Pourquoi la BCE est impuissante face à la récession

Jeudi, la BCE n'abaissera sans doute pas son taux directeur. Un non événement, tant la vrai question pour l'institution de Francfort est ailleurs : trouver un moyen de transmettre sa politique dans toute la zone euro pour vraiment agir sur l'économie.
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Jeudi, le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne va, comme chaque mois, tenir sa réunion de politique monétaire. Comme à l?accoutumée, toute l'attention se portera d?abord sur la décision concernant les taux directeurs de l?institution de Francfort. Certains, notamment dans le monde politique, estiment que la BCE devrait encore abaisser le loyer de l?argent afin de favoriser la reprise dans une zone euro entrée en récession à la fin de l?année dernière. Après tout, l?Union économique et monétaire n?est pas menacée par l?inflation, la BCE pourrait donc baisser ses taux sans mettre en danger son objectif de stabilité des prix.

La baisse des taux ? Une question « futile »

Sauf que le mécanisme d?ajustement par les taux semble extrêmement usé désormais dans une zone euro de plus en plus atomisée. Dans une note publiée le 28 mars, Goldman Sachs estime même que la question de l?évolution des taux de la BCE est « futile. » En théorie, en effet, une baisse du taux de refinancement de la BCE permet aux banques d?avoir de l?argent meilleur marché et de proposer à leurs clients, à leur tour, des crédits abordables. Or, la première partie de ce mécanisme est déjà en place. Le taux interbancaire au jour le jour est actuellement proche de 0. Autrement dit, les banques européennes ont accès à une liquidité abondante et bon marché. Une baisse des taux ne changerait fondamentalement rien à cette situation et mettrait la BCE dans une situation difficile pour l?avenir, car les cas japonais, américain ou britannique montrent parfaitement qu?il est très difficile de sortir d?une politique de taux zéro pour une banque centrale.

Fragmentation de la zone euro

En réalité, le problème de la BCE n?est pas son taux, mais la transmission de sa politique monétaire aux agents économiques dans la zone euro. Dans les pays périphériques, la politique accommodante de la banque centrale ne se transmet pas à l?économie réelle. Les taux des prêts bancaires aux entreprises restent très élevés et l?offre de ces prêts réduite. Goldman Sachs a tenté d?en trouver la preuve dans la jungle des statistiques de la BCE. L?étude de la banque américaine s?est concentrée sur les prêts accordés aux PME de moins d?un million d?euros sur 1 à 5 ans. Il en résulte que la division de la zone euro entre « c?ur » et « périphérie » demeure radicale : les taux consentis aux entreprises italiennes et espagnoles sont de 2,5 à 3 points plus élevés que ceux consentis à leurs concurrents français et allemands.

L?OMT, un échec ?

Pire, l?OMT, le programme de rachat illimité de la dette sur le marché secondaire, annoncé en septembre dernier par le président Mario Draghi n?a pas amélioré la situation. Officiellement, pourtant, ce programme avait pour ambition de réduire les écarts de taux souverains (« spreads ») pour pouvoir réduire les écarts de taux demandés aux entreprises au sein de la zone euro. Autrement dit, d?améliorer la transmission de la politique monétaire de la BCE à l?économie. La première partie du contrat été un succès : sans réduire les spreads à néant comme avant la crise, elle a apaisé les marchés. Et les observateurs s?en sont contentés et ont salué l?action de Mario Draghi. Mais, selon Goldman Sachs, la deuxième partie de la mission de l?OMT est un échec. « L?OMT a eu peu d?effets sur les divergences des taux d?emprunts aux entreprises non financières au sein de la zone euro », note l?étude.

Le n?ud de la croissance

Même si le risque souverain s?est apaisé, les pays de la périphérie, Irlande excepté, sont encore englués dans de profondes récessions et la perspective de voir la situation s?améliorer reste faible. Dans une économie où le PIB se contracte, les banques restent inquiètes. Le risque de mauvaises créances demeure en effet élevé. Elles préfèrent donc prendre un « coussin de sécurité » en faisant payer des taux élevé, estimant le risque au plus haut. Ironie de la situation : les politiques d?ajustement censées réduire les déséquilibres structurels au sein de la zone euro tend à les creuser encore. Car les entreprises allemandes disposant d?un accès plus facile et moins cher au crédit, il leur sera plus aisé d?investir. L?économie allemande aura donc plus de facilité à redémarrer que l?économie italienne, dont les entreprises doivent souvent renoncer à des crédits trop chers et trop rares. C?est donc à terme la différence de croissance entre les « deux zones euro » qui est en cause.

La nécessité pour la BCE de diversifier son action

Face à cela, la BCE semble impuissante. Tant que les pays périphériques sont en récession, la transmission de sa politique monétaire sera déséquilibrée. Une baisse des taux sera donc inefficace. Certes, on peut estimer que les banques de la périphérie, qui se refinancent beaucoup auprès de la BCE, en bénéficieraient et que ceci amènerait un allègement des conditions de crédits dans les pays du sud. Mais, on l?a vu, le problème est ailleurs : c?est celui de la croissance de ces pays. « Une telle solution constituerait une subvention de facto aux banques de la périphérie (?) et soutiendrait la reconstitution du capital bancaire à terme, mais elle serait peu efficace pour soutenir la croissance à court terme », souligne Goldman Sachs qui estime que « pour la BCE, il est préférable de promouvoir la réactivation et la réintégration des marchés de crédit de la périphérie. » La BCE va donc devoir abandonner son habitude de regarder la zone euro comme un tout pour prendre en compte la fragmentation causée par la crise. Par exemple, en soutenant des mesures de crédit ciblées dans certains pays. En décembre 2011, elle a commencé à évoluer dans ce sens en permettant aux banques centrales nationales d'accepter des collatéraux de prêts aux PME qui n'ont pas accès aux marchés. C'est un petite pas, mais c?est ainsi qu'elle évitera que la victoire de l?OMT ne devienne une victoire à la Pyrrhus. Car on a vu combien la crise entretient le rejet de l?euro dans les pays périphériques au niveau politique. L'ennui, c'est que Mario Draghi semble persuadé que ce problème est du ressort des politiques de chaque pays.

 

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