Le manuscrit trouvé à Sarajevo

Les manuscrits enluminés du Moyen Âge fascinent par la précision du trait, la profusion des couleurs et la vie palpitante qu'ils révèlent, enfermés sous de lourdes reliures. Ils portent le témoignage d'un art magnifique mais fragile, qui a pourtant traversé les siècles au même titre que les cathédrales de pierre. Comment imaginer alors qu'un livre de prières en hébreu, ballotté entre l'Espagne, l'Italie et la Bosnie, loin de l'abri des bibliothèques, ait survécu à cinq siècles d'histoire tumultueuse?? Cet ouvrage au destin exceptionnel existe bien. C'est la Haggada de Sarajevo ? le récit de la sortie d'Égypte lu pour la fête de Pessah ? un volume orné de magnifiques enluminures à rebours de la tradition juive bannissant toute iconographie? C'est cette histoire fascinante qu'a découverte Geraldine Brooks, correspondante de guerre pour le « Wall Street Journal », dans les ruines fumantes de la bibliothèque municipale de Sarajevo. Les bombes serbes avaient, semble-t-il, détruit ce manuscrit exceptionnel. Pourtant, après la guerre en 1996, on apprit que le livre avait été sauvé des flammes par un bibliothécaire musulman.chaîne humanisteAujourd'hui, Geraldine Brooks a remisé ses habits de grand reporter pour se lancer dans une carrière de romancière. Lauréate du prix Pulitzer en 2006 pour « March », elle publie en français son troisième roman, « Le Livre d'Hanna », l'étonnante saga d'un petit livre qui a traversé les siècles, échappé au contrôle des rabbins, aux bûchers de l'Inquisition, à l'avidité des nazis et aux bombes serbes? Rien que ça?! Ainsi, même lorsque des forces de haine se sont élevées dans nos sociétés et ont détruit l'esprit d'ouverture culturelle et religieuse, il y a toujours eu des individus pour protéger ce fragile ouvrage. Une chaîne humaniste qui nous a légué ce témoignage du passé.La romancière a bâti son intrigue en alternant l'enquête scientifique d'Hanna, une chercheuse australienne spécialisée dans la conservation des manuscrits anciens, et les épisodes de la vie de la Haggada depuis cinq siècles. Geraldine Brooks décrit le travail passionnant d'analyse scientifique qui permet à la jeune femme, grâce à des indices infimes (une aile d'insecte, une entaille dans la reliure ou des résidus de sel sur une page), de suivre le cheminement de cet ouvrage. Au fil des trouvailles d'Hanna, le lecteur s'enfonce dans les strates de l'histoire européenne à la découverte des personnes qui ont possédé ce livre hors du commun. Qu'ils soient juifs, chrétiens ou musulmans, tous ont été saisis par la grâce de ces enluminures. un pont de toléranceDe Sarajevo, l'histoire se déplace à Vienne, à Venise, à Tarragone et enfin à Séville, dans cette Andalousie d'avant la Reconquista, où les communautés religieuses vivaient encore en bonne entente. Un peu comme à Sarajevo avant le déchaînement de la haine nationaliste? Ce livre jette un pont entre ces deux périodes clés de l'histoire européenne, marquées par la tolérance et la diversité. Laurent PEricone« Le livre d'Hanna », de Geraldine Brooks. Traduit de l'américain par Anne Rabinovitch ? Éditions Belfond, 420 pages, 22 euros.
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