« La France se trompe en croyant qu'il suffit

Vous venez de prendre la présidence de l'AACC. Quelle est la vocation de cette association ?C'est en premier lieu la représentation de tous les métiers de la communication qui se trouvent au croisement de l'économie, de la culture et de la société. On peut d'ailleurs se demander si le ministère de la Culture est le bon ministère de tutelle. Je fais partie de ces gens qui pensent que la valeur de ce métier est d'abord économique : en toute logique, notre ministère de tutelle devrait être aussi celui de l'Économie. Nous sommes cependant enchantés d'avoir un ministre de la Culture plus ouvert aux enjeux de la communication, Frédéric Mitterrand, que son prédécesseur, qui a pratiqué à l'égard de nos métiers la politique de la chaise vide.Que pensez-vous de la possible nomination de Frédéric Lefebvre au poste de secrétaire d'État à la Communication ?S'il y a des gens qui connaissent la communication et qui peuvent nous représenter dans les instances gouvernementales, c'est formidable. Un certain nombre de mesures sont parfois prises un peu vite, sans nécessairement avoir consacré du temps au préalable à la concertation. Je pense notamment à l'arrêt de la publicité sur les chaînes publiques, qui témoigne d'un manque d'anticipation absolu. On peut être d'accord pour dire qu'un service public de télévision ne fonctionne pas comme une chaîne privée, et ne subisse pas le diktat de l'Audimat. Mais je ne vois pas en quoi il est logique de supprimer toute forme de publicité pour garantir une meilleure qualité de programme. Cette mesure va très vite montrer sa limite. À l'avenir nous regarderons des écrans géants où les émissions de télévision côtoieront la publicité sur Internet. Croire qu'aujourd'hui on peut faire vivre la fréquentation d'une chaîne publique en dehors de la logique télévisuelle et, du coup, priver ces chaînes des ressources publicitaires relève du leurre.Le gouvernement socialiste espagnol a pris la même décision que Nicolas Sarkozy?En voulant trop contenter l'opinion, on commet souvent des erreurs.Quelle alternative préconisez-vous ?Dès janvier 2008, nous avons dit que ce serait une hérésie de bannir sur les chaînes de service public ce que nous appelons la communication citoyenne : campagnes contre le tabagisme passif, l'alcool au volant ou publicité pour les associations caritatives. Cette demande a été prise en compte. Il faut aller plus loin en autorisant la diffusion des campagnes citoyennes conçues par les entreprises privées, à condition que la dimension collective du message l'emporte sur la dimension commerciale.Les publicitaires critiquent souvent la façon dont le législateur corsète le discours publicitaire des marques. Comment comptez-vous enrayer cette tendance ?C'est le point le plus important de notre programme. La France se trompe de chemin en croyant qu'il suffit d'encadrer la publicité pour régler les problèmes de société, le plus souvent par des mentions légales illisibles et indigestes. On en arrive à des aberrations totales, comme lorsque notre autorité d'autorégulation [l'ARPP] nous demande de ralentir une voiture dans une publicité télé, qui se trouve diffusée juste avant le film « Taxi », qui ne fait lui l'objet d'aucune régulation? Aujourd'hui, un certain nombre de grandes entreprises mondiales considèrent que le marché français n'est plus pertinent car légalement trop contraignant. De plus, l'apposition concomitante de deux messages antagonistes se révèle inefficace. Par exemple, sur la question de l'obésité, les messages du type « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop sal頻 ou « Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière », inscrits à la fin du spot publicitaire, perturbent la perception du message sans inciter efficacement les téléspectateurs à changer leurs habitudes. Mieux vaut faire une campagne spécifique à côté en donnant de bonnes raisons de bouger ou de bien se nourrir. Nous suggérons donc de rouvrir massivement les écrans de France Télévisions avec, pour ce type de messages, des espaces gratuits. D'une façon générale, nous préconisons d'assouplir les règles et, en contrepartie, nous nous engageons à faire preuve de toute la responsabilité nécessaire.Avec la crise, les relations entre les annonceurs et les agences se sont-elles tendues ?Le risque de la montée en puissance d'Internet, surtout en période de crise, c'est de donner une prime à la valeur immédiate au détriment de la valeur de marque durable. Nous devons donc faire prendre conscience que, à chaque fois qu'on communique, il y a un effet à moyen long terme qui se mesure. La revalorisation de notre métier sera la priorité absolue de ce mandat de deux ans qui m'a été confié. Laurent Habib [le président d'Euro RSCG C&O] va piloter le pôle baptisé valeur. Son objectif : travailler sur la création de valeur immatérielle et sur la mesure de cette valeur. Les agences qui évaluent les marques doivent se mettre autour de la table pour établir des normes communes. C'est ce qui permettra demain aux entreprises d'inscrire la valeur de leurs marques dans leur bilan. Aujourd'hui, cela n'est le cas que si elles ont fait l'objet d'une cession. Ce débat sur la valeur est d'autant plus important pour nous qu'il a des conséquences sur la rémunération. Nous souhaitons être récompensés sur le talent et non sur la sueur.Mais comment calculer la valeur d'une idée ?La part variable d'une rémunération peut dépendre de l'évolution des ventes, des parts de marché, de la notoriété, etc. Il faut également que les idées qui continuent à être exploitées par un annonceur qui a changé d'agence puissent générer des droits d'auteur. Je compte donc très vite proposer un principe simple à mettre en place : les agences qui continuent d'utiliser les publicités réalisées par leurs prédécesseurs leur paieront un droit d'utilisation lié à la rémunération que l'annonceur leur donne pour la création.Le métier de publicitaire est souvent mal perçu. Comment éviter que la publiphobie ne prospère ?Je voudrais tordre le cou à cette bizarrerie qui consiste à croire qu'on ne peut pas être publiphobe et publiphile en même temps. Il m'arrive régulièrement d'éteindre ma radio dans ma voiture ou de changer de chaîne quand un spot publicitaire est mauvais. Comme le dit fort justement mon ancien associé Olivier Altmann, « la publicité n'a rien de mauvais du moment qu'elle est bonne ». Voilà pourquoi je trouve stupide d'essayer de mesurer la progression de la publiphobie ou de la publiphilie.La presse écrite est sévèrement touchée par la chute des investissements publicitaires. Les annonceurs devraient-ils être sensibilisés au risque de disparition de titres ?Un certain nombre d'annonceurs sont d'ores et déjà sensibilisés. Par exemple, Guillaume Pepy, le président de la SNCF, vient d'affirmer qu'il était de la responsabilité des grandes entreprises de défendre la pluralité de la presse. Il a raison. Les publicitaires sont aussi conscients de cet enjeu. Maurice Lévy, le patron de Publicis, l'a réaffirmé lors des états généraux de la presse. Mais je crains que la presse ne s'en sorte pas sans réforme profonde. Le risque que le nombre de lecteurs se dégrade encore est réel. C'est d'abord un problème démocratique, mais aussi pour la médiatisation de la vie économique, nécessaire à son bon fonctionnement. C'est important, en particulier en période de crise, de soutenir certains médias qui en ont besoin.Redoutez-vous que la crise fasse des morts dans vos rangs ?Pour l'instant, nous avons le sentiment que les restructurations se font progressivement. Il n'y a pas eu de grosses catastrophes, mais cela peut arriver. Nous réfléchissons donc à la création d'une antenne emploi pour favoriser le reclassement des gens issus des agences.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.