Patrick Bernasconi : " Nos infrastructures ont vieilli et risquent des ruptures de service "

Vous pointez les carences des infrastructures en France. Leur état est-il réellement inquiétant ?Notre situation n'est pas identique à celle des Britanniques avec leurs réseaux ferroviaires, ni à celle des Américains avec les ponts, mais nous pourrions connaître des difficultés. Les infrastructures françaises ont été construites à 80 % après la guerre. Elles ont vieilli au point que l'on risque de connaître des ruptures de service. Le rapport Rivier a révélé dès 2004 l'ampleur des besoins en matière de rénovation ferroviaire. Là où les agences de l'eau ou les départements ont dressé un diagnostic des réseaux d'eau, le tiers d'entre eux est à revoir. Certains ouvrages d'art, routes ou ponts, risquent de poser des problèmes d'entretien ou de sécurité à courte échéance. Il n'est pas anodin que la vitesse sur l'autoroute A25 (Lille-Dunkerque) ait été ramenée de 130 à 110 km/h.Connaît-on avec précision les besoins ?Il nous manque un outil prospectif qui permette d'avoir une véritable connaissance des infrastructures et de leur état. Aujourd'hui, on ne fait plus que la compilation de prospectives régionales, on vit sur des études qui remontent au Comité interministériel à l'aménagement du territoire (Ciadt) de 2003. Et on a du mal à recueillir et à consolider des données fiables sur l'état des réseaux. En parallèle, il faut retrouver une vision prospective pour déterminer quelles sont les infrastructures fondamentales pour le développement denotre pays. La France a une doublecaractéristique : sa densité est faible et le tissu industriel est éloigné des ports, ce qui explique pourquoi la problématique du transport de fret a une telle acuité. Doit-on pour autant maintenir un réseau ferroviaire qui date du XIXe siècle ? Faire de Marseille et du Havre de vrais ports européens a du sens, mais encore faut-il que les infrastructures de desserte de ces ports suivent. Enfin, si l'on veut mener à bien le projet d'autoroute ferroviaire entre le Luxembourg et Perpignan et faire passer un train de fret tous les quarts d'heure dans chaque sens, il faut penser les plates-formes logistiques et les contournements de ville en conséquence.Mais l'État n'a pas suffisamment de moyens...Nous ne pourrons mobiliser des fonds que si nous avons des projets clairement définis. Les Espagnols ont décidé d'investir 24 milliards d'euros par an dans leurs infrastructures jusqu'en 2020 alors que le budget français ne dépasse pas les 3 milliards par an. Le Grenelle de l'environnement a certes décidé de faire passer le nombre de lignes à grande vitesse de 2.000 km aujourd'hui à 4.000 km en 2020. Mais sur la même période, les Espagnols vont passer de 1.000 à 10.000 km ! Ils ont su mieux mobiliser les fonds structurels européens parce qu'ils ont su démontrer leur volonté d'avancer et défini des projets structurants en la matière.Que préconisez-vous ?Nous plaidons pour l'adoption, comme en Allemagne, d'un plan de développement des infrastructures de transport, entériné par le Parlement, et assorti d'une " loi d'accélération " de manière à pouvoir engager des projets rapidement. Il faut bien souvent dix à quinze ans entre le feu vert donné à un projet et sa réalisation. Or, le monde bouge tellement vite et les enjeux industriels sont tellement lourds qu'il faut presser le pas. L'Agence de financement des infrastructures de transport (Afift) pourrait avoir un rôle stratégique pour identifier les grands projets structurants pour notre pays.À combien estimez-vous les besoins de financements pour développer ces projets ?Pour mener à bien les objectifs du Grenelle, l'Afitf aura besoin de 3 milliards d'euros par an. Même en cumulant les recettes des péages virtuels qui seront mis en place pour les poids lourds, celles des redevances domaniales ou des radars, il manque encore 1,6 milliard. Il faut trouver d'autres sources financières, auprès de la Caisse des dépôts, de Dexia, ou d'autres banques. En effet, il s'agitde projets de long terme qui nedevraient pas être affectés par la crise financière actuelle.L'appel au privé via les partenariats public-privé est-il une solution ?En Grande-Bretagne, 10 % des financements destinés à des projets d'infrastructures ont été mobilisés auprès des collectivités locales via des PPP (partenariats public-privé). Ces PPP sont une solution complémentaire intéressante, mais ce n'est pas la seule qui permettra de résoudre les problèmes de financement, comme on a parfois tendance à le croire.Cinquante projets prioritairesAu-delà de la critique, la FNTP veut apporter sa contribution à la réflexion sur les besoins en infrastructures. Elle est en train d'identifier les 50 projets qui lui semblent prioritaires. En parallèle, Patrick Bernasconi a lancé une étude comparative des politiques de gestion des infrastructures en Espagne, en Allemagne ou aux Pays-Bas. Il avance aussi une idée originale, celle d'une cotation des infrastructures de manière à pouvoir les évaluer à la fois sur le plan social, économique et environnemental. Il s'inspire notamment de l'exemple du Canada. Confronté au problème du développement de ses ports, Ottawa a créé 250 banques de compensation. Si un projet d'infrastructure a un impact négatif sur la biodiversité, des fonds sont réinvestis pour améliorer le projet ou pour en financer d'autres ayant un impact positif.
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