La course à la croissance, moteur du régime chinois

vingt ans après TiananmenC'était il y a quelques jours, 300 cultivateurs de thé ont attaqué un poste de police dans la ville de Yingde, dans le sud de la Chine, parce que l'un d'eux avait été tué en réclamant le paiement d'arriérés de prestations sociales. Dans un État policier comme la Chine, les révoltes des paysans sont risquées. Pourtant, elles se comptent par dizaines de milliers chaque année. « Des protestations localisées, ponctuelles, sans organisation politique », détaille Gilles Guiheux, sociologue de la Chine et ancien directeur du Centre français d'études sur la Chine contemporaine de Hong Kong. Il y a vingt ans, pour avoir osé esquisser une démarche revendicative plus organisée, les jeunes étudiants pacifiques de la place Tiananmen avaient vu leur mouvement en faveur de la démocratie réprimé dans le sang par un régime absolutiste. Les causes du soulèvement de la place Tiananmen étaient multiples, explique Cai Chongguo, dans son livre « J'étais à Tiananmen » : corruption, privilèges de la nomenklatura, inflation galopante, absence de réformes politiques, espoir déçu de liberté d'expression et de démocratie.Aujourd'hui, nul ne peut contester que les conditions de vie matérielle se sont améliorées. Pour retrouver un peu de crédibilité auprès du peuple chinois éc?uré, le Parti communiste a accéléré la libéralisation économique et cherché à doper la croissance coûte que coûte. En vingt ans, le PIB chinois a été multiplié par plus de 6 (après correction de l'inflation). Entre 350 et 500 millions de Chinois ont été sortis de l'extrême pauvreté. Et « Pékin comprend que sa survie et sa légitimité dépendent de sa capacité à reproduire cette grande expérience pour 500 millions d'autres dans les décennies à venir », analysait récemment le commentateur hong-kongais Alex Lo.Mais le régime dit « populaire » n'a rien cédé en matière politique. Il défend jalousement la règle d'airain du parti unique, le Parti communiste, et prive la population de droits fondamentaux comme celui d'élire ses dirigeants nationaux. Les droits humains sont violés sans que les Chinois soient toujours assurés d'obtenir gain de cause auprès d'une justice dépendante du pouvoir. Autant de sujets au centre de la « Charte 08 » pour la démocratie, initiée par des centaines d'intellectuels et de militants chinois l'an passé.corruption« La corruption est généralisée au niveau de l'administration, mais aussi de la population elle-même », se désole Zhou Qing, un ancien de Tiananmen qui a fait deux ans et demi de prison, aujourd'hui pourfendeur des produits frelatés fabriqués en Chine. « Détournement de recettes fiscales investies dans les paradis fiscaux, expropriations abusives, silence rémunéré des fonctionnaires sur la commercialisation de produits alimentaires douteux ou de jouets dangereux, cette corruption est multiforme », explique-t-il à « La Tribune ».Aujourd'hui, la crise économique mondiale est à terme un des meilleurs atouts pour améliorer le sort des laissés-pour-compte de la croissance, même si dans l'immédiat le chômage s'accroît. Les faiblesses criantes du système de protection sociale poussent les ménages à épargner et privent la Chine d'un marché intérieur au moment où la demande internationale ne peut plus absorber les exportations de produits bon marché issus de l'« usine du monde ». La part de la consommation dans l'économie (35 % du PIB) est l'une des plus faibles de la planète. Seules les classes moyennes émergentes des villes bénéficient d'une assurance sociale. « Depuis les années 1990, la Chine a changé de modèle, passant d'une société communiste rigide et peu inégalitaire à une économie de marché qui a profité à certains mais en a enfoncé d'autres », explique Gilles Guiheux. Pour lui, « la Chine est aujourd'hui travaillée par des intérêts contradictoires ». « De 1985 à 2004, les revenus des paysans ont augmenté de 4,2 % par an, mais ceux des urbains de 6,7 % », explique-t-il. Or « il n'existe pas d'espace non contrôlé par le Parti communiste pour que s'expriment ces tensions de façon régulée », explique-t-il. Pis, « les citadins ne sont pas prêts à céder leurs avantages acquis aux centaines de millions de miséreux » qui peuplent la Chine, conclut Gilles Guiheux.
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