« Bush et Obama ont évité la dépression »

Cette crise est souvent comparée à celle des années 1930 et Barack Obama à Franklin Roosevelt. Quelles sont les similitudes et les distinctions?? Il est clair que le président Obama prend pour modèle Franklin Roosevelt, ce qui dans ce contexte économique se comprend aisément. Comme Obama, Roosevelt s'était entouré d'une équipe de jeunes gens très enthousiastes. Ceci étant dit, il existe de grandes différences entre la situation et les remèdes des deux époques. Le chômage a culminé alors à 25 % et les problèmes sociaux étaient d'une plus grande sévérité. Le président Obama a mené une politique très interventionniste au cours des derniers mois, mais dans des proportions moindres que celle de Roosevelt entre 1932 et 1936. Pour stimuler la création d'emplois, ce dernier avait créé les structures du New Deal telles l'Agence de l'avancement des travaux (WPA) et considérablement augmenté les moyens des entités héritées de Herbert Hoover, comme l'Agence de financement de la reconstruction (RFC). Les réformes en cours peuvent-elles atténuer les disparités que le chômage risque d'exacerber??Comme le prouvent ses réformes, le président Obama est très conscient des questions d'inégalité. Tôt ou tard, il proposera d'augmenter les impôts des ménages les plus fortunés. Comme nous sommes allés très loin dans la direction inverse, je pense que ce sera justifié. Contrairement à la situation du début des années 1930, la plupart des personnes qui perdent leur emploi perçoivent aujourd'hui des allocations chômage, de santé et une retraite. Certes, si la conjoncture continue à se dégrader, des problèmes sociaux considérables sont à craindre. Je crois néanmoins que nous disposons des ressources nécessaires pour empêcher qu'une crise sociale explose. La situation actuelle est difficile, mais pas tendue au point que les gens descendent dans la rue pour protester comme pendant la Grande Dépression. Les derniers grands phénomènes de révolte urbaine dans ce pays n'ont pas été suscités par des problèmes économiques touchant l'ensemble du pays, mais spécifiques aux inégalités raciales. Un renouveau industriel est-il envisageable aux États-Unis??Le tissu industriel américain peut certainement être revitalisé mais j'ignore dans quelles proportions. Le gouvernement dépensera beaucoup d'argent pour faire la liaison entre les énergies fossiles et les énergies alternatives?: solaire, éolien, nucléaire, etc. Il ne faut toutefois pas oublier que d'ambitieux programmes visant à développer de nouvelles sources d'énergie, comme les schistes bitumineux (« oil shale »), ont déjà été lancés par Gerald Ford puis Jimmy Carter, sans succès. Je doute hélas que le secteur manufacturier puisse connaître une renaissance sans recours au protectionnisme. Si d'ici trois à quatre ans, la situation de l'industrie continue à se dégrader, la Maison-Blanche aura peut-être du mal à résister aux demandes protectionnistes des syndicats. Les populations occidentales ont longtemps cru que leurs descendants seraient mieux lotis. Doivent-elles renoncer à cet optimisme??Non. Américains et Français doivent se rendre compte que la situation économique devient plus complexe et impérativement pousser leurs enfants vers l'éducation supérieure, les langues, les formations techniques, etc., ce qui n'était pas nécessaire autrefois. Pour se convaincre que l'ascenseur social fonctionne bel et bien aux États-Unis, il suffit d'observer le parcours de Sonia Sotomayor, la juge en passe d'intégrer la Cour suprême, ou tout simplement l'hôte de la Maison-Blanche. Leur chemin n'a pas été facile, mais il n'est facile nulle part. Ils incarnent des exemples concrets et une tendance de fond qui ne disparaîtra pas. Êtes-vous satisfait du plan de relance américain?? En quoi diffère-t-il des programmes de Roosevelt pour combattre la Grande Dépression??Obama partage avec Roosevelt le souci de moderniser et de redresser l'Amérique. Mais le plan adopté en février aurait dû être plus volumineux et calibré pour créer plus d'emplois, grâce aux infrastructures. Roosevelt avait pour avantage, si c'en est un, d'avoir hérité d'un pays en très mauvaise situation. Il pouvait donc procéder aux investissements qu'il jugeait impératifs en employant l'Agence de financement de la reconstruction (RFC), financée par le Trésor, qui chapeautait les projets fédéraux. Jusqu'à présent, l'administration Obama a beaucoup parlé de projets d'infrastructures sans vraiment les pousser. Il faudra encore attendre quelques mois avant que les autorités créent enfin une banque des infrastructures permettant au plan de relance d'être plus efficace pour la croissance, en facilitant notamment la gestion de grands projets régionaux. Je prêche cette religion car les infrastructures des États-Unis sont si vétustes qu'il faudrait au moins 2.000 milliards de dollars pour les réhabiliter, avant même d'évoquer l'achat de trains à grande vitesse?! Comme Roosevelt, Obama n'hésite pas à creuser le déficit budgétaire pour soutenir la relance. Cette stratégie menacera-t-elle à terme la croissance??Toute action menée pour faire face à une crise aussi brutale entraîne des risques extraordinaires. On peut toujours critiquer la façon dont ont réagi les administrations Bush et Obama pour endiguer la crise. L'essentiel des fonds engagés a pourtant servi à soutenir le secteur financier, ce qui a probablement empêché une panique mondiale. Dans ce type de situation, les interventions sont faites dans l'urgence et quelques erreurs sont commises. Soyons clairs?: ces administrations ont évité un retour de la dépression, envisageable à l'automne dernier. C'est un crédit que je prête à ces équipes qui ont travaillé main dans la main après l'élection présidentielle, pendant la période de transition.Votre pays a-t-il tiré les leçons de la crise financière?? Il est trop tôt pour le dire. D'ici à la fin de l'année, nous verrons plus clairement la direction dans laquelle se dirigent les États-Unis en matière de réglementation. Le bras de fer entre l'administration et l'industrie financière promet d'être musclé. Je crois que Wall Street n'a que partiellement reçu le message du cataclysme qui s'est produit. Il s'agit d'une industrie devenue si concurrentielle et automatisée que les questions éthiques et morales y sont désormais secondaires, notamment lorsque sont élaborés de nouveaux produits. Le Glass Steagall Act [rendant incompatibles les métiers de la banque de détail et d'affaires, Ndlr] constitue à mon sens la loi financière la plus importante adoptée pendant la Grande Dépression. Elle n'aurait jamais dû être abrogée et je crois qu'elle sera un jour réexaminée. En 1929, le fossé entre capitalistes et non-capitalistes, entre républicains et démocrates, était beaucoup plus important qu'aujourd'hui. Les réformes imposées à l'industrie financière par Roosevelt ont donc été jugées révolutionnaires. Même si Wall Street se battait pour préserver le plus de flexibilité possible, les réformes de l'administration Obama seront plus facilement acceptées. Car tout le monde s'accorde sur le fait que nous dépendons tous du système financier. Et de nos jours, même des démocrates travaillent dans la finance?! n « Le président Obama est très conscient des questions d'inégalité. Tôt ou tard, il proposera d'augmenter les impôts des ménages les plus fortunés. »
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