Des dirigeants non opérationnels

Que les PDG de groupes mondiaux, qui supportent toute la charge de la gestion au quotidien de milliers d'employés sur tous les continents et le stress intense des objectifs à atteindre chaque trimestre, soient généreusement rémunérés, à la hauteur d'une responsabilité que peu de personnes supporteraient, cela peut se défendre. Le « salaire » des présidents non exécutifs - ces dirigeants qui ne conduisent pas directement l'entreprise - n'a pour l'instant guère été abordé dans le grand déballage en cours. La question commence à agiter la petite communauté des dirigeants. Président non exécutif et directeur général, « la distinction est inscrite dans la loi de sécurité financière d'août 2003, explique Marc Lamy, président du cabinet de recrutement Boyden France. Alors que le DG doit proposer une stratégie et la mettre en ?uvre, le président doit animer les débats au sein du conseil et contrôler l'exécution de la stratégie pour le compte des actionnaires. Il ne doit pas être impliqué dans la gestion de l'entreprise. » « L'intérêt d'une gouvernance duale est de séparer les rôles de contrôleur et de contrôlé, précise Edoardo di Martino, associé au cabinet Essere Associés. Ainsi, le contrôleur ne doit être en aucun cas intéressé au niveau du résultat annoncé, mais seulement à sa qualité intrinsèque dans l'intérêt des actionnaires. »C'est bien au nom de cette mission particulière que les Britanniques n'octroient que des rémunérations fixes à leurs présidents non exécutifs, les chairmen. Et, de surcroît, des rémunérations qui ne sont qu'une fraction de celles de leur PDG (CEO). Chez Vodafone, par exemple, le président non exécutif sir John Bond a reçu 560.000 livres en 2008, quand le CEO Arun Sarin a perçu un package de 3,4 millions de livres, plus les actions attribuées en 2004 et 2005. Et Vodafone précise dans son rapport annuel que « les administrateurs non exécutifs ne bénéficient d'aucun plan de rémunération incitatif ».Code de bonne conduiteRien de tel en France ! À l'exception de quelques cas notables, comme Louis Schweitzer chez Renault et Philippe Camus chez Alcatel, l'analyse des rapports annuels des entreprises du CAC 40 révèle que celles qui ont dissocié les fonctions n'en ont pas tiré toutes les conséquences. D'ailleurs, le dernier code de bonne conduite de l'Afep et du Medef d'octobre 2008 n'identifie même pas la question de la rémunération des présidents non exécutifs, comme si elle relevait de la même logique que celle des dirigeants exécutifs. Que disent ces rapports ? Que nombre de présidents perçoivent des packages cumulant une part fixe, une part variable, des jetons de présence, parfois des avantages en nature, et même des stock-options et des actions gratuites (voir tableau ci-contre). Ce qui leur permet de recevoir des montants sans commune mesure avec ceux perçus par les « chairmen » anglais, allemands ou américains. Sans évoquer les stock-options dont la valeur actuelle est souvent nulle, ni même les retraites chapeaux, les packages sont sérieux. Pour 2008, 1 million pour Jean-René Fourtou chez Vivendi ou pour Jean-Louis Beffa chez Saint-Gobain ; 1,5 pour Serge Kampf chez Capgemini ; 1,6 pour Yves Thibault de Silguy (Vinci) ; 2,1 millions pour Thierry Desmarest (Total) ; 2,3 millions pour Jean-François Dehecq (Sanofi); 2,4 millions pour Patrick Ricard et même 3 millions pour Lindsay Owen Jones (L'Oréalcute;al).Et encore l'année 2008 a-t-elle été marquée par les effets de la crise qui a raboté bien des bonus et des plans de stock-options. C'est pourquoi dans les banques, il faut remonter à 2007 pour prendre la mesure du traitement de leur président : Michel Pébereau (BNP Paribas) a perçu cette année-là 1,6 million. En 2009, il ne percevra pas de stock-options au titre de 2008. Comment expliquer ces niveaux de rémunérations ? « Elles devraient être strictement liées au nombre de jours de travail, à raison de 5.000 euros par jour, explique Pierre Mogenet, associé chez Egon Zenhder. Selon le temps qu'ils passent à la préparation du conseil, entre un et trois jours par conseil, leur charge de travail varie entre 4 et 25 jours par an. En clair, tout président dont le rôle est d'animer le conseil ne devrait pas être payé plus de 200.000 euros par an. »« Sauf, précise-t-il, si le conseil lui a explicitement confié des missions particulières, comme d'accompagner le nouveau directeur général dans sa prise de fonctions.» Encore faut-il que le règlement intérieur du conseil ait bien précisé ses missions, comme par exemple d'être le super-ambassadeur de l'entreprise vis-à-vis des pouvoirs publics ou de grands investisseurs. Mais il ne doit en aucun cas intervenir, à sa guise, sur tout et le reste, et empiéter sur les fonctions du directeur général. En clair, son « tutorat » ne saurait durer plus qu'un an. « En régime de croisière, le président doit s'en tenir à l'animation du conseil, rappelle Edoardo di Martino. Tout autre rôle ne peut que l'impliquer de facto dans l'exécutif, ce qui est contraire à l'intérêt de l'entreprise. »Quoi qu'il en soit, ces missions méritent-elles que leur rémunération totale voisine, voire parfois dépasse, celle des dirigeants exécutifs, comme chez Saint-Gobain, Sanofi du temps de Le Für, et Pernod-Ricard ? Et qu'est-ce qui peut expliquer le rapport de 1 à 13 entre la rémunération d'un Louis Schweitzer et celle de Lindsay Owen-Jones ? À l'évidence, ces rémunérations hors normes reflètent le vrai visage du pouvoir de ces présidents. À l'exception d'Yves Thibault de Silguy, ils sont pour la plupart les anciens PDG des groupes qu'ils ont bâtis et à la tête desquels ils entendent rester. « Ces situations engendrent une confusion des rôles et des conflits de compétences qui empêchent le DG de prendre la pleine mesure de ses responsabilités », regrette Edoardo di Martino.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.