Pêcher plus vert pour pêcher moins cher

Il est 14 heures lorsque le « Louis-Gaëtane II » rentre au port de Sète. Son patron, Pierre d'Acunto, marin pêcheur de père en fils, a le sourire. Il ramène plus de 700 kg de poisson?! Mais aujourd'hui c'est son quatrième jour de mer et les cuves de gazole sont vides. À la pompe, le président de la coopérative Sa. Tho.An (Hérault) ne regarde même plus le compteur défiler. Il sait que 50 centimes le litre, la facture va être douloureuse? Ce sera 2.740 euros. « Avant, nous partions à la pêche moteur au taquet, désormais on conduit tranquillement », explique le patron pêcheur qui se surnomme lui-même « le Maire du quartier ». Pour chaque bateau devant lequel il s'arrête, il évoque la même histoire?: « Il y a trois ans le gazole était au même prix. Vous voyez ce chalutier, son patron a dû vendre son appartement pour s'en sortir. Moi j'ai dû piocher dans mes réserves pour ma retraite. » En juin, alors que le prix du baril avait atteint son niveau record, 80 centimes le litre, les marins pêcheurs méditerranéens en grève le désignent porte-parole. Pierre D'Acunto monte à Bruxelles pour négocier un gazole à 40 centimes le litre. En vain. La Commission européenne reste inflexible sur les aides directes par les États.survieLa survie de cette coopérative sétoise, comme celle des 157 autres entreprises de même statut que compte la France, passe sans doute par d'autres solutions. Aujourd'hui il faut 2 litres de gazole en moyenne pour pêcher un kilo de poisson et le carburant représente le tiers du chiffre d'affaires de ces bateaux, contre 15 % il y a deux ans. Or, pour diminuer la consommation des chalutiers, il ne suffit pas de réduire leur vitesse. La plus grande coopérative de France, celle d'Étaples-Boulogne (Nord) avec ses 70 bateaux et ses 700 sociétaires, mise ainsi sur un projet innovant qu'elle a baptisé « Écopêche ». Ses navires seront équipés d'un système qui analyse la consommation de carburant en temps réel. Si le bateau est dans le courant et se met à dériver, le marin en sera informé et pourra « redresser le cap ». La coopérative travaille aussi sur l'aérodynamisme du chalut en testant de nouveaux matériaux et en modifiant la forme du filet. Selon l'Ifremer, qui collabore à ce projet, « avec toutes ces transformations, on peut économiser entre 3 % et 17 % de carburant ».D'autres groupements ont choisi des options radicalement différentes. Michel Daviau, le président de la Coopérative Vendéenne, se dit par exemple « convaincu que le chalutier n'a plus d'avenir ». L'entreprise songe donc à adapter sa flotte pour passer à une technique scandinave?: la senne danoise. Utilisée depuis un siècle et demi, mais encore expérimentale en France, cette technique de pêche permettrait d'économiser « jusqu'à 50 % de gazole pour des captures de poissons identiques et d'une qualité encore supérieure », assure Daniel Légé, président de la commission avitaillement de la Coopération Maritime. Alors qu'un chalutier brûle beaucoup de carburant pour tracter un filet d'une quarantaine de mètres, sur des kilomètres, la senne danoise utilise la force des mouvements marins et non celle du moteur. Un filet d'un demi-kilomètre remue le sable puis encercle les poissons qui, effrayés, se concentrent au centre, là où l'eau n'est pas troublée. Une technique redoutable.En dépit de leurs atouts, les sennes danoises ne convainquent pas tout le monde. Certains marins pêcheurs redoutent leurs conséquences sociales. Quatorze « senneurs » hollandais pêchent depuis des années au large de la Manche et la Coopérative Étaploise se plaint de cette concurrence jugée déloyale. Les pêcheurs boulonnais les accusent de détruire les frayères en balayant des surfaces plus importantes que les engins classiques et surtout? d'être beaucoup trop performants?: « Dix senneurs peuvent remplacer soixante-dix chalutiers, derrière c'est la mort des ports et des familles?! » s'insurge Vincent Touloumon, le directeur général de la coopérative.projets pilotesLes pouvoirs publics souhaitent, eux, que la profession se montre ouverte aux innovations. Selon Michel Barnier, le ministre de l'Agriculture et de la Pêche, « pêcheurs et scientifiques doivent collaborer pour trouver des solutions ». Son « Plan pour une pêche durable et responsable » prévoit de distribuer 12 millions d'euros à des projets pilotes. Cinq d'entre eux ont déjà été validés. La Coopérative Vendéenne souhaite par exemple construire un navire nouvelle génération à propulsion Diesel-électrique. Une belle utopie aux yeux du président de la Coopération Maritime, Philippe Mérabet, qui estime le secteur de la pêche trop restreint pour inciter des industriels à miser sur le développement de nouveaux moteurs. Certes des expérimentations existent, comme le moteur à hydrogène, mais, selon lui, « il faudra peut-être plusieurs dizaines d'années pour voir les bateaux équipés de ces nouvelles formes de propulsion ».
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