Énergie : les trois chantiers titanesques de Bruxelles pour réduire les émissions de CO2

Après en avoir dévoilé une bonne partie le 14 juillet dernier, la Commission européenne a complété ce mercredi son « paquet climat », en se penchant notamment sur le secteur de l’énergie. Dans un contexte d'explosion des tarifs sur le marché de gros, ses nouvelles propositions concernent notamment la rénovation des bâtiments, le stockage de CO2 et la décarbonation du gaz, afin de préserver le climat sans mettre à mal la sécurité d'approvisionnement. Analyse.
Marine Godelier
De la rénovation des logements à la décarbonation du gaz, en passant par la capture du CO2 dans les sols, Bruxelles a présenté ce mercredi 15 décembre un bouquet de propositions concrètes sur l'énergie.
De la rénovation des logements à la décarbonation du gaz, en passant par la capture du CO2 dans les sols, Bruxelles a présenté ce mercredi 15 décembre un bouquet de propositions concrètes sur l'énergie. (Crédits : Yves Herman)

Fin 2019, la Commission européenne présentait le très attendu « Green Deal », sa stratégie globale pour transformer l'économie des 27 en moins de trente ans afin de préserver le climat. Deux ans plus tard, et alors même qu'une flambée historique des tarifs de l'énergie frappe le marché de l'UE, l'institution bruxelloise continue d'avancer ses pions en la matière. Car le continent doit entamer sa transition énergétique, et ne pas sacrifier ses ambitions environnementales sur l'autel du maintien à tout prix du pouvoir d'achat des citoyens, estime-t-elle. S'y trouve la « meilleure assurance contre les chocs futurs », affirmait-elle en octobre dernier, alors qu'elle présentait une « boîte à outils » pour répondre à la crise.

De la rénovation des logements à la décarbonation du gaz, en passant par la capture du CO2 dans les sols, elle a ainsi présenté ce mercredi 15 décembre un bouquet de propositions concrètes sur l'énergie, qui s'ajoutent à la première partie de son plan tentaculaire, dévoilée le 14 juillet dernier. Y figure désormais l'obligation de construire des bâtiments « neutres en carbone » d'ici à la fin de la décennie, alors que le secteur concentre 40% de l'énergie consommée en Europe. Mais aussi l'ambition de créer un nouveau marché dédié à l'hydrogène « vert », avec un système de certification et des normes techniques et réglementaires communes.

Le but : baisser de 55% les émissions d'ici à 2030 par rapport à 1990, et atteindre la neutralité climatique dès la moitié du siècle, tout en garantissant la sécurité d'approvisionnement (alors que les stocks des pays membres ont chuté de 12% par rapport à l'année dernière) et l'équité sociale. Autrement dit, selon la commissaire européenne à l'énergie, Kadri Simson, « se rapprocher de l'objectif ultime d'un système plus vert, plus juste et plus sûr ». Un chantier qui promet d'être pharaonique, si tant est qu'il soit approuvé par les Etats et les eurodéputés. Pour mieux en comprendre les contours, La Tribune fait le point sur les principales mesures.

  • Décarboner le marché gazier de l'UE

C'est d'abord le système gazier, aujourd'hui source de débats passionnés du fait de l'explosion des prix, qui se trouve au cœur du problème. Car alors que la transition énergétique doit signer la fin du règne des combustibles fossiles, il faut « s'assurer que le rôle du gaz naturel décline, et que des options plus vertes comme l'hydrogène renouvelable ou le biométhane soit renforcées », a fait valoir Kadri Simson. Car « l'électricité seule ne peut apporter toute l'énergie dont nous aurons besoin à l'avenir », a ajouté le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans. Pour passer au bas carbone, la Commission entend établir un marché de l'hydrogène qui permettrait « le développement d'infrastructures dédiées, y compris pour les échanges avec les pays tiers », alors que l'UE vise des capacités d'électrolyse de 40 gigawatts d'ici 2040.

« Nous avons besoin de marchés et d'infrastructures compétitifs pour fournir ces volumes aux consommateurs efficacement, de la manière la moins coûteuse », a précisé Frans Timmermans.

Une proposition qui fait écho au giga-projet de « dorsale hydrogène européenne » (EHB), dont le but est de déployer un réseau de près de 40.000 kilomètres reliant 21 Etats d'ici à 2040. Et ce n'est pas tout : une nouvelle structure de gouvernance devra être créée pour élaborer des « règles techniques » et assurer la « coordination transfrontalière », avec la création d'un Réseau européen des opérateurs de réseau pour l'hydrogène (ENNOH).

Par ailleurs, afin d' « éviter d'enfermer l'Europe dans le gaz naturel fossile », la Commission demande que les contrats à long terme pour le gaz naturel fossile non réduit ne soient pas prolongés au-delà de 2049. C'était pourtant l'une des principales exigences des industriels électro-intensifs face à l'explosion des prix.

Lire aussi 8 mnÉnergie : les industriels frappés de plein fouet par la flambée des prix

« L'industrie a besoin de garantie. Il faut que l'Europe devienne la première région du monde avec un cadre réglementaire clair sur l'hydrogène. Pour qu'il soit produit là où est le plus abordable, et échangé sur un marché ouvert, concurrentiel et libre (...) Nos propositions renforcent également la sécurité d'approvisionnement en gaz et renforcent la solidarité entre les États membres, pour contrer les chocs de prix et rendre notre système énergétique plus résilient », a affirmé Kadri Simson.

