Plan Paulson : de Charybde en Scylla

La mise en oeuvre du plan Paulson doté de 700 milliards de dollars suffira-t-elle à enrayer la crise financière ? Pas sûr. Car les problèmes ne manquent pas.Le premier est le suivant : racheter des actifs douteux à une banque, n'est-ce pas la désigner publiquement comme pestiférée et accélérer sa chute sous prétexte de l'aider ? Un exemple tiré de la grande crise des années 1930 en dit long à cet égard. La Reconstruction Finance Corporation (RFC) avait été créée en janvier 1932 pour fournir des fonds aux banques en difficulté. Au nom du contrôle de l'utilisation des fonds publics, le Congrès avait adopté en juillet 1932 un amendement contraignant la RFC à lui communiquer la liste des organismes à qui des prêts avaient été consentis. Cette liste a été rendue publique à partir d'août 1932, fragilisant immédiatement les banques dont le nom y figurait et multipliant les ruées de déposants.Le deuxième problème est celui de la surface couverte : quels sont les titres concernés par un rachat éventuel ? Il s'agirait, nous dit-on, de créances hypothécaires et, plus précisément, de subprimes. Pourra-t-on s'en tenir là ? Avec l'apparition de la récession, les défauts de paiement commencent à se multiplier dans les catégories d'emprunts hypothécaires mieux classées que le subprime, mais qui le suivent immédiatement : Alt-A, prime, etc. Ajoutons que les banques pourraient profiter de l'occasion pour se débarrasser de tous les titres hypothécaires qui ne leur paraissent pas suffisamment rentables.Prix de marché introuvable.Le troisième problème est celui de la valeur : les créances subprimes sont devenues invendables, il n'y a plus de marché donc plus de prix de marché. Si le prix d'achat fixé par le Trésor est trop élevé, on aggrave à due concurrence le déficit public ; s'il est trop bas, on ne fait que confirmer les pertes des banques (ce à quoi devrait pousser le système d'" enchères inversées " auquel il est parfois fait allusion).Les difficultés d'application surmontées, reste le problème essentiel : l'explosion du déficit public. Il est déjà clair que la mise de fonds minimale sera plus près de 1.000 milliards de dollars que de 700 milliards. À supposer même que l'on s'en tienne à ces 700 milliards, il faut rajouter les 150 milliards de dollars fournis par la Chambre des représentants, les 200 milliards qui avaient déjà été prévus pour couvrir une partie des dettes de Fannie et Freddie (les deux organismes géants de refinancement hypothécaire), et les 140 milliards placés dans le public pour recapitaliser la Fed. Soit un total de 1.190 milliards de dollars.Des montants à donner le vertige.Manifestement, du côté du gouvernement, on espère que l'effet d'annonce suffira, qu'on ne sera pas contraint de mettre la main à la poche. C'est peut-être vrai, mais alors la crise financière restera en l'état. Si la dépense est effective, elle sera étalée dans le temps, c'est vrai, mais les sommes en jeu demeureront, malgré cela, faramineuses. Pour donner un ordre de grandeur, rappelons que le déficit courant du budget fédéral s'élevait à 229 milliards de dollars en 2007 : rajouter 1.190 milliards de dollars le ferait plus que sextupler ! Le déficit ainsi porté à 1.419 milliards aurait représenté plus de 10 % du PIB de 2007 ! De tels montants donnent le vertige, et on ne voit pas comment un tel plan pourra s'appliquer sans remettre en question la confiance faite à l'emprunteur gouvernemental américain. Quant aux sommes que pourrait rapporter, d'ici quelques années, la revente des actifs achetés par le Trésor, elles ne sont rien d'autre, dans l'immédiat, que des plans sur la comète.Un bateau sans gouvernail.Pour autant, en aurait-on fini avec le surendettement, à l'origine de toute la crise ? Nullement. Avec le plan qui nous est présenté, les dettes ne sont ni payées ni annulées, seulement transférées : la dette des ménages qui font défaut est transmise aux banques, ces dernières la refilent au Trésor public, lequel, à son tour, se défausse sur le reste du monde, prié d'acheter le flot grandissant des bons du Trésor américain.Pourra-t-on au moins éviter une récession américaine ? Rien n'est moins sûr : la dégradation de l'activité a commencé depuis plusieurs mois, la restriction du crédit pratiquée par des banques effrayées ne disparaîtra pas de sitôt, et le coup porté à la confiance a été terrible. D'ailleurs, dans la mesure où il exige (via la fiscalité) une ponction sur le revenu des ménages, le plan de sauvetage lui-même aura un effet récessif.En attendant, les deux leviers que sont les politiques monétaire et budgétaire semblent hors d'usage. La politique monétaire flotte dans le vide, les baisses successives de taux de la Fed sont demeurées jusqu'à présent sans effet. La politique budgétaire est paralysée par les charges écrasantes qu'on rajoute pour tenter de faire face à la crise financière, et on ne voit pas d'où tirer les ressources pour un éventuel nouveau plan de relance. L'économie américaine ressemble de plus en plus à un bateau sans gouvernail.(* ) Économiste, membre du conseil scientifique d'Attac.
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