Les Inuits s'échauffent pour la planète

De mémoire d'Inuit, on n'avait jamais vu cela. Pour la première fois dans l'histoire contemporaine, il aurait été possible, le 21 août 2007, puis un an plus tard, le 25 août 2008, de faire le tour de l'Arctique en bateau, sans l'aide d'un brise-glace. Ces jours-là, le fameux passage du Nord-Ouest, recherché depuis le XVIIe siècle par les explorateurs, de même que celui du Nord-Est, étaient libres de glaces. S'il ravit ceux qui rêvent de raccourcir les routes commerciales ralliant l'Europe à l'Asie, cet événement sans précédent est pour le moins inquiétant, puisqu'il résulte du réchauffement climatique. Les Inuits assistent, impuissants, à cette évolution. « Ma génération est passée de l'igloo au micro-ondes, des chants traditionnels au MP3, remarque Peter Irniq, ancien commissaire adjoint au Nunavut. Nous avons toujours su nous adapter, poursuit-il. Mais notre mode de vie est totalement lié à l'environnement. » Autrement dit, au froid, à la neige, à la banquise. Or « on constate une accélération du phénomène de la fonte de la glace depuis 2004 », relève Pierre Taverniers, prévisionniste à Météo France. Déjà, l'équivalent de quatre fois la France a été perdu en banquise saisonnière. De surcroît, la glace est moins épaisse. « Des chasseurs expérimentés sont passés au travers », remarque encore Peter Irniq. Certains, du coup, ont délaissé les motos-neige pour revenir au traîneau à chiens, les animaux ayant plus d'instinct qu'un moteur? La situation n'est pas meilleure pour la banquise permanente?: elle occupait 8 millions de kilomètres carrés en 1979, 5,3 millions en 2005 et seulement 4 millions en 2007. Cette fonte massive a également entraîné une modification des courants de l'océan Arctique. Ils ont désormais tendance à expulser de plus en plus de glace en dehors de la région, ce qui contribue à sa dissolution plus rapide. Enfin, privée de la protection de la glace, qui réfléchit la lumière du soleil, l'eau de l'océan Arctique absorbe beaucoup plus de chaleur qu'auparavant (85 % contre 2 %?!), ce qui, d'une part, alimente la spirale infernale du réchauffement et, d'autre part, crée de grosses vagues qui, elles, accroissent l'érosion des côtes. Pour les Inuits, le tableau est sombre comme une nuit polaire? « L'Arctique est la région du globe qui s'est le plus réchauffée et cette tendance va se poursuivre?: on parle de 2 °C à 5 °C, voire de 7 °C à 9 °C pour le haut-Arctique, prévient Pierre Taverniers. Dans ces conditions, la disparition de la banquise permanente, prévue pour 2050, pourrait avoir lieu dès 2015. » Autre élément d'inquiétude pour les Inuits?: la disparition du pergélisol, encore appelé le permafrost, autrement dit, les sols en permanence gelés de l'Arctique, qui donne lieu à des glissements de terrain. « Certains chasseurs ne reconnaissent plus les lieux qu'ils avaient l'habitude de fréquenter, et des habitations ont été endommagées par des glissements de terrain », précise à cet égard Peter Irniq. impact sur les animauxLes Inuits notent également un changement dans le comportement des animaux, dû également aux effets du réchauffement. « D'habitude, la température moyenne en février est de ? 28 °C. Or, ces derniers temps, nous avons constaté des variations de plus en plus fortes. Ainsi, nous avons eu trois jours à 0 °C seulement en février dernier » explique ainsi Peter Irniq. Du coup, le manteau neigeux, qui protège l'herbe de la toundra fond plus tôt qu'il ne devrait, et quand il se reforme avec la baisse de la température, il abîme l'herbe en la gelant. Résultat, au printemps, les caribous n'ont plus rien à se mettre sous la dent. Même chose pour les ours, qui se rapprochent des endroits habités pour glaner de la nourriture ? n'hésitant pas, en cas de nécessité, à s'attaquer aux hommes. Enfin, certains animaux totalement inconnus des Inuits apparaissent. Des rouges-gorges, par exemple, mais aussi des sauterelles. De quoi échauffer les esprits qui s'inquiètent pour l'avenir?Certes, de nos jours, les jeunes Inuits ne se contentent plus de vivre du fruit de la chasse et de la pêche. La plupart ont un travail en ville. Mais ils manifestent clairement, selon les observateurs, leur volonté de préserver la culture ancestrale. C'est vrai pour la langue, les chants, mais aussi pour le style de vie. La création officielle du Nunavut, le 1er avril 1999, a largement favorisé cette vision. Des efforts sont faits par le gouvernement autonome pour préserver la langue et la culture Inuit dans la fonction publique locale. Certaines décisions officielles, fondées sur le consensus, prennent en compte les connaissances et la science traditionnelle des Inuits. Et enfin, des jeunes sont envoyés à Ottawa pour apprendre les sciences politiques et pouvoir, à l'avenir, mieux défendre leurs droits au niveau fédéral. « Mais nous voulons aussi faire profiter les scientifiques qui examinent les ravages du réchauffement climatique de nos observations et de nos connaissances sur l'état de la glace ou le comportement des animaux, poursuit Peter Irniq. Après tout, il n'y a aucun scientifique au monde qui ait autant d'expérience que nous en la matière?! » Toutes les bonnes volontés seront à l'évidence nécessaires. Les Inuits veulent bien s'adapter une fois de plus, en participant, comme ils le font déjà partiellement, au développement économique de leur région (pêche industrielle, exploitation minière, etc.) mais pas au prix du sacrifice de leur culture. Qui, de toute façon, signifierait alors le sacrifice de la planète tout entière? n« ma génération est passée de l'igloo au micro- ondes. »« la disparition de la banquise permanente, prévue en 205o, pourrait avoir lieu dès 2015. »
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