Reste que, pour l'heure, l'hydrogène est produit très majoritairement par vaporeformage du méthane, un procédé très polluant à base d'énergie fossile. Et son transport sur de longues distances pose de nombreux défis, à la fois techniques et économiques. « La plupart des tuyaux existants ne sont pas compatibles avec l'injection de grande quantité d'hydrogène. Il faudra soit changer les tuyaux, ce qui coûtera des dizaines de milliards d'euros, soit y mettre des revêtements spéciaux, mais c'est une technologie qui n'existe pas à grande échelle », précise Ludovic Leroy, ingénieur et formateur pour des professionnels du monde de l'énergie.

  • Vers l'isolation obligatoire pour les nouveaux bâtiments dès 2030

Autre volet important du paquet climat : la décarbonation du foncier, alors que 75% des bâtiments dans l'UE sont aujourd'hui considérés comme « non efficaces » d'un point de vue énergétique, et que le secteur représente 36% des émissions totales de gaz à effet de serre liées à l'énergie. D'autant que le problème est aussi social :

« Une maison non rénovée, équivaut littéralement à jeter de l'argent par la fenêtre. (...) Des millions d'Européens ne peuvent pas payer leurs factures, car ils vivent dans des maisons mal isolées, avec des systèmes datés », a justifié Frans Timmermans.

Pour s'y attaquer, les commissaires proposent de réviser la directive sur la performance énergétique des bâtiments, afin de traduire en « action législative concrète » sa stratégie « Vague de rénovation ». Avec, notamment, une proposition phare : à partir de 2030, toutes les nouvelles constructions devront être « zéro émission », et même trois ans plus tôt pour le foncier public. Par ailleurs, alors que 90% des bâtiments déjà existants « devraient être encore là en 2050 » les 15 % les moins performants du parc immobilier de l'UE devront passer du label G du certificat de performance énergétique (le pire) au label F au moins d'ici à 2030, les bâtiments publics et non résidentiels ouvrant la voie d'ici 2027. Et les logements devraient être « rénovés de G à au moins F d'ici à 2030 », et à « au moins E d'ici à 2033 ».

Cependant, le texte ne prévoit pas d'interdire la vente ou la location des bâtiments G, mais « permettrait aux pays de décider s'ils veulent faire respecter des normes minimum » en « respectant l'attribution des compétences », a noté Frans Timmermans. Et Kadri Simson d'ajouter que « les Etats membres définiront leur propre route ». Dans la même veine, chacun pourra choisir « s'il souhaite interdire les chaudières à hydrocarbure, et quand », a-t-elle précisé. En France, par exemple, la réglementation RE2020 prévoit l'interdiction d'installer des systèmes de chauffages au gaz dans les logements neufs d'ici au 1er janvier prochain.

  • Stockage du carbone dans les sols agricoles

Enfin, la Commission souhaite doper les initiatives de stockage du carbone dans les sols agricoles. Car « l'économie de l'UE aura toujours besoin de carbone comme matière première pour les processus industriels, tels que la production de carburants synthétiques, de plastiques, de caoutchoucs, de produits chimiques et d'autres matériaux avancés », concède-t-elle. A cet égard, Bruxelles entend promouvoir la pratique dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC), renforcer les financements publics, mais aussi un cadre rigoureux et détaillé de certification des absorptions carbone.

« On a déjà vu un projet aux Pays-Bas et en Flandre où des agriculteurs travaillent au stockage du CO2. Mais la grande demande qui émane sur le sujet, c'est celle de certifier. Il faut mettre sur le marché une certification crédible, basée sur des données scientifiques », a ainsi fait valoir Frans Timmermans.

Concrètement, les règles de certification établiront des exigences scientifiquement solides pour mesurer et surveiller la quantité de carbone retirée de l'atmosphère, « garantissant un niveau élevé d'intégrité environnementale et de protection de la biodiversité », affirme l'institution. Et de préciser qu'elle proposera dès la fin de 2022 ces règles de comptabilité carbone.

En la matière, son objectif est ambitieux : d'ici à 2030, 5 millions de tonnes de CO2 devraient être retirées chaque année de l'atmosphère et stockées en permanence grâce à des solutions technologiques, affirment les commissaires. Reste que ces techniques de capture, régulièrement critiquées par des associations environnementales, doivent encore faire leurs preuves dans la lutte contre le changement climatique.

Marine Godelier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 16/12/2021 à 15:20
Signaler
La rénovation des batiments est un leurre considérable pour combattre le réchauffement économique pour ne pas faire les réformes indrustrielles et de l'aménagement des sols nécessaire .

à écrit le 16/12/2021 à 12:27
Signaler
A force de se polariser sur le CO2 on oublie que l'énergie produite par combustion de l'H2 produit de la vapeur d'eau qui est un gaz a effet de serre plus important que le CO2. Il faudra toujours produire de la vapeur d'eau ou du CO2 pour vivre. Stoc...

à écrit le 16/12/2021 à 10:04
Signaler
Les "trois chantiers titanesques" qui dans un premier temps vont augmenter les émissions de CO³ pour dans un deuxièmes temps savoir si cela était efficace! Vont ils utiliser le stockage naturel que nous propose notre environnement comme les arbres et...

à écrit le 16/12/2021 à 9:46
Signaler
l état de la France en est le reflet un désastre

à écrit le 16/12/2021 à 9:00
Signaler
Trois usines à gaz ! Waouh génial ! Vite un frexit.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.