L'ami américain

Le producteur new-yorkais Harvey Weinstein est enfin reconnu par ceux qu'il n'a cessé de promouvoir aux Etats-Unis : les Européens. Sa compagnie, Miramax, vient de signer un accord triennal avec Canal+ autorisant les chaînes françaises Canal Kiosque et Ciné-Cinémas à diffuser les films « made by Miramax ». Juste retour des choses pour ce chantre du cinéma indépendant au pays des films d'action à gros budgets, qui dit avoir été touché par la grâce en regardant les 400 Coups, de François Truffaut. Harvey, souvent accompagné par son plus vieux complice, son frère Bob, n'a pourtant pas l'allure de l'étudiant attardé qui se glisse le soir venu dans la salle de cinéma d'art et d'essai du bout de la rue. Originaire du Queens, un quartier dortoir de New York, il a le physique d'un bon gros marchand de voitures d'occasions. Mais cette enveloppe ne l'a pas empêché de devenir une encyclopédie du grand écran, incollable sur Bunuel, De Broca, Truffaut et les autres tenants de la nouvelle vague. Son papa, Max, le tailleur de diamants, l'a bien aidé. C'est lui qui, le samedi, emmenait ses gamins au cinéma Mayfair, tandis que la mère, Miriam, se refaisait une beauté chez le coiffeur. Miramax, contraction de Miriam et Max, est d'ailleurs un hommage aux deux parents. Le démon des salles obscures. Saisis par le bon démon des salles obscures, les deux frères Weinstein, devenus adolescents, décident d'aller voir un film inconnu, les 400 Coups, espérant bien avoir jeté leur dévolu sur un porno ! Leur méprise sera féconde. François Truffaut les a séduits et transformés en aficionados du cinéma étranger. Dès la fin de leurs études, les Weinstein ont acheté un théâtre croulant à Buffalo, pour faire partager leurs goûts aux étudiants du cru. Et dès qu'ils ont eu assez de dollars dans leur bas de laine, ils ont acheté les droits de distribution d'un film, The Secret Policeman's Other Ball, une comédie rock avec les Monty Python. Ce premier essai se révéla fort encourageant : ils payèrent leurs droits 180.000 dollars, et en amassèrent 6 millions. Le petit distributeur de films d'art et d'essai a su cultiver sa niche. Et, à la fin des années 80, Miramax est sorti du lot. Grâce au succès critique et commercial de trois films : My Left Foot, Sexe, mensonges et vidéo et Cinéma Paradiso. La profession a regardé avec de plus en plus d'intérêt le terrible Harvey. Un PDG au caractère épouvantable, épinglé dans la liste des patrons les plus durs de Fortune, en 1993, pour sa propension à claquer les portes et à jeter des téléphones par les fenêtres. Mais on lui pardonne beaucoup, car il possède un flair rare pour les films réputés invendables aux USA... mais qui se révèlent après coup de grandes réussites du bouche à oreille : Pulp Fiction, Il Postino, The Crying Game, le Piano, c'est lui. Sexe, mensonges et vidéo, utout petit film payé 1,1 million de dollars, lui en a rapporté aux Etats-Unis 25 millions. Quant à Pulp Fiction, un long métrage qui a coûté 8 millions de dollars à réaliser, sa carrière internationale n'a pas rapporté moins de 210 millions de dollars ! Faiseur d'or. Hollywood a, bien sûr, fait les yeux doux à ce faiseur d'or. Et en 1993, il a cédé à l'appel du royaume magique de Disney pour, dit-on, 60 millions de dollars. Le roi du cinéma indépendant a dorénavant un fil à la patte. Mais cette liaison (dangereuse ?) lui a permis d'ajouter à ses talents de distributeur ceux de producteur. Car Harvey Weinstein a décidé un beau jour de voler au secours du Patient anglais, en finançant le tournage de ses dernières scènes. De quoi rafler cette année la palme du meilleur film aux oscars. Et arrondir un peu plus les bénéfices de la filiale de Disney. Miramax, en 1996, a contribué à hauteur de 50 millions de dollars aux résultats de sa maison mère et le cru 1997 devrait être encore meilleur. Prudent. Harvey Weinstein en profite pour s'étendre en Europe. Il renforce son bureau londonien, histoire de renifler de plus près les créations de son goût. Et il envisage de coproduire de futures oeuvres avec le français Canal+. Mais le New-Yorkais est prudent. Il sait que la clef de son succès réside dans le principe : « Small s beautiful ». Et il essaie de ne pas trop en faire pour garder son originalité. Cette année, Miramax a produit 35 films. L'an prochain, Harvey Weinstein préférerait s'en tenir à 25. Le succès, aime-t-il dire, c'est aussi ce que l'on refuse de produire. Caroline Talbot, à New York
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