. Elle offre de belles opportunités de coopération", observe Sven Roesner.
La France apparaît parmi les partenaires prioritaires. La production en série d'électrolyseurs, avec la baisse de leurs prix unitaires, constitue l'enjeu majeur. Le 8 septembre 2020, le gouvernement français a présenté sa stratégie nationale pour l'hydrogène décarboné avec 7 milliards d'euros d'investissements prévus d'ici 2030, dont 2 milliards d'euros dans le budget de France Relance. "Cette technologie est chère. Pour amortir un électrolyseur, celui-ci doit tourner entre 4000 heures et 5000 heures par an. Chaque euro économisé sur le coût de production de ces équipements favorisera la démocratisation de cette technologie", prévient Sven Roesner.
Course contre la montre
Une course contre la montre s'est engagée. Le 13 janvier 2021, le ministère fédéral de la Formation et de la Recherche (Bundesministerium für Bildung und Forschung, BMBF) a lancé trois chantiers pilotes de promotion de l'hydrogène "vert" soutenus à hauteur de 700 millions d'euros. H2Giga, qui rassemble 112 partenaires autour de la fédération allemande de la chimie et de la biotechnologie Dechema, vise à établir des capacités de production en série d'électrolyseurs. TransHyDE, un consortium de 89 partenaires piloté par RWE Renewables avec l'Institut Max Planck pour la conversion de l'énergie chimique (MPI CEC) à Mülheim et par l'Institut Fraunhofer pour les infrastructures énergétiques et la géothermie (IEG) à Bochum, testera des solutions de transport d'hydrogène. Avec 33 partenaires autour de Siemens Energy, le troisième chantier pilote H2Mare portera sur la génération d'hydrogène en mer.
Le 16 février, Bruno Le Maire et Peter Altmaier ont appelé à d'autres collaborations renforcées et à l'établissement d'alliances industrielles sous forme de projets importants d'intérêt européen commun (PIIIEC). Les ministres se sont engagés pour le lancement de trois PIIIEC sur l'hydrogène, le cloud et la microélectronique, financés en partie par le plan de relance européen. Dès le 11 janvier, Bruno Le Maire avait annoncé aux côtés de Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, de Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, et d'Agnès Pannier-Runacher, l'installation d'un Conseil national de l'hydrogène.
Rien ne garantit que ce conseil, composé de 17 représentants industriels dont François Jacq, administrateur général du CEA, Jean-Bernard Lévy (EDF) ou encore Catherine MacGregor (Engie), suive la trace dessinée par les Allemands. "Si l'on peut utiliser des centrales nucléaires que l'on veut arrêter, alors qu'elles peuvent encore fonctionner, pour faire de l'électricité qui serait convertie en hydrogène puis serait stockée, pourquoi s'en priver ? Si le but final est celui de la préservation de la planète, il faut mettre en œuvre les moyens optimaux", a proposé Benoît Potier, PDG d'Air Liquide et vice-président du Conseil national de l'hydrogène, lors de sa récente audition par la commission des Affaires économiques du Sénat. "Il faut organiser une transition et non pas un saut de la falaise", a prévenu Benoît Potier.
Retrouvez cette semaine, notre série Fukushima, 10 ans après
- Episode 1 : EDF doit faire encore faire plus pour la sûreté de ses centrales nucléaires
- Episode 2 : "L'accident a perdu son caractère exceptionnel"
- Episode 3 : La filière nucléaire en opération séduction auprès des étudiants
- Episode 4 : La décontamination des sols reste un casse-tête
- Episode 5 : L'Allemagne postnucléaire veut être championne de l'hydrogène vert
- Episode 6 : Comment Fukushima a permis à Veolia de se renforcer dans la robotique nucléaire
- Episode 7 : A Fessenheim, des projets de reconversion freinés par la faune et la flore
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